Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les frères, les vocations, le postulat

Chapitre du 17 février 1886

Les membres de la congrégation, dit la Règle, seront de deux ordres: les pères et les frères. Dans toutes les congrégation actuelles, il y a deux rangs, deux ordres: les pères et les frères, Cela n'existait pas avant le XIe siècle. La première fois qu’on a institué des frères du second rang, c'est à l'abbaye bénédictine de Vallombreuse, et le motif qui porta à cela fut que la plupart des religieux qui entraient demandaient à être employés dans les plus bas offices. Quand il arrivait un grand personnage, il demandait à l'abbé la grâce de remplir les fonctions les plus humbles du ménage. Comme on résistait à leur demande, les nouveaux venus usaient de l'influence des princes et des rois pour être placés à la cuisine. Le chapitre général institua donc un second rang auquel fut réservée la charge des choses matérielles. Ce qui poussait ces moines à ambitionner ces emplois, c'était non seulement des sentiments d'humilité, mais c'était surtout parce que le bon Dieu donne plus de grâces à ceux qui ont des occupations matérielles qu'à ceux qui passent la journée dans l'oraison ou le chant de l’Office. Les grands saints des anciens ordres travaillaient à des œuvres manuelles et aux soins du ménage. Bien certainement le travail manuel fait dans l’esprit religieux, dans l'esprit de saint François de Sales, est un moyen efficace pour arriver à la sainteté, et les grâces que Dieu accorde à ce travail sont bien de nature à exciter nos désirs à l'envi de ceux qui veulent se sanctifier dans la vie religieuse.

Ces deux ordres furent bientôt établis partout, et l'esprit religieux allant s'affaiblissant, la ligne de démarcation entre les deux ordres s'accentua davantage. Les communautés religieuses en certain nombre, négligèrent leurs pratiques premières. On oublia qu'on avait devant soi des frères ou des sœurs, et on ne les traita guère mieux que des domestiques. Le relâchement pénétrait partout, quand la Grande Révolution vint apporter le châtiment. Dans le temps où l'Eglise était maîtresse et régnait, la terre sur laquelle elle régnait était à Dieu, elle la traitait comme chose de Dieu. Il faut bien nous défaire des idées maçonniques à ce sujet, idées qui se répandent partout même dans le clergé. Le bon Dieu est le maître chez lui, et le Créateur est chez lui partout où sont ses créatures. Il faut donc laisser et il faut trouver le bon Dieu au milieu de ses créatures. C’est cet ordre de choses que la Révolution a voulu détruire, et dès lors, c’est le désordre et une affreuse décadence. Les frères coadjuteurs ont donc une mission extrêmement heureuse: ils ont la meilleure part. S’ils sont fidèles au Directoire, ils ont dans leurs travaux matériels un moyen très sûr et très actif de sanctification. Voilà pourquoi beaucoup d'ordres religieux ont des travaux manuels pour tout le monde sans exception. Les Chartreux ont tous un métier, un tour et ils se délassent par ces travaux de la contemplation, et c’est pour eux un grand moyen de sanctification, un moyen extrêmement actif.

Tout ce qui se fait dans une congrégation, en fait de choses matérielles, de travail, d'épargne, d'économie, d'industrie si l'on veut, doit être traité avec un grand respect, comme la chose de Dieu. La bonne Mère Marie de Sales disait qu'il fallait avoir une grande dévotion au signe de la croix: “Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit”. Or, disait-elle, le Père n'est pas moins que le Fils. Et on honore le Père par la création, comme on honore le Fils par la sainte communion, et le Saint-Esprit par la fidélité à la grâce. Honorons le Père en maniant avec grand soin les choses temporelles, ce sont des choses saintes, elles appartiennent à Dieu. C'est capital pour nous. Adorons Dieu tout entier: Dieu le Père, le créateur, Dieu le Fils, le rédempteur, Dieu le Saint-Esprit, le sanctificateur. Le Père ne doit pas entrer moins dans nos adorations, dans la pratique de nos adorations, que le Fils et le Saint-Esprit.

