Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les novices et les vocations

Chapitre du 3 mars 1886

D’après le texte des Constitutions, on peut recevoir à la profession un novice âgé de 17 ans et deux mois, mais cela arrivera rarement avant 18 ans. Pour être admis à la profession, disent les Constitutions, il faut témoigner “un grand désir de la perfection chrétienne” (Const., Art; III:1). Ce n'est pas seulement une phrase pieuse mise là pour édifier, mais c'est une condition. Il faut que le souffle de Dieu passe et donne le désir d'une vie plus consacrée au bon Dieu. En dehors, il peut y avoir des motifs particuliers d'admettre quelqu'un à la profession religieuse, mais rarement. Ce qui manque le plus, c'est une vie foncièrement chrétienne et pieuse. L'heure arrive où les congrégation religieuses n'ont de garantie que la valeur personnelle de leurs sujets. Les lois de l'Eglise sont attaquées par les lois humaines: on veut les empêcher d’avoir des droits et une vie extérieure. Les religieux doivent donc devenir très bons. Il faut pratiquer le Directoire, c'est là la grande base. Le Directoire peut se pratiquer partout, à la forge, à la cuisine, en toute espèce de fonctions. Adonnons-nous-y donc, c’est la forme spéciale que nous devons avoir. Avec le Directoire, nous serons victorieux, aucun pouvoir humain ne réussira contre nous. Les hommes peuvent bien tuer le corps, mais ils ne peuvent aller au-delà.

C’est le dessein du maître des novices de former les novices au Directoire. Mais c'est aussi le devoir de tous les membres de la congrégation de s’aider par des prières et par les bons exemples les uns les autres. Dans la communion, dans la sainte messe, prions les uns pour les autres. Ayons cela à cœur: je vous en fais un devoir à tous vos mémentos. Priez pour les supérieurs, les pères, les frères, pour ceux qui doivent venir et dont nous avons grand besoin. Pendant que je suis en vie , il faut que la congrégation prenne sa marche régulière, afin qu'ensuite, il n'y ait plus qu’à suivre. Il faut que ce soit une pièce montée complètement et qui n'ait plus qu'à fonctionner. Il faut établir solidement la base.

Les directeurs d'âmes nous sont absolument nécessaires, nous bâtissons sur un terrain loué qui ne nous appartient pas; nous sommes à la merci de ceux qui dirigent les jeunes gens ou les jeunes filles de nos œuvres. Les chrétiens et les chrétiennes ne sont dévoués qu'à leur confesseur. On ne peut opérer quelque chose que dans ce sens-là. Pour communiquer du reste l'esprit de notre saint Fondateur, il faut des missionnaires, il faut des confesseurs, il faut des prêtres formés à cela, que l'obéissance enverra pour le gouvernement des âmes. C'est par là seulement que nous pourrons recruter. Une direction bonne amène des vocations. Les directeurs, dit saint François de Sales, sont les canaux des grâces de Dieu. Il faut un moyen sensible, pour que la grâce bien souvent ait ses effets. Demandons des sujets à Notre-Seigneur, prions-le qu'il envoie des ouvriers à sa vigne. Notre-Seigneur, au lieu de 72 disciples seulement, pouvait avoir ce qu'il voulait, il était le maître: “Priez” dit-il. Il veut qu'on prie son Père de lui en envoyer, il faut qu’on demande.

Nous devons avoir à cœur chacun notre emploi, mais nous devons avoir bien plus à cœur la diffusion des vocations. Et non seulement nous devons nous affectionner à avoir des vocations pour nous, mais nous devons en désirer pour les autres. Dom Bosco est une preuve de la fécondité des œuvres et du grand nombre d’âmes qu'elles peuvent attirer à Dieu. Il affirme qu'il y a un tiers des chrétiens qui ont la vocation religieuse par le monde. C'était bien à peu près cela, alors que l'Eglise était maîtresse et libre. Que deviennent toutes ces vocations perdues? Que d’hommes dévoyés, de malheureux, de voleurs, d'assassins, de piliers de l'enfer! Il faut bien nous pénétrer de cela. Voyez saint Bernard, il n'admettait pas qu'il pût aller quelque part sans récolter des religieux. C'était comme une obligation, un devoir pour lui: “Nous sommes bien ... la bonne odeur du Christ” (2 Co 2:15). Les abeilles, dit saint François de Sales, sont attirées par l'odeur du miel. Que notre vie soit parfumée par les vertus et les âmes accourront, attirées par cette odeur. Gagnées par quoi, dit saint Augustin? Non pas par l'esprit, mais par le cœur: “Nous sommes attirés par l’amour”. Il est des puissances différentes, mais celle-là est la puissance suprême. “Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour” (Os 11:4).

Nous n'avons peut-être pas assez compris cela jusqu'à aujourd'hui. Notre Saint-Père le Pape m'a grondé, la seconde fois que je l'ai vu, de ce que nous n’étions pas plus développés, de ce que nous n'étions pas dans d'autres diocèses. “Qu'est-ce que Troyes”, me disait-il. “Je vous avais envoyés à la France”. Je vois que tout le monde insiste pour que nous ayons des vocations religieuses. Nous sommes obligés de ne pas manquer au bon Dieu. Celui qui fait la cuisine, comme celui qui balaie la maison, sont obligés de demander des vocations, et ils en obtiendront comme les autres. Pourquoi le Père Rolland est-il religieux? Parce que la sœur Marie-Geneviève était à la Visitation. Je n'avais pas compris ce que le Pape me disait la première fois. Il y a des gens qui ne comprennent qu'au bout de 10 ans, 20 ans. C’est malheureux. Je ne suis pas comme quelqu’un qui fait du pugilat en frappant dans le vide [“tamquam aera verberans”] (1 Co 9:26). “On ne peut pas, me direz-vous, prendre les gens au collet”. Celui qu'il faut prendre au collet, c'est vous qui le ferez. Il faut faire violence au père de famille.

Plus je retourne à Paris, plus je suis pénétré de cette nécessité de nous développer. Revenons aux novices et aux exercices du noviciat dont parlent les Constitutions. Les novices doivent pratiquer plus parfaitement la Règle que les autres, parce qu'il faut viser plus haut, si l'on veut atteindre le but placé plus bas. Ils doivent dire: “Il faut que je fasse sérieusement le noviciat, puisque je suis venu pour cela; il faut que je me soumette complètement, sans réserve”. Qu’ils pratiquent l'humilité, et s'ils n'en sont pas capables, qu'ils la demandent à Notre-Seigneur, qu’ils en fassent des pratiques, qu'ils se mettent bien dans l'esprit qu'il ne s’agit pas d'avoir plus ou moins de moyens. “Le diable, disait la bonne Mère à la sœur de Bellaing, a bien plus de moyens que vous. Il n'y a  pas de peine à se mettre la dernière, quand on regarde bien ce qu'on vaut”.

“[Les novices] s'efforceront de rendre leur vie intérieure, et de retracer en eux et jusque dans leurs habitudes extérieures l'image de Notre-Seigneur Jésus-Christ, suivant les moyens dont saint François de Sales a donné l'exemple. C’est à cette marque qu’on reconnaîtra qu’ils sont vraiment appelés à former la famille spirituelle du saint Docteur” (Const., Art. III:8; p. 7-8).

Voilà le moule, l'emporte-pièce. Il faut être taillé droit, sec, sans bavure, sans filament. Voilà, moyennant la grâce de Dieu, ce qu'il faut faire pour nous, et ce qu’il faut demander pour les autres. Prions beaucoup, invoquons la bonne Mère Marie de Sales, invoquons-la pour toutes ces intentions.