Allocutions

      

Les quatre manières d’être toujours avec Dieu

Instruction du 21 Novembre 1888
à l’occasion du renouvellement des vœux

Notre-Seigneur a dit: “Hors de moi vous ne pouvez rien faire” (Jn 15:5). Il faut donc que nous trouvions le moyen de ne rien faire sans lui, d'être toujours avec lui. “Le Seigneur soit avec vous”, nous dit fréquemment le prêtre à la sainte messe et avant toutes les oraisons dans lesquelles on s'adresse directement à Dieu. Quel est donc le moyen à employer pour être toujours avec le bon Dieu, puisque sans lui tout ce que nous faisons est parfaitement inutile?
Saint Thomas dit qu'il y a quatre points à observer pour être toujours avec le bon Dieu, et que le Seigneur est avec nous d'abord par la foi. Par la foi notre intelligence s'unit à celle de Dieu. Nous n'opérons, nous n'agissons, nous ne discourons qu'en suite de notre union d'intelligence avec Dieu, voilà la foi: “Habiter en Dieu par la foi”. C'est par la foi que nous habitons en Dieu, que nous opérons en Dieu. Or cette foi l'Oblat de Saint François de Sales doit l'avoir sans bornes, sans limites. “Ayez la foi de Dieu”. Comprenez bien cette parole. Il n'y a pas: “foi à Dieu”, mais: “foi de Dieu”. Croyez non seulement à Dieu, mais à tout ce que Dieu croit. Que votre foi soit donc bien profonde, bien établie, bien active. Augmentez votre foi, en faisant fréquemment des actes. Inspirez vos prières de l'ardeur de cette foi, demandez à Dieu, sûrs d'obtenir tout de lui: “Si vous avez la foi comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne: Déplace-toi d’ici à là , et elle se déplacera, et rien ne vous sera impossible” (Mt 17:20). Augmentez donc en vous cette foi. Qu'elle soit simple, cordiale, qu'elle croie bien à la toute puissance de Dieu, que ce soit cette foi douce, mais confiante, qui croit à son Père, à sa toute puissance, à son amour.

Sans doute il ne faut pas de la crédulité, croire toutes choses, toutes les histoires qu'on raconte, mais ayons cette foi en Dieu qui croit tout ce que Dieu croit, tout ce que Dieu sait, tout ce que Dieu veut. Demandez cela au bon Dieu aujourd'hui et pratiquez-le tous les jours de votre vie. C'est la doctrine de saint François de Sales. Si nous n'étions pas si raisonneurs et si nous prenions à la lettre toutes les paroles de l’Evangile, notre foi n'hésiterait pas. Elle serait simple mais sûre. Croyez à l'Evangile, croyez à toutes les choses de la vie religieuse, de la bonne Mère. Aimez tout cela, croyez-y de cœur, comme des enfants bien nés croient à la bonté, à la puissance, à la force de leur père. Lorsque vous aurez cette foi Dieu habitera en vous.

Le Seigneur sera avec vous en second lieu par la concorde, la charité fraternelle. Que dit Notre-Seigneur? “Je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander n’importe quoi, cela leur sera accordé par mon Père qui est au cieux. Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux” (Mt 18:19-20). La concorde en soi n'est pas la charité, c'est une entente presque matérielle. Toutes les fois que vous vous entendrez entre vous de n’importe quoi je serai au milieu de vous. Donc un grand moyen d'obtenir que Dieu soit avec nous, c'est de faire chacun l'abandon de notre volonté propre. Ainsi nous acquerrons une puissance qui passe pour ainsi dire les règles de la raison, la puissance de la raison. Notre-Seigneur lui-même fera nos affaires. Il sera au milieu de nous, toutes les fois que deux ou trois d'entre nous s'entendront de quelque chose que ce soit. Remarquez encore qu'il ne s'agit pas là de choses surnaturelles ou du bien des âmes et de la plus grande gloire de Dieu, Faites cela et croyez que Dieu sera avec vous.

Saint Thomas dit que la grande puissance de l'état religieux vient précisément de cette nécessité qu'a chacun des membres d'un ordre religieux de se trouver d'accord, de s'entendre avec ses frères, d'acquiescer à leur vouloir, de se détacher de ses vues, de les sacrifier aux vues moins parfaites de ses frères. Cette promesse de Dieu est la promesse vraiment la plus extraordinaire et la plus étrange. Et si cette concorde devient chez nous de la vraie charité, de l'amour, l'union que vous contracterez ainsi avec Dieu sera d'autant plus complète.
La troisième manière d'être avec le Seigneur, c'est par l'obéissance. L'obéissance entière, absolue fait que nous habitons avec Notre-Seigneur. Il le dit lui-même: “Ce n’est pas en me disant ‘Seigneur, Seigneur’ qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux” (Mt 7:21). Si vous observez mes commandements, je suis avec vous. C'est-à-dire, l'obéissant et moi nous ne faisons qu'un, comme je ne fais qu'un avec mon Père. Or dans l'état religieux, l'obéissance est le ressort perpétuel. Le prêtre séculier n'a pas cette ressource. Il obéit bien aux grandes lois de la sainte Eglise; il fait partie de cette armée immense, où chacun doit bien observer de marcher aux moments indiqués. L'obéissance l'atteint d'une façon générale. L'obéissance religieuse atteint la volonté non seulement d'un façon générale, mais dans le fait particulier, spécial. Le religieux seul, dit saint Thomas, a le monopole de l'obéissance; il peut en recueillir des fruits immenses, incompréhensibles. Celui qui obéit remporte des victoires, non seulement sur lui-même, mais aussi sur le cœur de Dieu. Dieu habite en lui, il marche, il travaille avec lui.

