Allocutions

      

Le sens qu’il faut donner à notre vie religieuse

Allocution du 25 février 1897
pour l’admission au noviciat du Père Deroux
et la profession du Père Jacquier

 Je vais vous dire ce soir, je vais vous donner le sens de notre vie religieuse. Où trouve-t-on la pensée tout entière de saint François de Sales? Quel est le livre où il a donné la clef de son esprit, le sommaire de sa doctrine? C'est assurément le Traité de l'Amour de Dieu. Le saint docteur a mis dans ce livre toute sa théologie savante, et aussi toute sa théologie pratique. Or le Traité de l'Amour de Dieu, c'est l'art de passer sa vie en la conformant à une doctrine, à une direction, que le saint avait suivie lui-même d'abord, et qu'il voulait inculquer aux âmes généreuses et qui pouvaient le comprendre; qu'il voulait inculquer — c'était son désir — à une société de prêtres qu'il aurait formés à cet esprit. La méthode de saint François de Sales que nous trouvons dans ce livre est nouvelle sans doute quant à son application spéciale, quand à ses détails pratiques. Mais, au fond, saint François d'Assise a vécu de cette vie, saint Bernard,  saint Jean l'apôtre bien-aimé, une foule de saints en ont vécu. C'est l'Evangile, c'est la sainte Ecriture. La méthode de saint François de Sales n'est que la réalisation facile et pratique de l'Evangile dans nos actions de chaque jour.

Quelle est donc cette vie que vous allez vous engager à pratiquer? Quelle est la doctrine et la méthode du Traité de l'Amour de Dieu? Je la trouve parfaitement résumée dans deux versets du Psalmiste: “Une chose qu’à Yahvé je demande, la chose que je cherche, c’est d’habiter la Maison de Yahvé tous les jours de ma vie, de savourer la douceur de Yahvé, de rechercher son palais” (Ps 27:4).
Le Psalmiste insiste sur ce mot: une chose. Mes amis, nous aussi soyons “un”. Il ne faut vouloir nous aussi qu'une chose. Soyons vraiment une unité, sans mélange, compacte, dans la maison du Seigneur, c'est-à-dire, soyons vraiment et entièrement religieux. Si vous cherchez, si vous agréez autre chose, en dehors, à côté, au milieu, vous n'êtes plus le religieux complet. C'est un mélange, c'est autre chose avec Dieu, ce n'est plus Dieu seul.

N'est-ce pas là la vérité philosophique qu'exprime le vieil adage: “Je crains l'homme d'un seul livre”, et que redisait, sous une autre forme, un judicieux prélat de Paris: “Je crains l'homme qui n'a qu'une chose à faire”. Mes amis, soyons ce que nous devons être, des religieux. Je ne dis pas parfaits. Oh! La perfection ne viendra que plus tard, mais des religieux tout à leur affaire, et vraiment un; des religieux qui habitent vraiment et uniquement dans cette maison du Seigneur tous les jours de leur vie, dans cette maison du Seigneur qui est la volonté de Dieu accomplie dans l'obéissance religieuse.

Mes amis, il faut que vous compreniez ce que c'est que cette joie céleste, cette volupté du Seigneur. N'est-ce pas cela, notre vie religieuse avec son oraison continuelle? N'est-ce pas la joie de notre âme qui doit être perpétuellement unie à Dieu avec Jésus-Christ? Nous entrerons dans l'allégresse du Seigneur par la prière, la prière en union avec nos frères. Sans la prière, qu'est-ce qui reste dans notre vie? En face de nos devoirs, des contradictions, des épreuves qui nous environnent, que pouvons-nous? Qu'est-ce qui reste de nous? La prière jette tout cela en Dieu, la prière nous unit à Dieu, elle nous amène à Dieu. Et avec Dieu, elle nous amène 1'allégresse. Que de fois j'ai dit à la bonne Mère Marie de Sales, quand elle me parlait du bonheur, de la joie de cette vie tout unie à Dieu: “Mais, ma bonne Mère, c'est si beau et si bon que c'est le Ciel sur la terre. Volontiers on oublierait le paradis”—“Ne dites pas cela”, répondait-elle, “cela scandaliserait”.

Mes amis, je ne vous dis rien d'exagéré. Prenez l'habitude de la prière continuelle, qui doit être la vie de 1'Oblat: prenez l'habitude du Directoire, qui est le Traité de l'Amour de Dieu mis en pratique, et vous verrez si vous ne trouverez pas la paix et le contentement du cœur, l'allégresse. Sans doute, à certaines heures, le calice pourra être amer, mais les bords de la coupe seront adoucis. Et quand l'âme aura bu, elle ne songera plus à l'amertume et ne trouvera plus que la douceur, que le miel dans sa bouche. Chaque jour, chaque quart d'heure de notre vie doit donc être une prière qui nous unit à Dieu. Prenons l'habitude de ne pas nous séparer d'avec le Sauveur. Pour comprendre ces choses, mes amis, il faut les pratiquer d'abord.

