Allocutions

      

La conscience religieuse

Instruction au noviciat du 26 décembre 1883
à la Chapelle du Petit Collège.

Notre Saint-Père le Pape me disait l'année dernière: “L'Eglise a besoin de religieux, et de religieux dévoués jusqu’à l’effusion du sang”. Il faut que vous soyez, mes enfants, ces religieux dévoués, ces hommes de sacrifice jusqu’à l’effusion du sang. Et ce sacrifice, cette effusion de sang que l'on vous demande, c'est la conscience religieuse. Savez-vous ce que c'est que la conscience religieuse? Il n'y en a pas quatre parmi vous qui le sachent. Et comment le sauriez-vous? Je ne vous en fais pas un reproche.

Il y a d'abord la conscience chrétienne. C'est la conscience du commun des fidèles: il faut observer la décalogue et les préceptes de l'Eglise, il faut mener une vie qui ne soit pas en contradiction avec la foi chrétienne. Voilà la conscience chrétienne. Il y a ensuite la conscience sacerdotale. C'est l'ensemble des devoirs et des obligations du prêtre. Il doit donner Dieu aux âmes. Il faut une perfection, une pureté de conscience beaucoup plus grande qu'aux simples fidèles. “Nous autres, prêtres”, me disait un jour, alors que j'étais au séminaire, un bon curé, “nous autres, prêtres, ce qui nous perd, c'est qu'il faut être toujours en état de grâce!” L'expression avait trahi la pensée de ce brave homme, et lui avait fait dire ce qu'il ne pensait pas, et ce qu'il ne voulait pas dire. Ce qu'il voulait dire, c'est qu'il fallait au prêtre une sainteté beaucoup plus grande qu'au simple fidèle.

La conscience religieuse ne va-t-elle pas plus loin encore? Vous observerez la loi de Dieu Une certaine perfection, est ce tout? Et vous violerez habituellement vos règles, votre Directoire, le silence? Qu'est ce que cela, un mot, une petite parole? Oh! Cela, c'est très grave. Vous n'êtes plus religieux, vous blessez la conscience religieuse! En un sens, c'est aussi grave que de blesser la conscience sacerdotale, la conscience chrétienne. Comprenez-moi bien. Je ne veux pas dire que manquer au Directoire, à la Règle, au silence, soit un péché mortel, comme de violer le décalogue, comme ferait un péché mortel un médecin qui laisserait mourir un malade par sa négligence, un prêtre qui n'administrerait pas les sacrements. Non, en soi, la gravité n'est pas la même. Mais le résultat, au fond, n'est-il pas analogue? Vous perdez votre conscience religieuse par la désobéissance, comme le chrétien perd sa conscience par le péché mortel, comme le prêtre perd la sienne par sa négligence, et vous n'êtes plus religieux. Quel être êtes-vous donc?

Comprenez bien cela, comprenez l'importance de ces petites choses qui font l'observance religieuse. “Mais enfin, mon Père, un mot, qu'est ce que cela? Cela n'a pas de gravité”. Un mot, c'est énorme. Répétez-le fréquemment, et vous avez perdu encore une fois votre conscience religieuse.

Nous voyons maintenant pourquoi les saints, pourquoi la bonne Mère Marie de Sales avaient tant d'estime des moindres observances, des plus petites obéissances. Lisez la vie des Pères du désert, la vie des saints religieux. Vous savez l'histoire de celui qui ramassait à la cuisine, avec une épingle, deux lentilles qui étaient tombées entre les fentes du pavé. Qu'est-ce que c'est que cela, ramasser deux lentilles avec une épingle? Ce n'est rien. Mais ce même religieux ressuscitait les morts. Est ce quelque chose cela, ressusciter les morts? Et il ressuscitait les morts, parce qu'il avait ramassé les deux lentilles avec une épingle, parce qu'il était obéissant et qu'il avait la conscience religieuse.

Appliquez vous aux moindres observances du Directoire. Tout est là. Rossini, enfant, alla trouver un grand musicien”. Apprenez moi la musique, je veux devenir un grand artiste” — “Tracez une portée sur ce papier, et écrivez les sept notes de la gamme. Eh bien! Maintenant, emportez cela. Quand vous saurez bien votre gamme, quand vous aurez approfondi toutes les convenances et toutes les différences de chacun des sens de la gamme, vous serez un grand musicien”. Tout est dans les petites pratiques du Directoire.