Allocutions

      

Le vêtement religieux

Allocution du 14 avril 1884, lundi de Pâques,
pour la prise d'habit du Père Louis Gat

Mon cher ami, nous allons vous donner la soutane. Le proverbe, bien connu et bien judicieux, dit: “Ce n'est pas l'habit qui fait le moine”. La soutane ne fait pas le prêtre et le religieux, sans doute. Cependant, bien comprise et bien portée, c'est non seulement un signe, mais c'est encore une chose, une réalité. L'habit a toujours été considéré comme une marque distinctive, un témoignage. Joseph était le préféré de son père. Pourquoi Jacob l'aimait il entre tous les autres? Ce n'était pas seulement parce qu'il était le fils de Rachel, son épouse bien-aimée. C'était encore et surtout à cause de la pureté de son âme, de sa droiture et de sa simplicité. Il ne ressemblait pas à ses frères. Il avait révélé à Jacob que ceux-ci s'étaient rendus coupables d’un crime haineux. En témoignage de cette affection singulière qu'il lui portait, Jacob avait revêtu Joseph d’une “tunique ornée” - [“tunicam polymitam”] (Gn 37:3). C'était d'Egypte, sans doute, que venait cette tunique. Les arts étaient très développés chez les Egyptiens. L'orfèvrerie, quoiqu'elle ne soit pas du même style et du même genre, valait bien celle de nos jours. Les tissus étaient bien aussi artistement travaillés. Les savants commentateurs, parlant de cette tunique de Joseph, disent qu'il ne faut pas traduire “polymitam” par “de diverses couleurs”, mais par “de diverses nuances”. Sous l'influence des lumières diverses, des lieux différents où elle était placée, elle avait des reflets et des nuances différentes. Saint Chrysostome, s'emparant de cette signification, lui compare le vêtement sacerdotal, qui entoure et protège le prêtre, l'aide et reflète des nuances diverses selon les milieux et les circonstances où le prêtre se trouve et agit.

Le prêtre étudie, et son vêtement sacré reflète une lumière céleste, la lumière de la science divine. Il inspire le recueillement, il attire les illuminations d'en haut. Le prêtre prie, et la soutane reflète une nuance différente. C'est l'attention, la ferveur qui entourent le cœur du prêtre, qui l'éloignent des distractions de la terre, qui échauffent sa piété. Le prêtre souffre et se dévoue, et le vêtement sacerdotal reflète alors la nuance du martyre. C'est un habit de force et de courage et d'héroïque dévouement. Il y a donc, dans le vêtement sacerdotal, une grâce appropriée à toutes les circonstances de la vie. La soutane, le vêtement religieux, protège, garde et bénit le prêtre, le lévite, le jeune religieux à chacun de ses pas.

Qu'est ce que le prêtre, qu'est ce que le religieux sans soutane? Sans doute, il est des pays où le port du vêtement sacerdotal est prohibé. C'est un malheur. Que de faux pas, que d'imprudences, que de fautes qui échappent sans doute souvent aux yeux du monde sont la conséquence de ce malheur! Notre saint Fondateur baisait avec amour chaque matin en la mettant, sa soutane. La modestie, que représente ce saint habit, revêtait chez lui, à chaque matin, le prêtre et l'évêque.

Portez ainsi le vêtement religieux chaque jour de votre vie et, à votre dernier jour, les anges porteront votre soutane aux pieds de Dieu: “Reconnaissez-vous la tunique de votre fils bien-aimé?” — “Oui, je la reconnais. Sans doute, elle a pu recevoir des taches; elle a pu être maculée par la poussière du chemin, la dent des bêtes féroces a pu l'ensanglanter, mais je la reconnais néanmoins, c'est bien la tunique de Joseph!”

Un mot encore, et j'ai fini. C'est aujourd'hui la Résurrection. Quand Jésus sortit vivant du tombeau, il laissa, sous la garde des anges, les linceuls et le suaire qui l'enveloppaient, et qui étaient marqués de ses plaies, du sang des pieds et des mains percés, et des plaies de la couronne d'épines et de la blessure du côté. “Qui me donnera”, s'écrie saint Bernard, “de m'envelopper de ce suaire précieux et de marquer sur mon corps les traces sanglantes des plaies de mon Dieu imprimées sur ce vêtement sacré?”—“Que demandes-tu, Bernard? Le blanc vêtement que tu portes, n'est ce pas le linceul du Seigneur et n'imprime-t-il pas sur ton corps les blessures que le corps du Seigneur y a imprimées? Ne sens tu pas que tes mains sont clouées par l'obéissance, que tes pieds sont attachés et ne peuvent se mouvoir que par l'obéissance, que ton cœur surtout a été entr'ouvert par l'attouchement des plaies du Seigneur, et que de cette blessure il du sang en abondance?”