Allocutions

      

Seigneur, où demeurez-vous?

Allocution du 28 avril 1897
pour une prise d’habit et une profession à Saint-Bernard

Mes amis, vous étudiez pendant votre noviciat les moyens de sanctifier vos âmes, ainsi que les âmes des autres. Vous avez eu sans doute sur ce sujet beaucoup d'enseignements, de méditations, d'aperçus, parce qu'enfin il n'est pas admissible que quand on vient à la vie religieuse, quand on est destiné à travailler à sa perfection et à sauver les âmes, on n'ait pas, dans sa tête et dans son cœur, de fréquentes pensées pour cette fin. Vous vous êtes demandé souvent: Comment faut-il s'y prendre? De quelles ressources puis-je disposer pour cela? Or parmi ces moyens, il en est un auquel vous n'avez peut-être pas pensé. Il nous a été donné cependant directement par Notre-Seigneur lui-même. Voulez-vous que le bon Dieu soit avec vous dans tout ce que vous entreprendrez, au moins dans l'ordre de sa gloire et de sa divine volonté? Retenez bien ce texte : “Je vous le dis en vérité, si deux entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux” (Mt 18:19). Qu'y a-t-il donc à faire pour réussir? Il faut, quand nous sommes chargés de quelque œuvre avec un autre, ou plusieurs de nos frères, il faut mettre les volontés à l'unisson. Il faut s'entendre, il faut s'unir, et il faut se mettre de tout son cœur à la besogne. Et alors la prière qui monte vers le Ciel obtient infailliblement la réussite. Le supérieur ordonne quelque chose. Que cela aille, ou n'aille pas à votre nature, vous êtes consentant, vous vous y donnez de tout votre cœur. Vous réussirez, votre prière sera infailliblement exaucée. Le Sauveur sera avec vous, et quand le Sauveur est là, la chose peut toujours réussir, quels que soient les moyens que vous ayez pris, pourvu, bien entendu, qu'ils soient dans l'ordre de la volonté divine.

La parole de Notre-Seigneur est très claire. Pour en tirer autre chose, pour en conclure que cette union des volontés n'attire pas le Sauveur et n'est pas, avec lui, toute-puissante, il faudrait certes un interprète bien subtil. Comprenons bien cela, mes amis: c'est si bon de faire ce que le Sauveur a dit, c'est si juste d'avoir foi à sa parole qui est la vérité même! Voyez, dans l'Evangile. Qu'est-ce qui attire le plus son cœur? C'est la foi. Notre-Seigneur n'a d'éloge que pour la foi. Croyons donc, non seulement d'une foi spéculative, mais d'une foi pratique, de toutes nos forces de toute notre âme. Croyons à ce que Notre-Seigneur a dit puisque c'est vrai. Je dis souvent la même chose, mais il faudrait le répéter plus souvent encore, pour que cela devienne la base de toute votre vie religieuse: “Rabbi, où demeure-tu?” (Jn 1:38)—“Je suis entre le cœur de votre supérieur et votre propre cœur. Je suis entre le cœur de votre confrère et le vôtre. Je vous l'affirme: c'est là que vous me trouverez. Ailleurs, à côté? Je n'y suis pas”.

Voyez l'immense conséquence de cette parole, et aussi de la foi en cette parole. Ne soyons pas légers dans nos pensées, irréfléchis dans nos actions, indécis dans nos volontés, allant d'une chose à une autre, sans fixité, sans aucune principe qui nous arrête. Faisons concorder toute notre vie avec cette parole du divin Maître: “Rabbi, où demeure-tu?”, lui demandaient les premiers apôtres. — “Venez et voyez”, il leur répondait (Jn 1:39). Et il les conduisait sans doute dans l'humble réduit où il s'abritait alors, et il les admettait au nombre de ses disciples.

“Rabbi, où demeure-tu?”—“Me voici! Je suis ici entre vous et celui avec lequel vous travaillez”. Soyons des hommes de foi, de cette foi qui transporte les montagnes. La foi, vous le savez, opère tout dans l'ordre surnaturel. Ayez donc foi en cette parole du Seigneur. Ne retiendrez-vous de la cérémonie d'aujourd'hui que ces quelques mots, vous n'auriez pas perdu votre temps, vous auriez gagné un trésor, le trésor avec lequel on achète le Ciel.

