Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les fonctions de la Congrégation

Chapitre du 11 février 1885

“Dans les œuvres on se dirigera, quant au but et aux moyens, selon le plan de notre bienheureux père, voulant faire et conserver des chrétiens sincères, généreux, forts dans la foi, fondés dans le détachement d’eux-mêmes, dans l’humilité et la mansuétude chrétiennes” (Const., Art. XV:9; p. 55-56).

Tel est le programme que nous devons suivre dans la direction intérieure comme dans la direction extérieure. Nous devons nous appliquer à faire et conserver des chrétiens, qui appartiennent non point à nous, mais au Sauveur. Travailler pour nous, nous rechercher nous-mêmes dans la direction des âmes, serait un malheur, car l'intrusion de l'homme dans les affaires de Dieu est toujours un grand dommage pour les âmes. Dieu ne bénit que ce qui est fait pour lui.. Quelque unis que nous soyons à Dieu, notre œuvre serait mauvaise, car "la corruption de ceux qui sont meilleurs que les autres est ce qu’il y a de pire” - [“Corruptio optimi pessima”]. Dieu se retirerait de nous, et nous aurions tout à redouter de sa justice.

“... faire des chrétiens sincères ...” — Il n'y en a guère; les êtres sincères sont rares. Le défaut de sincérité vient souvent du défaut d'instruction, surtout chez les femmes. En revanche, on trouve chez elles encore du cœur, de la générosité.

“... forts dans la foi ...” — Pour cela, il faut que nous soyons nous-mêmes des hommes de foi; demandons-la au Sauveur: “Augmente en nous la foi” (Lc 17:5). Car maintenant il y a de grandes défaillances, même, chose bien triste, chez des religieux et des ecclésiastiques. On croit en Dieu, mais on ne croit guère à sa Providence, à son influence sur le ministère. La foi est presque purement spéculative. C'est là malheureusement la foi du grand nombre. Or cette foi ne suffit pas. Demandons bien à Notre-Seigneur la foi pratique. C'est ce qui nous manque à nous tous; nous ne recourons pas assez au Bon Dieu dans tout ce que nous avons. Nous n'imitons pas en cela la bonne Mère Marie de Sales, qui ne faisait, n'entreprenait jamais rien sans avoir consulté le Sauveur. Elle répétait souvent qu’il faut en toutes choses nous confier en Dieu. Demandons aussi cette foi à notre saint Fondateur.

“... fondés dans le détachement d'eux-mêmes ...”— Ce n'est guère facile. On ne comprend plus ce que c'est que faire le sacrifice de soi-même à Dieu, au prochain. Eh bien! voilà notre programme, voilà le but que nous devons nous proposer. Il faut que nous arrivions là. Pour cela, il faut bien instruire les âmes dans les confessions, dans les prédications; il faut inculquer en elles la vie chrétienne, la vie de foi pratique. Il faut commencer par soumettre d'abord la volonté. La volonté une fois soumise, l'intelligence sera bien vite éclairée. Quand un homme ne comprend pas les choses de la religion, si on peut obtenir qu'il se confesse, il sera facile ensuite de faire briller à ses yeux la vérité. Mais il faut aussi, pour atteindre ce résultat que nous soyons de bon religieux. La grâce première est donnée par les sacrements, mais la grâce seconde est obtenue par la sainteté de celui qui la communique et produite par la fidélité de celui qui la reçoit.

“... dans l'humilité ...” — Cela est difficile, car l'humilité suppose déjà toutes les autres vertus dont elle est comme le couronnement.

“...  et la mansuétude chrétienne”.  — “Mettez-vous à mon école”, dit Notre-Seigneur, “car je suis doux et humble de cœur” (Mt 11:29). Cette vertu , il faut d'abord l'apprendre pour nous, avant de la communiquer aux autres. Rien ne gagne les âmes comme ce moyen. Il est remarquable comme à Rome on trouve des exemples de cette vertu: dans les congrégations, dans les rapports avec le pape, les cardinaux, les prélats, tout respire cette mansuétude recommandée par notre Sauveur. Efforçons-nous  donc à notre tour d'imiter le Sauveur dans la douceur et l'humilité de son cœur, portant partout les signes des vertus de notre vrai modèle et docteur saint François de Sales.  Il faut nous attacher à cela.

Je lisais dernièrement le livre de M. Harmel. M. Harmel était allé un jour rendre visite au Nonce. Le Nonce lui disait avec quel plaisir il voyait prospérer les œuvres en France:  “On s'efforce partout”, disait-il, “de grouper les ouvriers, de les réunir en associations, en corporations; il n'y a qu'en France où l'on trouve tant d'ardeur pour cela. Ce sont là aussi vos moyens, M. Harmel?” — “Non, Excellence, à mon avis, le meilleur moyen de ramener les âmes à Dieu, est d'aimer Notre-Seigneur de tout son cœur et de le faire aimer. Si les patrons aimaient Dieu de tout leur cœur, toutes leurs œuvres réussiraient”.

Ainsi la force de M. Harmel est dans la force de Notre-Seigneur et dans les sacrements, et la force la plus puissante pour ramener et convertir les âmes, c'est d'aimer Notre-Seigneur, de s'en approcher, et d'en faire approcher les autres. M. Harmel et plusieurs de ses ouvriers offrent leur vie et leurs œuvres pour que la volonté de Dieu s'accomplisse. Plusieurs sont morts après ce généreux sacrifice, et il en est résulté une inspiration profonde qui témoigne combien le bon Dieu aime ces choses. C'est bien là, du reste, la pensée de notre mère Marie de Sales. M. Harmel paraît être bien entièrement dans son esprit. Que ces pensées tiennent notre âme grandement recueillie en Dieu en qui nous irons chercher tout ce qui nous est nécessaire. Nous nous fonderons dans cette foi, sans quoi nous serons comme la feuille légère que le vent emporte et promène à son gré.