Les frères coadjuteurs doivent donc employer leur temps, manier les choses matérielles avec dévotion. J'insiste beaucoup là-dessus. Il y a la rage du démon déchaînée contre cela. La franc-maçonnerie tourne de ce côté tous ses efforts. Voyez la rage des francs-maçons à Montceau-les-Mines, contre M. Chagot, parce que M. Chagot est chrétien et veut améliorer le sort des ouvriers. Toutes les fois que j'ai occasion de passer en ville avec un jeune homme, je rencontre des hommes de 40, de 50 ans qui me regardent avec des yeux féroces: ils ne veulent pas. On dirait des bêtes sauvages acculées dans leurs tanières. Cela ne s'était jamais vu à un tel point. Ils veulent s'emparer de la terre, de tout ce qui est. Cela est logique, puisque le diable se fait adorer par les francs-maçons. J'avais entendu des histoires, des confidences, que je regardais comme de drôles de choses, je vois que tout cela était vrai. On publie maintenant des révélations où des mêmes choses paraissent bien prouvées. La franc-maçonnerie en dernière analyse est le culte de Satan déguisé sous toute espèce de choses bizarres et burlesques. Le Grand Architecte de l'Univers n'est pas le Créateur, c'est vraiment le diable qu'ils reconnaissent comme l'architecte du monde. C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut entreprendre la lutte en nous battant non seulement contre les francs-maçons, mais contre le diable, en rendant à Dieu avec les âmes aussi les créatures matérielles qu'on veut lui enlever. Que les frères rendent donc à Dieu l’honneur et la gloire dans le maniement des choses matérielles en toute foi et amour, avec une foi et un amour analogues à ceux qu'ils rendent à Notre-Seigneur dans la réception des sacrements. Aux yeux de Dieu le résultat sera égal. Il n'en est pas ainsi à nos yeux, mais au jugement de Dieu l'emploi des choses matérielles doit être un moyen presque aussi puissant pour nous d'aller à Dieu.

Les frères coadjuteurs sont d’une importance capitale chez nous. Quand Monseigneur l’Evêque du Cap alla trouver la Propagande pour lui demander d’ériger la préfecture apostolique de l'Orange, il insista sur cette pensée que nos pères sont comme les anciens religieux, des travailleurs des mains, montrant aux populations sauvages la doctrine et l'exemple. Le signe de la croix commence par: “Au nom du Père”. C’est le Père, le Créateur qui vient le premier, c'est donc par les frères coadjuteurs que nous commençons.

La Règle permet aux frères coadjuteurs qui le veulent de réciter le grand office ou l’office de la sainte Vierge d'ordinaire ils ne récitent que l’office des Pater. La Règle réserve certaines charges aux Pères, en excluant les frères coadjuteurs; elle ne réserve pas l’économat qui peut donc par conséquent être remis entre les mains d'un frère coadjuteur ou d’un père qui n'est pas dans les ordres majeurs. Les frères doivent avoir grand soin de remplir toutes les fonctions qui leur sont dévolues avec une grande attention, avec un grand dévouement, avec autant de foi et d’attention que le prêtre qui dit la sainte messe. Si le frère est fidèle à cela, sa condition est bien préférable à celle des autres pour la facilité avec laquelle il fera son salut, il travaillera à l’œuvre de sa sanctification, et par conséquent sera utile à la congrégation.

La Règle dit ensuite qu'il faut avoir 16 ans pour être reçu au noviciat. Ce n'est pas trop l’habitude de recevoir à 16 ans mais on peut être obligé d'en arriver là à cause de la loi militaire. Don Bosco fait faire les vœux à ses religieux à 16 ans; il leur donne l'habit à 13 ou 14 ans. Ces jeunes gens restent de la sorte appliqués à toutes les choses de la vie religieuse, et les épreuves de l'état militaire les trouvent munis. Ils ne reviennent pas tous, sans doute, mais ceux qui reviennent sont de fort bons religieux.

Nous devons nous occuper de procurer des vocations, particulièrement dans les œuvres, dans les collèges, et préparer les âmes au service de Dieu. Nous en avons bien besoin pour ce qui existe et pour ce qui existera un jour. Préparons ces vocations par les moyens de saint François de Sales, en donnant à ces jeunes gens l’attention aux dons de Dieu, à la lumière qui éclaire leur âme et les conduit à leurs vrais intérêts.

La Règle détermine ensuite ce que le postulant devra donner pour subvenir à ses frais d'entretien. C'est au supérieur, au conseil, au maître des novices, de veiller à ce que celui qui se présente ne soit pas à charge à la congrégation. C'est une obligation très grave. L’Eglise demande qu'on entoure la réception des sujets de toutes les garanties possibles, de façon à éviter tout scandale et en même temps tout embarras. C'est dans ce but aussi qu’elle demande les lettres testimoniales dont parlent les Constitutions. L'Evêque doit toujours les donner quand on les lui demande, bonnes ou mauvaises. S'il les refuse indûment, alors c'est sur sa conscience, et dans ce cas le postulant n'a pas à s'en occuper. Prions beaucoup le bon Dieu de nous envoyer des ouvriers: “Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Mt 9:38). Notre-Seigneur pouvait bien les envoyer lui-même, ses ouvriers, mais il veut qu'ils ne viennent qu'après la prière qu'il fait faire à ses Apôtres.