Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

De l’office divin 

Chapitre du 18 janvier 1888

“Les Frères qui ne sont pas tenus à réciter le Bréviaire, diront à l’ordinaire le petit office de Notre-Dame” (Dir., Art IV; p. 34).

Je ne saurais trop recommander le petit office. Il est tout rempli de charme, de piété, de cœur. Les Frères qui le récitent feront bien de s'en rendre compte en français, de se pénétrer du sens des psaumes, des antiennes, des leçons. Il est vraiment délicieux. Il laisse dans l'âme quelque chose de si bon, de si heureux que ceux qui, parmi nous, ont pu le dire autrefois, doivent s'en bien souvenir et en avoir gardé une impression ineffaçable. Il y a là quelque chose de particulier, une onction, une piété, un je ne sais quoi qui ravit l'âme, non seulement dans les paroles que l'on prononce, mais dans la grâce surtout attachée à ces paroles. La sainte Vierge y place une grâce toute maternelle comme celle qu'elle sait donner, une grâce de dilection, non pas seulement de ces grâces gratuitement données — “gratis datas” comme dit quelque part notre saint Fondateur — mais très gracieuse “[“gratiosissimas”], et qui laissent dans l'âme un grand fonds de piété. Certains religieux ajoutent à leur office, le petit office de la sainte Vierge, d'autres l'office des morts, suivant les dévotions des différentes Congrégations. Je recommande aux Frères une grande et spéciale attention à la lecture du petit office; ils y nourriront leur âme, ils y trouveront une manne cachée, ils rempliront leur cœur de cette onction que la sainte Vierge a déposée là, d'une façon bien marquée, bien tranchée. Notre saint fondateur avait choisi le petit office pour la Visitation, non pas seulement parce qu'il est le plus court, mais surtout et précisément à cause de l'onction qu'il renferme .

“Mais ceux qui ne pourront pas le dire, le remplaceront ainsi qu’il suit: Au lieu de Prime, Tierce, Sexte et None, ils diront douze fois le Pater noster et l’Ave Maria, et le Credo à la fin. Au lieu de Vêpres et Complies sept Pater et sept Ave, et pour Matines et Laudes dix” (Dir., Art. IV; p. 34).

Cela fait en tout 29 Pater et Ave, et un Credo. Tous les gens respectables sont venus me dire maintes fois: “Pourquoi ne faites-vous pas dire un chapelet au lieu des Pater?” Pourquoi? Parce que c'est la pensée de notre saint fondateur. Il faut y tenir, je ne veux pas qu'on change. Un grand nombre d'âmes se sont sanctifiées en récitant les 29 Pater et Ave.

Mais pourquoi 29 et pas 30? Je ne sais pas. Notre saint Fondateur dit 29. Il faut croire qu'il y a quelque chose dans les nombres. Sans aller trop loin, rappelez-vous ce que saint Augustin dit dans la Cité de Dieu, au sujet des nombres et de leur signification. Il était un peu pythagoricien... Si saint Augustin attachait une vertu au nombre, saint François le faisait aussi. Du reste, pourquoi dans le chapelet, qui a été révélé et apporté du ciel à saint Dominique, ce nombre fixe? Et voyez quelles grâces ont été attachées à ce nombre déterminé de Pater et d'Ave; c'est la grande dévotion de l'Eglise actuellement et de Léon XIII, et de tous les chrétiens. Il y a là certainement la vertu du nombre. Et nous, pourquoi ne pas tenir à notre nombre? Pourquoi même n'aurions-nous pas pour nos Frères, un chapelet spécial comme cela? De gros grains pour les Pater, de petits grains pour les Ave et pour le Credo quelque chose de particulier? Ce nombre de 29 a été consacré par une longue pratique; on s'en sert depuis deux cents ans avec de grands fruits spirituels. D'ici à quelque temps, si la Congrégation s'étend, on pourrait faire enrichir ce chapelet d'indulgences. Le chapelet actuel date de saint Dominique, mais avant lui il y avait déjà d'autres chapelets. Saint Jérôme nous rapporte que dans les déserts de Scété les moines, pour s'aider dans leurs prières, se servaient de lanières de cuir ou de cordes dans lesquelles ils avaient fait un certain nombre de nœuds. Ils priaient sur ces chapelets en allant et venant et en travaillant. Conservons donc bien ce nombre-là: il est de notre saint Fondateur. Voyez aussi, pourquoi les neuvaines, les triduum? Et rappelez-vous cette leçon du bréviaire où saint Augustin explique que le nombre 12, des douze Apôtres, est le nombre parfait, parce qu'il se compose de 3 et de 4, les trois personnes de la sainte Trinité, les quatre parties du monde. Nous tiendrons donc, nous aussi, à notre nombre.