Saint Thomas ajoute une quatrième condition pour faire venir Dieu en nous, c'est la contemplation, l'oraison. Il cite à ce propos ce texte de l'Apocalypse: “Voici que je me tiens à la porte et je frappe; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi” (Ap 3:20). J'ai frappé et vous m'avez ouvert, j'ai soupé avec vous et je n'ai plus fait qu'un avec vous. Le matin dans l'oraison, le soir dans la visite au Saint Sacrement, il faut que notre âme s'entretienne tout cordialement avec Dieu; il faut que le cœur aille de l'avant, qu'il accepte Dieu et qu'il se donne à Dieu. L'oraison de l'Oblat de saint François de Sales, celle que lui a enseignée la bonne Mère, n'est pas autre chose qu'un entretien avec Dieu sur ses affaires. L'Oblat prend l'habitude chaque jour de ne pas s'isoler dans ses œuvres, de ne pas rester seul à chercher son chemin, à porter son fardeau. Il met Dieu de moitié dans tout cela.

C'est l'oraison faite ainsi qui nous constitue, qui nous fait vraiment religieux et Oblat. Qu'est-ce qui nous donnera notre forme, notre pensée, notre manière de voir, de juger, notre moi? La tradition de tout notre être à Dieu et la communication aussi complète de Dieu à nous. C'est dans l'oraison que se fait ce divin échange. Notre vie doit être une communication continuelle avec Dieu, l'entretien céleste commencé dès ici-bas. L'oraison pratiquée ainsi et pratiquée surtout par les religieux, dit saint Thomas, opère des choses merveilleuses, divines; elle débarrasse notre cœur de tout ce qui gêne la présence divine. Alors nous sommes dans le courant de la vraie vie; nous ne vivons plus pour nous, et la vie de Dieu s'infiltre en nous par l'oraison.

Cette oraison ne doit pas se borner au sacrifice du matin et à celui du soir. Elle doit être continuelle: cet entretien de notre âme avec Dieu doit durer toujours. Il faut “prier sans cesse et ne pas se décourager” (Lc 18:1).Comment entendre cette parole? Pouvons-nous donc prier avec des formules perpétuellement? Non, sans doute. Mais prions par toutes nos actions faites pour Dieu, par les actes de foi, d'obéissance, de charité fraternelle, de renoncement, par cet état d'union surtout, de vie intérieure avec Dieu, de correspondance à la grâce qui n'est que la réalisation de notre vœu de sous-diaconat, la vie avec Dieu, le Seigneur avec nous.

Marchons bien dans cette voie. Dans ce moment où nous allons renouveler au bon Dieu nos vœux religieux, où nous allons les renouveler avec ceux de nos Pères qui sont au loin, donnons-nous bien tous et entièrement à Dieu. La tâche de nos Pères qui sont dans les missions est plus dure que la nôtre, leurs journées sont plus laborieuses, leur pain n'est pas si assuré. Ils sont sujets à des tentations, à des luttes bien autrement violentes que les nôtres, de la part du démon et de ses agents. Le démon du désert est terrible. Satan qui règne dans les lieux inhabités cherchant à saisir ceux qui passent. Quand ce démon a pu s'emparer de quelqu'un, c'est un état de possession violente, c'est là la pensée de la sainte Ecriture. Nos Pères sont seuls; aidons-les, appelons-les par la sainte charité au milieu de nous, donnons-leur de notre surabondance, de notre paix, de notre tranquillité, des secours que Dieu nous donne si généreusement, afin que la réunion soit complète, afin que la communauté tout entière trouve la force qui lui permette de faire ce pourquoi elle est établie, qui lui fasse remplir ses vœux et accomplir la volonté de Dieu et les désirs de la sainte Eglise.

Que Dieu soit un-Dieu-avec-nous. Il est avec nous, comme il était avec les premiers solitaires et les premiers moines. Saint Antoine dans la tentation s'écriait: “Seigneur, où êtes-vous?”—“Antoine, je suis avec toi”, répondait Notre-Seigneur, “avec toi surtout dans la tentation”. Seigneur nous croyons que vous êtes avec nous et nous ferons tout ce que nous pourrons pour que vous y restiez à jamais.