Allocutions

      

Êtes-vous capables d'aimer? Alors faites-vous Oblats.

Allocution du 28 septembre 1899
pour l’admission au noviciat des Pères Braconnay, Arandel, et Prévotat

Mes enfants, vous allez avoir deux patrons de votre oblation : Saint Michel Archange et notre vénérable Mère Marie de Sales. Quelques-­uns d'entre vous ont désiré que cette cérémonie se fît aujourd'hui pour témoigner de leur foi, de leur confiance en saint Michel. C'est que vraiment ces deux patrons renferment bien toute la pensée de l'institution des Oblats. Rien de plus fort, dit saint François de Sales, que les liens qui vont vous unir au bon Dieu. Il n'y a que les âmes bien fortes, bien généreuses qui puissent les supporter. Dans aucune Congrégation il ne faut, je l'affirme, autant de courage que chez les Oblats.

J'avais pour ami autrefois un Chartreux qui, avant d'être maître des novices de la Chartreuse, avait été mon condisciple au séminaire. À son entrée au monastère, ce jeune religieux resta pendant six ans en état de souffrance inexprimable. Il ne pouvait rien digérer, il avait des maux de tête tels qu'il allait, en plein hiver, se mettre la tête sous une fontaine pour calmer un peu la douleur. Il ressentait des douleurs de goutte tellement violentes qu'il ne comprenait pas, disait-il, comment son âme pouvait rester dans son corps. Les médecins déclaraient sa guérison impossible. Le supérieur lui disait: “J'en suis désolé, mais vous ne pourrez pas rester ici”. Mais, lui répondait: “J'ai promis au bon Dieu que je resterai malgré tout, et s'il veut me garder, c'est son affaire”. En effet, au bout de six ans, il alla mieux. Sa santé devint bonne, même vigoureuse. Il a fallu du courage pour faire cela, mes amis! Je ne sais pas si beaucoup d'entre nous pourraient en faire autant. Ces six années passées, il put reprendre les exercices communs avec assez d'exactitude pour être l'exemple et la vie du noviciat.

Chez nous, mes amis, il faut autant de courage, car ce n'est pas six ans, c'est toute la vie que nous devons lutter. Nous avons une suite d'exercices multiples, revenant sans cesse les mêmes, nous avons les mêmes pensées à prendre, les mêmes travaux à subir, soit intérieurement, soit extérieurement. C'est toujours la même chose, et cette même chose n'est accidentée que par quelque chose de moins agréable encore, des épreuves, des ennuis, des tentations. Voilà notre vie. C'est tellement notre vie que saint François de Sales nous dit, dans l'article de la direction, que dans chaque action nous devons “supporter toute la peine et mortification qui s'y rencontrera, avec paix et douceur d'esprit comme provenant de la main paternelle de notre bon Dieu et Sauveur” (Cf. Dir., Art. III; p. 33-34).

Est-ce une vie oiseuse, une vie qui n'a pas de sens, cette vie-là? Qui peut l'embrasser, sinon les courageux et ceux qui sont décidés à entrer dans la Voie? Il faut de la force, de la générosité. Il ne faut pas entrer dans ces systèmes modernes qui sentent la pusillanimité, le défaut de courage. Il faut du courage pour s'en tenir à la doctrine de la sainte Eglise. Il faut que nous soyons forts contre les tentations qui nous viennent du côté du monde, du côté de nous-mêmes ou des nôtres, du milieu où nous tombons. Il faut être fort pour ne pas se laisser aller à de petites fautes, ne pas manquer à la Règle par faiblesse ou timidité. Saint Michel nous est bien nécessaire, parce qu'avec cette force nous surmonterons les petits riens, les difficultés de tous les instants. Nous sommes bien décidés — c'est le vœu du saint Père — à entrer dans la sainte carrière de notre vocation, sans manquer à nos moindres obligations. S'il faut plus de force que pour jeûner et se lever la nuit, saint Michel viendra à votre secours.

Cette force nécessaire aura pour nous sa source, son principe, dans l'esprit de la bonne Mère. Autre chose, c'est bon, c'est parfait peut-être. L'esprit des Pères Jésuites est une excellente chose; il a conduit une multitude d'âmes à la perfection, et il en conduira jusqu'à la fin des siècles. Combien de saintes âmes aussi ont été attirées à l'odeur des parfums des Thérèse, des Jean de la Croix. Pourquoi limiter le bon Dieu et le forcer à changer ses plans? Laissons le bon Dieu agir et n'entravons pas les âmes, qui veulent marcher ainsi. Je me rends ce témoignage que jamais dans mon ministère, dans mes rapports avec les âmes, je n'ai voulu toucher du bout du doigt à telle ou telle direction pour infirmer la volonté de personne. Au contraire, je suis entré dans la pensée, le sentiment de chacun. Nous ne sommes pas l'Esprit-Saint, et ce n'est pas à nous à diriger son souffle. Ce n'est donc pas par esprit d'exclusion que je vous parle de la Voie de la Vénérable Mère Marie de Sales. C'est parce que c'est notre chemin à nous. Nous ne sommes capables de rien faire en dehors de cette doctrine-là. Elle doit conduire nos pensées, nos actes, notre extérieur. Il faut que l'homme de Dieu que nous sommes, représente la figure et l'image du divin Sauveur et que nos actions s'identifient avec les siennes, qu'on ne puisse plus les distinguer.