“Les Frères auront en singulière recommandation la simplicité et promptitude à l’obéissance; et partant lorsque les offices sonneront, ils doivent courir à la voix de Dieu qui les appelle; c’est-à-dire partir allègrement au premier coup de cloche, se mettre en la présence de Dieu, et à l’imitation de saint Bernard, demander à leur âme ce qu’ils vont faire en s’adressant à Dieu. Comme aussi ils pourront tenir cette méthode en tous leurs autres exercices, afin qu’ils portent en chacun d’iceux l’esprit qui leur convient: car il ne faut pas une même contenance et action à l’église qu’à la récréation” (Dir., Art. IV; p. 34-35).

Il y a là une recommandation qui a bien de l'importance dans la pensée de notre saint Fondateur. À propos de la régularité à l'office, il nous fait la même recommandation pour tous les autres exercices, il les met sur le même pied que l'office divin. Tous les autres exercices, dans sa pensée, ont aussi quelque chose de sacré, de vénérable, d'auguste. Il les compare à l'office divin lui-même. Chacun des exercices religieux, en effet, se comporte à la façon des sacramentaux, aussi bien les repas, les récréations, les études que l'oraison et l'office; ils ont tous un caractère saint et sacré, ils sont tous aussi sanctifiants pour l'âme. Dès lors qu'ils sont commandés par la Règle, qu'ils sont voulus, par conséquent, par Dieu, chacun d'eux quel qu'il soit , est tout ce qu'il y a de plus saint. Saint Louis de Gonzague au Collège romain jouait aux échecs pendant la récréation avec un grand personnage. “Que feriez-vous si l'on vous annonçait que vous allez mourir dans un quart d'heure?” demandait-on aux jeunes novices. L'un disait une chose, l'autre une autre.
— “Et vous, P. Louis?”
— “Je resterais à ma place et continuerais à jouer, parce que je suis où le veut la Règle, et par conséquent Dieu”. Servons-nous de cette pensée-là pour nous aider à la promptitude à l'obéissance en chaque action, et prenons la parole de saint Bernard, qui nous aidera à cela.

“Il faut ès exercices qui regardent immédiatement l'honneur et le service de Dieu, un esprit humble, rabaissé, grave, dévot, et sérieusement pieux” (Dir., Art. IV; p.36).

Il faut que non seulement notre esprit ait ces sentiments, mais que notre corps lui-même y participe. Ayons une tenue bien convenable. Il est reçu que nous ne nous appuyons pas à l'église, à moins que nous ne soyons souffrants, nous ne nous accoudons pas, mais nous tenons le corps droit quand nous sommes à genoux. Assis, nous ne appuyons pas sur le dos de la chaise. Observons bien cela dans la préparation à la sainte messe surtout, dans l'action de grâces. Ne croisons pas les jambes l'une sur l'autre quand nous sommes agenouillés. Tenons-nous toujours dans une attitude très convenable. Le soldat qui fait faction à la porte du prince se tient comme il faut. Les petits pages qui entourent le roi pendant son sacre doivent, suivant l'étiquette, rester immobiles, sans remuer, la figure impassible, semblables à des statues. Au sacre de Charles X, il en tomba trois, qui n'avaient pu soutenir la fatigue de cette contenance exagérée.

Que les Oblats se distinguent par leur tenue modeste, convenable. Qu'on ne mette pas les mains dans ses poches, qu'on marche convenablement, sans tendre le dos, sans se dandiner. N'ayons pas non plus une tenue raide, à l'anglaise, mais encore une fois simple, convenable, modeste, qui impose le respect. Cette tenue, nous devons nous y conformer, surtout au moment de la prière. Ces défauts que j'ai signalés, il faut les éviter surtout à l'église.

