Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Comment on prépare sa journée

Chapitre du 14 décembre 1887

“Pour ce que la préparation est comme le fourrier à toutes nos actions, ils prendront pour sujet de leur exercice les actions de la journée, et leurs obligations religieuses, relatives au Directoire et aux Constitutions; ils s’y occuperont, selon la diversité des occurrences, et tâcheront, par le moyen d’icelle, de se disposer à bien et louablement traiter et pratiquer leurs affaires” (Dir., Exercice de la préparation, p. 21-22).

Le marchand prépare sa journée, ses achats et sa vente, le laboureur prépare ses instruments, sa culture, le jardinier tire ses plans et prépare ses semis et ses récoltes. Je priais le jardinier d'en face de venir, moyennant paiement, aider André, notre jardinier:  “Je ne peux pas, me répondit-il; si je fais cela, j'ai peur...”
— “Peur de moi?”
— “Non, mais j'ai peur de ne plus dormir. Toutes les nuits je passe déjà une partie de temps à préparer à l'avance ce que je ferai dans mon jardin. Si je m'occupe du vôtre encore, je ne pourrai plus dormir du tout”.

C'est ce que nous devons faire pendant le temps de l'oraison, préparer notre journée. Qu'est-ce que notre journée? C'est notre sanctification, c'est le ciel: la vie n'est composée que de journées. Cela vaut bien la peine qu'on y pense, qu'on voie ce qu'on a à faire pendant cette journée, ce qu'on a à éviter, les difficultés qu'on aura à surmonter, ce qu'il faudra faire en un mot pour conserver le saint amour de Dieu dans son cœur. Cet exercice de la préparation peut, sans aucun doute, s'interrompre de temps à autre. Un jour de fête, d'anniversaire, un jour où nous nous sentirons un attrait particulier, nous pouvons nous arrêter à la pensée qui s'impose à nous ou nous sollicite. Mais notre saint Fondateur pose pour base l’exercice de la préparation, afin que nous puissions mettre de la sorte de l'ordre et de la régularité en toutes nos actions, afin que nous soyons des gens soigneux et que nous n'imitions pas ceux qui soignent une partie de leur logis et laissent le reste en désordre, ou le négociant qui soignerait une partie de ses affaires et laisserait le reste à l'abandon. L'exercice de la préparation nous montrera ce que nous ferons dans la journée, les dangers qui nous attendent, les difficultés dans notre classe, dans notre travail de chaque jour, dans nos rapports avec nos confrères, avec le monde.

“La première partie de cet exercice est l'invocation. Partant, reconnaissant qu’ils sont exposés à une infinité de dangers, ils invoqueront l’assistance de leur Dieu, et diront: “Domine, nisi custodieris animam meam, frustra vigilat qui custodit eam” - “Seigneur, si vous n’avez soin de mon âme, c’est en vain qu’un autre en aura du soin” [Ps 127:1] (Dir., Exercice de la préparation, p. 22).

C’est un assujettissement sans doute que de prendre ces pensées et ces paroles, mais cet assujettissement donne la liberté. Dans les moments de sécheresse surtout, de découragement, d'ennui, on a, avec son Directoire, de quoi nourrir son âme. Ces paroles sont tirées de la sainte Ecriture. Le Saint-Esprit prie en nous quand nous nous servons des paroles de la sainte Ecriture. C'est un moyen extrêmement simple, énergique de rappeler la ferveur, et qui porte avec lui des grâces très particulières. C'est l'Eucharistie du Verbe, comme disent les Saints-Pères. Ayant fait ainsi ces invocations, nous passons à la seconde partie.

“La seconde partie est l'imagination qui n'est autre chose qu'une prévoyance ou conjecture de tout ce qui peut arriver le long de la journée. Donc ils penseront sérieusement aux accidents qui leur pourront survenir, aux compagnies où possible ils seront contraints de se trouver, aux affaires qui peut-être se présenteront, aux lieux où ils seront sollicités de se transporter; et ainsi, avec la grâce de Notre-Seigneur, ils iront sagement et prudemment au devant des difficultés et des occasions dangereuses qui les pourraient surprendre et prendre”

"La troisième partie est la disposition. C’est pourquoi, après avoir discrètement conjecturé les divers labyrinthes où aisément ils s’égareraient et courraient risque de se perdre, les frères considéreront diligemment et rechercheront les meilleurs moyens pour éviter les mauvais pas; ils disposeront aussi, et ordonneront à part soi de ce qu’il leur conviendra faire, de l’ordre et de la façon qu’il faudra observer en tels et tels négoces, de ce qu’ils diront en compagnie, de la contenance qu’ils tiendront, de ce  qu’ils fuiront ou rechercheront” (Dir., Exercice de la préparation, p. 25-27).

C'est pourquoi après avoir discrètement conjecturé, nous devons arrêter notre pensée sur le certain de la journée, les devoirs, les défauts ordinaires. Je fais mal ma classe, pourquoi? Je manque fréquemment à la charité, à la cordialité, pourquoi? Aujourd'hui j'ai à faire telle visite, à remplir tel ministère, et voici ce qu’en telles circonstances j'ai à craindre, à redouter.

"La quatrième partie est la résolution. En suite de quoi ils feront un ferme propos de ne jamais plus offenser Dieu, et spécialement en cette présente journée. Pour cette fin ils se serviront des paroles du prophète David:” (Dir., Exercice de la préparation, p. 27).

Ces paroles : “Que les méchants fassent du pis qu'ils pourront contre moi” sont une révélation de ce qui se passait dans le cœur de notre saint Fondateur au milieu des méchancetés et des calomnies dont on l'a poursuivi une grande partie de sa vie. Cette grande tirade qu'il fait là-dessus est bien remarquable et nous témoigne combien il eut à souffrir de ce côté.

"La cinquième partie est la recommandation. Voilà pourquoi ils se remettront, et tout ce qui dépend d’eux, entre les mains de l’éternelle bonté, et la supplieront les avoir toujours pour recommandés. Ils lui laisseront absolument le soin de ce qu’ils soient; ils diront de tout leur cœur: ...” (Dir., Exercice de la préparation, p. 30).

Tout cet exercice de la préparation est un très grand chef d’œuvre de stratégie spirituelle et temporelle. Il nous montre quelle habitude avait saint François de Sales du gouvernement des âmes. C’est une méthode simple, claire. Voyez quelle humilité! En quoi met-il sa confiance? En ses résolutions, en ses efforts? Il met tout cela en œuvre, sans doute; il emploie toutes les puissances de son âme, pour l'éveiller, pour la tenir en garde, se tenir prêt, et le moment échéant, il jette son âme en Dieu qui fait lui-même la chose, il n'a pas confiance en lui, mais en Dieu seulement. Il se jette complètement, entièrement en Dieu. Je ne saurais trop vous recommander cette manière de faire en toutes vos actions, c'est certainement la plus profitable.

Qu'on dirige bien les âmes par cette voie-là. Qu'on apprenne bien à faire l'oraison de cette façon. Je ne crois pas que beaucoup de personnes puissent faire oraison autrement. L'oraison, disait la bonne Mère, c'est le temps pendant lequel nous traitons de nos affaires avec Dieu. Nos affaires varient selon les circonstances; donc ces circonstances doivent faire varier notre oraison.