Je vous recommande la dévotion à la bonne Mère. Prenez sa Vie. Que ce soit votre guide; pénétrez-vous de la pensée qui me l'a fait écrire. Voilà l'Oblat, voilà le secret de sa puissance pour se sauver, lui, et en sauver un grand nombre d'autres. En ces derniers temps on a cherché à obscurcir cette doctrine, à la rendre suspecte. Tâche difficile, puisque ce n'est au fond que la doctrine de saint François de Sales, qui était celle de saint Paul et de saint Jean, qui est la propre parole de Notre-Seigneur, sa pensée, son cœur adorable. Nous avons donc à nous conformer à cette image du divin Sauveur, d'après le plan de saint François de Sales et de la bonne Mère. En faisant cela nous remplirons le vœu du Saint-Père. Un évêque, que je ne nommerai pas et qui va partir pour Rome, m'a fait dire par son secrétaire qu'il porterait au Pape une parole “qui réjouirait son cœur”— ce sont ses propres paroles — et qu'il avait, lui, évêque, en son âme, une vénération profonde pour la bonne Mère et une confiance illimitée en ses œuvres. C'est là notre vie, si nous sommes quelque chose dans la sainte Eglise. Pas grande chose actuellement, mais ce sera plus tard, ce sera quand nous aurons rempli ce programme.

Pénétrez-vous donc de confiance et d'affection pour tout ce qui s'attache à la bonne Mère; que ce soit la direction entière de votre âme. Un jour viendra pour tous où la tentation fondra sur vous. Vous direz: “Qu'ai-je fait? Dans quelle voie me suis-je engagé? Je n'y vois rien, je n’y sens plus rien”. Quand vous serez arrivés à ce passage difficile, ne regardez pas à droite ou à gauche. Prenez la main du Sauveur, suivez ses traces, et soyez sûrs qu'après la tempête la lumière et la grâce reviendront. Ce ne sera pas du temps perdu: vous y aurez mérité plus que dans toute autre circonstance de votre vie.

Etes-vous forts, généreux? Avez-vous du cœur? Êtes-vous capables d'aimer? Alors faites-vous Oblats. Sans cela, non! Vous ne seriez qu'une lettre morte. Je répète ce que me disait  il y a deux ou trois jours Monseigneur de Nice: “Oblat? Qu'est-ce que cela? Quel a été le premier Oblat? C'est Notre-Seigneur: «Oblatus est quia ipse voluit» (Is 53:7 - Vulgate). Dans la crèche, à Nazareth, au jardin sur la croix, il s'offrait. Maintenant il s'offre encore sans cesse. Il montre à Dieu ses plaies, il intercède pour nous”. Notre-Seigneur n'a pas été religieux proprement dit, il a été plutôt Oblat. La vie d'Oblat est bien la plus unie, la plus conforme à celle du Sauveur. Chez elle, il n'y a pas une minute, pas un instant qui ne soit donné à Dieu en holocauste, à l'imitation du Sauveur Jésus.

Ces choses, demandez à Dieu de les comprendre. Oh! la belle théologie! Comme elle éclaire l'horizon! Est-ce que saint François de Sales n'est pas le premier théologien de son temps? Est-ce qu'il n'est pas docteur de l'Eglise? Est-ce que partout à l'heure actuelle, ce n'est pas sa doctrine qui tend à régner, qui nous révèle le mieux les obligations que nous impose la loi de Dieu, la portée de ses mystères. Ce sont bien là les paroles de Notre-Seigneur lui-même qui nous éclairent, son exemple qui nous soutient.

Nous prendrons donc bien aujourd'hui la résolution d'être forts, énergiques, et de suivre pas à pas la marche enseignée par le Directoire. Le Directoire, c'est la présence de Dieu, l'attention à sa volonté actuelle et à son amour. En faisant le Directoire, nous avons une garantie immense: nous sommes sûrs de n'être pas seuls et de ne pas marcher à l'aventure. Il faut vouloir et s'y mettre de tout son cœur. Si vous faites bien cela, mes amis, vous êtes des saints à canoniser. Là en effet se trouve le sommet de la perfection chrétienne, le sommet de la sainteté. Je n'exagère rien. Vous le croiriez aisément, si vous aviez vu pendant quarante ans, comme moi, les effets du Directoire dans les âmes, sa personnification, dans la bonne Mère, dans beaucoup d'autres, dans M. l'abbé Beaussier, lui qu'on appelait le “Séraphin du sacerdoce”. Qu'est-ce qui avait rendu l'abbé Beaussier si puissant sur les âmes et sur Dieu? Le Directoire qu'il pratiquait avec une candeur, une simplicité admirable.

Nous nous résumons: du courage! de la générosité! Il nous en faut autant et plus que pour le martyre, car le martyre ne dure pas longtemps. On a vu bien des gens s'imposer des mortifications pénibles, supporter de longues souffrances sans défaillir. Mais combien a-t-on vu d'âmes fidèles à dépendre du bon Dieu continuellement? On peut les compter: ce sont les pratiquants du Directoire. Ce que je vous dis là, je l'ai entendu et je l'ai vu. Je cherche dans mes souvenirs, mes études, mes lectures quelque chose qui vaille mieux que le Directoire, et je n'en trouve pas. Oui, c'est le chemin le plus direct pour aller à Dieu sûrement. Entrons-y avec ardeur. Et quand finira pour nous l'heure de l'épreuve, les portes du Ciel s'ouvriront toutes grandes pour nous recevoir.