Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L’oraison de l’Oblat

Chapitre du 4 décembre 1889

“Que chacun observe exactement et affectueusement le Directoire spirituel ...” Const,. Art. XVI:2; p. 58).

La Constitution nous fait une obligation d’observer le Directoire. L'observer exactement ne suffirait pas, il faut l'observer affectueusement. Il faut s'y attacher. Il ne faut pas s'en faire seulement une obligation, mais un besoin, une consolation. Je le répète après l'avoir dit bien des fois: le Directoire est le moyen le plus efficace de sanctification que l'on puisse avoir. Tout le monde peut s'accommoder de la manière de faire de saint François de Sales: c'était un habile directeur des âmes. En suivant ses enseignements, nous arriverons sûrement chacun où Dieu nous veut. Le moyen que nous allons prendre nous aidera. Nous aurons chacun notre petite feuille, nous servant de memento journalier pour nos obligations quotidiennes. Nous pourrons ainsi nous rendre compte plus facilement de la manière dont nous aurons observé le Directoire, article par article. C'est un inventaire spirituel qu'il est à propos de faire, afin de nous rendre compte si nous sommes en règle avec le bon Dieu.

"Le Lever à 5 h. L'exercice du matin et l'oraison dureront une heure" (Const., Art. XVI:3; p. 59).

Pour l'oraison, je n'en parlerai pas longuement aujourd’hui. Vous savez ce que je conseille surtout aux commençants, c'est de préparer sa journée avec le bon Dieu. Il faut la préparer au point de vue positif en prévoyant les actes des vertus à accomplir, la manière de bien faire telle ou telle action. Il faut la préparer aussi au point de vue négatif, en prévoyant les fautes dans lesquelles on est sujet à tomber le plus souvent. On peut prendre un à un tous les exercices de la journée. Mais il ne faut pas que l'oraison devienne un examen de conscience, ni même un simple examen de prévoyance. Il faut que ce soit un véritable entretien avec le bon Dieu. C'est en cela même que consiste l'oraison: c'est un entretien affectueux avec Dieu sur nos besoins, sur nos affaires. Un marchand prévoit ses gains et ses pertes, un jardinier s'occupe de ce qu'il mettra dans son jardin, il s'en occupe même la nuit. J'offrais il y a quelque temps, au jardinier notre voisin, de se charger du jardin de Saint-Bernard: “Non, dit-il, je ne puis pas; je ne dormirais plus. J'emploie déjà la moitié de ma nuit à songer à ce que je mettrai dans mon jardin. Si je m’occupe encore du vôtre, la nuit toute entière y passera”.

Nous aussi, mes amis, occupons-nous un peu du jardin de notre âme; il en vaut bien la peine. Je recommande aux directeurs d’âmes de bien employer cette méthode. Tout le monde peut faire oraison ainsi, tout le monde le doit, ou plutôt le devrait. Est-ce à dire qu'il faille toujours procéder ainsi rigoureusement? Voilà un jour de fête; voilà une circonstance particulière, une grâce extraordinaire reçue. Entretenez-vous-en avec le bon Dieu dans l'oraison, remerciez-le. L'essentiel est de bien mettre le bon Dieu dans nos affaires; et le meilleur moyen, c’est de s'en entretenir habituellement avec lui.

En lisant la vie et les lettres de saint Vincent de  Paul, on voit que c'était comme cela qu'il faisait son oraison. Il s'entretenait avec le bon Dieu des voyages qu'il avait à faire à Troyes, ou des voyages qu'il voulait faire de Troyes à Arcis ou à Nogent pour aller chercher du grain pour les pauvres. Il préparait avec le bon Dieu sa besogne matérielle. Il la surnaturalisait afin qu'elle ne fût pas purement matérielle. Notre vie est ainsi mêlée de matériel et de spirituel. Il ne faut pas vouloir confiner le bon Dieu dans le spirituel, et il faut spiritualiser le matériel. Un professeur a une classe difficile à faire, il explique des choses difficiles à comprendre. Qu'il y pense dans son oraison: “Mon Dieu, dira-t-il, donnez leur l'intelligence, soyez avec moi et soyez avec mes élèves. Aimez-nous, ô mon Dieu, et témoignez-nous votre amour dans cette classe”.

C'est ainsi que nous communiquons avec le bon Dieu, qui n'est pas un étranger pour nous. C'est ainsi qu'on fait vraiment oraison. Vous ne faites pas bien votre Directoire, vous manquez en tel ou tel point. Pourquoi ne demanderiez-vous pas au bon Dieu dans votre oraison la lumière pour être plus fidèle. Nos devoirs, nos occupations journalières, les événements qui se rencontrent, les épreuves que le bon Dieu nous envoie, voilà la matière de notre oraison.

La méditation consiste à réfléchir sur une vérité, sur un mystère. Si nous avons quelque attrait pour la faire, faisons-la, c’est une bonne chose. Voilà la fête de Noël qui approche. Si nous nous sentons attirés à méditer sur Notre-Seigneur naissant, sur son humilité, sa charité laissons-nous aller à la méditation, pourvu que notre coeur soit au bon Dieu, c’est tout ce qu'il faut. Nous apprenons aux commençants à faire oraison avec la préparation de leur journée, et rappelons-nous que l'on commence longtemps. C'est là l'oraison telle qu'il faut la faire et telle qu'il faut apprendre à tout le monde à la faire.

"L’exercice du matin et l'oraison dureront une heure" Const., Art. XVI:3; p. 59)

Ce ne sera pas trop long pour nous, si nous employons le temps comme nous avons dit. En faisant notre oraison autrement, le mérite que nous aurons à nous faire violence sera peut-être grand et beau, mais le résultat final et pratique ne vaudra pas. Je reviens sans cesse sur cette pensée-là: je désire que tout le monde comprenne bien. Dans tout le cours de mon ministère j'ai vu des séminaristes faire oraison, j'ai vu quelques prêtres, quelques religieux, mais jamais de laïques. Deux ou trois hommes, à ma connaissance, essayaient peut-être d'en faire le matin. Quant aux femmes, à moins qu'elles ne soient un peu montées, un peu exaltées, et avec cela quelque peu originales ou fantasques, elles ne l'entreprennent pas. Voilà ce que j'ai vu, voilà mon expérience. Peut-être ne me suis-je pas très bien rencontré.

Je désire que l'on me comprenne bien. Je ne proscris pas la méditation. Ceux qui peuvent la faire font un exercice qui est bon. C'est une étude excellente de la religion, mais ce n’est pas là l'oraison, si l'on s'en tient à la méditation. Ce n'est pas là ce qui sanctifie le plus l’âme des fidèles.

Apprenez aux fidèles à faire oraison, apprenez-leur à ne pas perdre leur temps, à ne pas se consumer en efforts d'esprit stériles, mais à s'entretenir affectueusement avec Dieu. Ils vous comprendront et vous goûteront, malgré les préjugés de l'éducation première. Ils pratiqueront ce qu'a pratiqué saint François de Sales, sainte Chantal, saint Vincent de Paul, saint  Alphonse de Liguori. Saint Louis de Gonzague, avant d'entrer chez les Pères Jésuites, faisait ainsi son oraison. Ce n'est que par obéissance qu'il changea sa manière de faire en entrant au noviciat.

Je vous recommande de bien prier pour nos Pères de Pella. Ils ont en ce moment de grosses difficultés. Le P. Simon a été très malade pendant un mois. Le P. Bécoulet, lui aussi, a de grosses épreuves. Il faut beaucoup songer à eux.