L'enseignement de Notre-Seigneur est confirmé par toute l'histoire de l'Eglise. Voyez. Notre-Seigneur a 12 Apôtres et 72 disciples. Comment fait-il? Il ne les envoie pas en bloc, seuls, il les envoie par petits groupes, deux à deux, devant lui, pour préparer sa venue. Dans le gouvernement de l'Eglise, il n'y a qu'un seul chef, mais il s'appuie sur d'autres autorités, sur des conseils, des aides. Dans l'histoire particulière des œuvres accomplies dans l 'Eglise, c'est la même chose. Toute œuvre importante commence par plusieurs hommes qui s'unissent. Partout l'union qui fait la force: Basile s'unit à Grégoire de Nazianze. Partout, dans la suite des siècles, deux ou trois volontés unies donnent naissance aux grandes entreprises religieuses. Pourquoi? Parce que Notre-Seigneur a dit: “Je vous le dis en vérité, si deux entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux” (Mt 18:19). C'est une chose aussi sûre que la présence réelle du Saint Sacrement. On ne peut pas avoir la foi, si on ne croit pas en cette parole. C'est une parole de Notre-Seigneur; et toutes les paroles de Notre-Seigneur sont divines, et aussi vraies les unes que les autres, et aussi sûres les unes que les autres. La parole divine est toujours infinie de vérité et d'efficacité et par conséquent, elle ne doit pas rester sans effet.

Comprenons bien ces choses. Si nous agissons dans cet esprit de foi, nos œuvres seront puissantes. Elles pourront être laborieuses ou pénibles, mais dussent-elles être pénibles jusqu'à la mort, et à la mort de la croix, nous n'avons rien à craindre. Jésus est là, il nous entend, il nous apporte l'aide de sa main toute puissante. “Rabbi, où demeure-tu?” — “Je suis au milieu de vous”. Devant cette parole, je me prosterne, je crois, j'adore. Cette parole est mon secours et ma force, vous avez dit, ô vous qui êtes la vérité même, ô vous qui savez donner à vos paroles une efficacité toute divine. Qui est-ce qui peut expliquer cette parole autrement? Qui est-ce qui peut la regarder comme une figure, comme une hyperbole? Les protestants peut-être. Mais quel catholique oserait dire que c'est une figure, et non pas une réalité? Faisons bien de cette parole la doctrine de notre vie religieuse, comme faisait la bonne Mère. Je n'ai jamais vu la bonne Mère aussi remplie de foi et d'amour que lorsqu'elle interprétait et commentait cette parole du Sauveur. Souvenez-vous de ce que je vous dis là. Mettez cela dans votre cœur, pour que cela vous serve de point de départ. Mais pour quelles questions? “Quoi que ce soit”, pour toute espèce de choses, soit matérielles, soit spirituelles. Unissez-vous avec votre frère, et priez.

Est-ce à dire que vos deux esprits, vos deux volontés deviendront les mêmes? Non, le bon Dieu qui nous a faits dissemblables au physique, a permis que ce fût la même chose au moral. Il y a certainement du chemin à faire pour que, de part et d'autre, pour que deux volontés humaines soient consentantes. En donnant ce principe, le Sauveur donnait certainement le plus grand moyen de perfection et de sainteté, ce qu'il y a de plus beau, au regard des hommes et des anges. Faites-en l'expérience. C'est si beau, le religieux, l'homme agissant comme instrument vivant et libre de Dieu, qui ne se meut, qui ne veut opérer qu'en suite de la volonté divine, du bon plaisir du Sauveur. Aujourd'hui, puisque nous n'avons que deux participants à la cérémonie, ils garderont plus fidèlement le souvenir du sermon qui a été fait tout spécialement pour eux, pour la profession de l'un, pour l'entrée au noviciat de l'autre. Et cette parole du Sauveur étant bien comprise, ils seront assurés d'être toujours avec lui, parce qu'ils seront toujours en union avec leur frère. Ils seront tout à lui, ils marcheront derrière lui, et le jour où ils arriveront en paradis, c'est lui qui leur ouvrira la porte: “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde” (Mt 25:34).