Je demande...de rechercher son palais [son temple - Vulgate]: Et quel est ce temple du Seigneur? Ce sont nos occupations, nos études, notre travail, ce sont les âmes que le bon Dieu nous a confiées. Est-ce que la littérature, par exemple, n'est pas le temple de Dieu? La parole de Dieu est la parole de son Verbe qui nous a manifesté les magnificences et les secrets du Ciel. Est-ce que la vraie et belle littérature peut-être autre chose que l'écho de la parole du Verbe, que l'irradiation de ce Verbe divin? Et c'est cet écho, cette irradiation, qui met dans nos pauvres paroles humaines le vrai, le beau, le bien. Dès lors pourquoi ne nous tiendrions-nous pas unis avec le Verbe, pendant que nous expliquons la littérature à nos élèves. Pourquoi ne redirions-nous pas ce qu'on chantait autrefois dans une hymne de la vieille liturgie troyenne: “Verbe divin, vous avez une double génération: éternelle, dans le sein de votre Père, et temporelle, au milieu de nous. Parlez nous au fond du cœur, et faites que nous-mêmes nous parlions aux âmes de cette parole qui éclaire”.

Mes amis, voilà notre secret, voilà ce que nous apprend le Directoire. Nous trouvons Dieu dans toutes les choses que nous faisons. Cherchons-y sans cesse la coopération du Verbe divin, approchons-nous, éclairons nos âmes à ce divin flambeau. Je le répète, c'est là toute la doctrine de saint François de Sales, c'est tout le Traité de l'Amour de Dieu.

Et la science, n'est-elle pas aussi le temple de Dieu? Maintenant, vous le savez, sur la terre se renouvelle la grande lutte qui eut lieu avant la création du globe au premier jour du monde. L'ange de lumière devient ange de ténèbres. Lucifer se révolte contre Dieu: il veut détruire le règne de Dieu. C'est la même chose aujourd'hui: Satan se retourne contre le Ciel et veut supplanter Dieu. N'est-ce pas ce qui se lit dans les journaux et dans les livres? La science officielle n'entreprend-elle, pas de détruire jusqu'au nom même de Dieu? Pourquoi nous, Oblats, ne ferions-nous pas ce qu'on fait les anges fidèles? Pourquoi ne nous appliquerions-nous pas à trouver dans nos études la confirmation, l'appui, le développement de notre foi? Ce serait l'occasion de nous tenir de plus en plus unis à Dieu. Faisons de notre science, de nos études scientifiques, l'argument invincible de notre foi, et le moyen de nous tenir unis à Dieu. Oui, visitez le temple de Dieu qui s'appelle la science!
 
Quel est encore ce temple du Seigneur? Ce sont nos âmes, et ce sont les âmes que Dieu nous a confiées, et dont nous avons à nous occuper, directement ou indirectement, directement, si nous avons la charge de les diriger et de les conduire, indirectement, si nous avons à leur faire du bien, de quelque façon que ce soit. Visitons bien les âmes, et visitons-les à la manière de saint François de Sales. Quel respect, quelle vénération ne portait-il pas à ces images de Dieu! Quelle attention pour ne pas déranger le souffle divin! Quelle étude, quelles prières, pour aider chaque âme à trouver sa voie! Mes amis, comme Dieu est beau dans une âme qui se sanctifie! Et qu'il est divin ce temple, demeure passagère, semble-­t-il, que Dieu s'est choisie dans la sainte communion, mais demeure permanente, quand l'âme sait et veut vivre avec son Dieu!

Soyons de bons Oblats, formons-nous à l'école de saint François de Sales, lisons et étudions le Traité de l'Amour de Dieu, pratiquons le Directoire surtout, pour apprendre à bien connaître les âmes, pour apprendre à visiter ce temple de Dieu, à l'orner, à le faire resplendir. Avec quoi l'ornerez-vous, si vous n'avez rien? Munissez-vous, en vous pénétrant de saint François de Sales, en vous nourrissant de ses écrits. Chaque jour, aimez à venir contempler le Sauveur dans ce limpide miroir, à essayer de mettre vos pas dans la trace de ses pas. Parlez avec le Sauveur le long de la route, et vos cœurs seront brûlants dans vos poitrines. Mes amis, voilà la Voie. Suivez-la, et votre vie sera appuyée sur les fortes vertus et sur les indicibles consolations.