Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le chapitre et la reddition de comptes

Chapitre du 30 avril 1890

“Chaque mois le supérieur ou celui qui tiendra sa place devra faire soit en chapitre, soit en particulier la correction fraternelle à tous les Oblats sur les fautes ou les défauts relativement aux Règles et aux Constitutions” (Const., Art. XVIII:1; p. 66).

Jusqu'ici nous n'avons pas observé cet article des Constitutions. Il devient nécessaire de le faire. Je le mentionne ici pour qu'on en ait bonne mémoire. Il faut qu'on fasse cette correction dans chaque maison. C'est à nous de commencer. La Règle laisse au supérieur la faculté de faire cette correction en chapitre ou en particulier: c'est à lui de juger ce qui sera le plus opportun. Nous commencerons le mois prochain, le mois de mai: ce sera un bon commencement. La correction fraternelle est la correction des fautes et des défauts relativement aux Règles et Constitutions. Nous commencerons donc la prochaine fois, et ce que nous ferons devra dès lors être fait dans toutes les autres maisons.

“Chaque membre de la Congrégation pourra rendre compte à son supérieur, en dehors de sa confession, des manquements publics qu’il aura faits aux Constitutions, de ce qu’il aura pu perdre ou acquérir dans la pratique de l’Observance et des vertus qui lui sont recommandées. Ce point est facultatif et nullement obligatoire” (Const., Art. XVIII:2; p. 66-67).

C'est une chose excellente que le rendement de comptes, quand on le fait bien: et il serait bien désirable que chacun le fît chaque mois. L'Eglise ne nous fait pas une loi de la reddition de comptes, parce que ces temps derniers il y a eu, probablement dans certaines communautés de femmes, des abus regrettables. Des supérieures ont peut-être été trop loin, je n'en sais rien. Les confesseurs de ces communautés auront été crier et faire du bruit à Rome, et c'est ce qui a motivé cette détermination des Cours Romaines, qui est générale, de ne plus faire envisager la reddition de comptes que comme facultative. Si nous avions été en place de ces confesseurs, nous n'aurions pas crié. Qu'on comprenne bien ma pensée. Dans un Institut, dans une communauté, chaque chose, chaque personne doit rester à sa place. La supérieure est supérieure, elle est chargée de la direction. Si le confesseur prend non seulement le soin des consciences, mais encore de la direction, il n'y a plus de place pour la supérieure, à la Visitation du moins, et ailleurs aussi.

Rappelons-nous que nous venons pour consolider et non pour détruire. On a crié contre les abus qui ont pu avoir lieu: on a eu raison de se plaindre. Mais le fond de tout cela n'est pas bon, c'est en dehors du sens droit: “Nous sommes en embassade pour le Christ” (2 Co 5:20). Prenons garde de ne pas nous substituer à Dieu. Toutes les fois que nous trouvons une Règle établie, bonne, il ne faut pas combattre la Règle à cause des abus qui ont pu se glisser, il faut tâcher de corriger les abus, il faut faire en sorte que ce qui reste de la Règle croisse et devienne meilleur. Agissons ainsi partout où nous irons, partout où nous trouverons une Règle. N'essayons pas d'y substituer nos idées particulières, d'arranger les choses de telle ou telle façon: c'est être bien hardi.

Voilà une règle qu'on observe depuis deux ou trois siècles: on a donc erré, on a donc été de travers. Prenez garde: cette mauvaise habitude de vouloir réformer ce que l'on ne comprend pas est assez universelle; peu de prêtres, très peu de religieux savent y résister. Ce qui est mauvais ne peut pas se soutenir; mais ce qui existe depuis longtemps, que cela vous plaise ou que cela ne vous plaise pas, s'est soutenu parce que cela était voulu de Dieu. Et cela est vrai surtout dans le temps où nous sommes. Il faut toujours maintenir le principe de l'autorité. Il faut maintenir ce qui a été fait: à moins qu'on ait reçu mission du Pape ou de l'Evêque pour réformer; alors on est dans l'ordre. Ceci dit en passant, pour notre conduite personnelle.

Quant à la reddition de comptes, je ne dis pas qu'elle soit nécessaire. Mais je dis qu'il faudrait qu'entre nous il y eût tant de cordialité, que dans chaque maison il y eût tant de simplicité, que les novices allassent tout dire à leur Maître, les profès à leur supérieur. Quand on ne dit pas tout, c'est qu'on a quelque chose à cacher. Mais je n'ai pas de sympathie pour mon supérieur. Pourquoi alors allez-vous vous confesser? Le supérieur comme le confesseur représente la Règle, l'Eglise, Dieu: il ne faut pas regarder sa personne. Si vous sentez une inclination naturelle, c'est un mouvement que vous êtes obligé de réprimer. Je ne dis pas que ce soit une inclination vicieuse, mais il faut la dominer. Nous n'avons pas la permission de suivre nos penchants: nous sommes en présence de celui qui représente Dieu dans la communauté. Servez-vous de cette considération-là; c'est une affaire de jugement. Demandez à Dieu d'avoir foi en la direction, et Dieu vous donnera cette foi.

Ôtez donc bien de vos cœurs toute vaine susceptibilité. Il vous restera bien encore assez de besogne pour exercer votre zèle et votre talent. Il faut être essentiellement conservateur. Tout ce qui existe ne s'est pas fait en un jour. Apportons notre contingent pour édifier, et non pour démolir. De même quand on va prêcher dans une paroisse, quand on va faire une mission, il faut bien étudier le terrain. Sans doute la paroisse n'est pas parfaite, le curé n'est pas parfait lui non plus. Le curé a les idées de travers: n'allez pas à l'encontre, ne lui ôtez pas la confiance de sa paroisse. Ne prenons pas en main les œuvres, les choses dont nous ne sommes pas chargés. Quand nous passons dans la rue nous n'avons pas le droit d'aller prendre au charpentier sa hache ou sa bisaiguë pour refaire son ouvrage parce qu'il nous semble qu'il est fait de travers: de même nous n'avons pas le droit de prendre au curé son confessionnal, ses ressources, ses œuvres. Il faut l'aider et non le contredire. Pouvons-nous nous poser en réformateurs? Non. Nous sommes là pour travailler et non pour détruire, Cette maxime, qu'il faut mettre toujours en pratique fera qu'on aura confiance en nous: c'est la clé d'or qui nous ouvrira les cœurs, qui nous ouvrira les portes d'airain et de bronze.

“Chacun relira tous les mois les Constitutions, tant générales que particulières à chaque emploi, et prendra note des points auxquels il aura manqué, pour les remplir fidèlement pendant les mois suivants” (Const., Art. XVIII:2; p. 67).

En faisant cette lecture, il faut prendre note dans sa mémoire, ou même avec son crayon sur un petit papier, de ce que l'on a négligé de faire le mois précédent. Il faut prendre ensuite la résolution de n'y plus retomber.