“... un esprit humble ...” — Il est bien désirable que nous pratiquions bien cette vertu de l'humilité. Cette vertu ne consiste pas seulement à avoir de bas sentiments de soi-même. Ce n'est pas trop facile à expliquer. C'est surtout à l'égard du prochain, par rapport à lui, que nous devons pratiquer l'humilité. Il ne faut pas imiter cette dame qui faisait son oraison sur la patience et qui, fâchée de ce que sa femme de chambre la venait déranger, lui donnait une claque. On peut faire de longues méditations sur l'humilité et n'en être pas davantage humble, surtout dans nos rapports avec le prochain. Il faut accepter les autres tels qu'ils sont, quand on n'est pas chargé d'eux, tels que le bon Dieu les a faits. Chacun a son bon côté et ses côtés défectueux. Ne nous occupons pas de ces derniers, ne refusons jamais au prochain notre estime. Quelles que soient les misères de notre prochain, ne nous mettons jamais à côté de lui pour lui dire que nous valons mieux que lui. Cela déplaît extrêmement au bon Dieu. L'Evangile a flétri cette faute dans une parabole remarquable. Il faut nous tenir dans cette disposition habituelle par rapport au prochain.

Et quand nous venons à l'office, que nous sommes non plus à côté du prochain, mais à côté du bon Dieu, c'est là surtout où l'on voit bien ce qu'on vaut, ce que l'on est, et surtout ce que l'on serait si Dieu ne nous avait environnés de sa grâce. Etre humble, c'est se mettre à la place que l'on doit avoir, dans la vérité, en nous connaissant et nous appréciant bien nous-mêmes. Si quelque chose de bon est en nous, qui l'a mis? Ce n'est pas de notre fonds: nous ne pouvons rien faire sans la grâce. Si nous avons quelque chose de plus qu'un autre, c'est une raison de nous humilier davantage, de descendre d'autant plus. Plus il nous a été donné et plus il nous sera demandé. Et plus nous descendrons, plus aussi nous recevrons de celui qui “a jeté les yeux sur l’abaissement de sa servante” (Lc 1:48). Dieu a regardé la bassesse, la profondeur, l'humilité, l'anéantissement de la sainte Vierge: “Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses” (Lc 1:48). Il faut avoir ces sentiments-là. Il faut qu'ils nous accompagnent et nous suivent partout. Nous aurons alors vraiment l'esprit “humble, rabaissé, grave”. Il suffit de voir les choses à leur véritable point de vue.
 
“... dévot ...” —  La dévotion suit nécessairement l'humilité.

“... sérieusement pieux ...” — Ce ne sera pas une piété superficielle, légère, ridicule, drôle; non, elle sera fondée sur la doctrine. Les exercices religieux nous trouveront tout recueillis, tout affectionnés à la Volonté de Dieu.

“Avant donc que de commencer l'office, les Frères provoqueront leur âme à de semblables affections; et après l’acte d’adoration, offriront à Notre-Seigneur cette action pour sa gloire, à l’honneur de la sainte Vierge Notre-Dame et Maîtresse, et au salut de toutes les créatures” (Dir., Art. IV; p. 36).

Voilà un mot particulier: “au salut de toutes les créatures”. Nous disons notre office, non seulement pour nous, pour la Congrégation, pour l'Eglise, mais pour tout ce qui est créé. Non seulement pour les créatures intelligentes, mais pour toute créature. Dans notre prière, nous obtenons non pas seulement pour le monde surnaturel, mais pour le monde naturel et tout ce qui existe. Nous demandons que tout cela, que chaque chose créée arrive à la fin que Dieu a voulue. L'office nous associe donc à l'action des anges, il nous fait coopérer à tout ce que Dieu fait, dans l'ordre surnaturel et dans l'ordre naturel. Voilà pourquoi le bénéfice était attaché, dans l'Eglise, à la récitation de l'office. La distribution se faisait au chœur, et les religieux et les bénéficiers seuls étaient astreints à l'office.

Voyez l'union qui existe dans la réalité entre l'ordre spirituel et surnaturel et l'ordre temporel. Nous prions non seulement pour la gloire de Dieu, mais pour le salut de toute chose créée, de tout ce que Dieu fait. Voyez encore l'importance de l'office. Il nous fait tenir notre place, et une place d'honneur, dans l'ordre établi par Dieu dans le monde. Nous entrons dans le plan divin, nous contribuons à la conservation de ce que Dieu a créé. Disons donc notre office, quel qu'il soit, ou l'office des Pater, ou le petit office de la sainte Vierge, ou le grand office, avec un grand respect. Nous verrons la prochaine fois comment il faut le dire.