Retraites 1894

      


HUITIÈME INSTRUCTION
La confession de retraite - La visite  - Les rapports avec les étrangers

Nous touchons à la fin de notre Retraite. Faisons bien en sorte que jusqu'au dernier moment tous les exercices de la Retraite nous soient profitables. C'est la moisson que nous faisons maintenant. Ce n'est pas sans travail, sans contre- temps, sans lassitude ; mais enfin c'est la moisson ; les fruits sont là dans le sillon, les épis s'amassent. Jusqu'à la fin ne perdons pas le fruit d'un seul de nos exercices. Mettons‑nous en garde contre la dissipation du dernier moment qui peut faire évanouir en un instant tout le bénéfice des bonnes résolutions.

Je ne vous parle pas de vos confessions de Retraite. Vous les faites bien ordinairement, faites‑les mieux encore pendant la Retraite. Qu'elle soit bien entière, naïve, complète. Ne craignez pas de descendre, la lampe du sanctuaire à la main, jusque dans les derniers replis de votre conscience, jusqu'au fond. Ne gardez pas d'embarras, de choses douteuses, de ces petits riens, qui sont parfois de petits dieux, de petites idoles. Ne faites pas comme cette femme des Saints. Livres qui cachait et emportait ses petits dieux sous la housse de son chameau. Mettez tout cela à découvert devant le bon Dieu par un bon examen, et devant votre confesseur par un aveu sincère et naïf. Ne remettez pas cette exécution à une autre fois, à un autre jour, à un temps plus favorable. Voici le jour favorable, voici le jour du salut.

Que cette confession de Retraite soit si bien faite qu'elle serve, de type à toutes les autres confessions de l'année. Qu'elle soit donc faite pieusement avec un grand amour du bon Dieu dans le cœur, dans un grand et profond recueillement. Les paroles d'accusation que vous dites sont la matière du sacrement ; dites‑les donc avec une grande dévotion, avec une vive foi au ministère sacré auquel vous venez demander secours.

Le confesseur est toujours inspiré de Dieu quoi qu'il vous dise et quoi qu'il vous conseille. Ecoutez‑le. Regardez ses paroles comme l'expression de la Volonté précise de Dieu sur votre âme ; recevez‑les avec une très profonde humilité. Faites ainsi, et vous trouverez dans le sacrement de pénitence une ressource immense, ou non seulement vous purifierez votre âme de ses fautes, mais vous la referez, vous la rajeunirez. La grâce descendra surabondamment en vous ; vous aurez les saintes allégresses de l'innocence recouvrée. Pour la pauvre âme du pécheur qui voyage ici‑bas, la confession de Retraite est la station, l'oasis, le repos, le rafraîchissement, Confessez‑vous bien de tout votre cœur de toute votre âme. Montrez votre âme tout entière et telle qu'elle est. Mettez‑la bien aux pieds de votre confesseur. Ecoutez avec attention, avec cœur, avec foi les paroles qui vous sont dites, et qui portent grâce avec elles. C'est cela précisément qu'il vous faut ; c'est ce dont vous avez besoin. Ne vous érigez pas en juge, vous êtes criminel. Acceptez humblement et avec confiance ce que le bon Dieu vous envoie. Et vous aurez au fond de votre cœur une grande paix.

Ce matin, je vous disais tout le bonheur de l'Oblat qui, avec son Directoire, a en main un passeport assuré pour le ciel. Il pourra dire en toute confiance à Notre-Seigneur :” Seigneur, je n'ai su faire que cela ! “Ce n'est rien le Directoire, quelques pensées, quelques intentions . pourtant nous sommes sûrs d'être dans le bon chemin. La confession de Retraite complète le Directoire. Elle achève la sécurité de notre vie ; elle purifie nos fautes, elle rachète nos manquements. Qu'est‑ce qui peut nous manquer dès lors pour être dans une inébranlable sécurité?

Faites donc bien votre confession de Retraite. Qu'elle serve de modèle, je le répète, de type achevé pour vos confessions de l'année, Encore une fois il faut estimer au‑delà de tout ce que nous pouvons supposer, les bienfaits que l'on recueille d'une bonne confession. C'est le remède du péché et de la fragilité ; elle remet l'âme déchue et meurtrie dans la grâce complète de Dieu.

Ayez une souveraine dévotion au sacrement de pénitence, ‑ et c'est aux Confesseurs que je m'adresse, ‑ et vous communiquerez ce sentiment à vos pénitents. On ne donne que ce qu'on a. Ayez un grand respect, une vive foi, une confiance absolue, pour ce qui vous concerne, dans la confession ; et les âmes dont vous serez chargés participeront à ces sentiments, s'en nourriront ; et la confession  sera pour eux un immense bienfait.

Soignez donc tout particulièrement cette confession de Retraite. Ecrivez vos bonnes résolutions : c'est nécessaire pour qu'on s'en souvienne et qu'on les mette en pratique. Ayez votre petit  cahier de Retraite, - quelques feuilles sur lesquelles vous écrirez quelques bonnes pensées avec vos résolutions. Mettez là, les promesses que vous ferez au bon Dieu. Quand vous les reverrez de temps à autre, vous vous demanderez si vous les avez accomplies ; vous prendrez de nouveau, comme vous le faites aujourd'hui, les moyens d'y être fidèles.

Il nous reste à expliquer ce matin notre troisième mot de guet,  vi : par le Directoire, par la charité et par la visite, l'Oblat se conserve dans toute la vigueur de son Institut.

Avant d'entrer dans cette explication, je pense que tout le monde sait et se rend compte que le Chapitre Général a  force de loi. Il en est ainsi dans toutes les Congrégations. Le Chapitre Général est la réunion officielle des religieux qui se concertent pour déterminer et formuler des décrets qui ont force de loi. Sans doute l'autorité n'est pas absolument la même que celle de la Constitution donnée par le Pape et la Sainte Eglise ; mais c'est une loi de détail destinée à faciliter l'accomplissement de la première. La Constitution est analogue aux commandements de Dieu, et le Chapitre Général aux commandements de l'Eglise. On a tenu, et on tient encore des Chapitres Généraux dans tous les Ordres. Les Annales de Citeaux rapportent qu'on tint un Chapitre Géneral à Citeaux peu de temps après la mort de Saint Bernard et qu'on y décréta qu'on ne présenterait plus dorénavant aucune chose de béatification à la Cour de Rome. Le motif de ce décret était que ces causes devenaient de plus en plus nombreuses dans l'Institut et étaient l'occasion de trop d'embarras pour les maisons. Nous n'avons pas encore à formuler un pareil décret !

La Visite. ‑ Qu'est‑ce que la Visite ? Il y a deux espèces de visites : la visite annuelle, officielle, et d'autres visites qui se peuvent faire en d'autres moments. La Visite doit se faire par le Supérieur Général. Quand par suite de  ses grandes occupations, de son âge, de ses maladies, il est empêché de la faire par lui-même, il la fait par un autre. Le Visiteur est donc désigné par le Supérieur Général ; il doit prendre les ordres directement du Supérieur Général, afin qu'il puisse bien remplir sa mission, et qu'il soit fidèle à ne l'exercer que dans les limites que le Supérieur Général lui désigne.

La visite officielle doit se faire une fois par an. Elle comporte un certain apparat, une certaine solennité. Partout  le Supérieur sera reçu par tous les religieux. On se rendra à la chapelle ; on dira le Veni Creator, le Benedictus. Le Visiteur rappellera sa mission en quelques mots, et les principaux points à traiter avec chaque religieux. Il préparera les âmes, en un mot, à bien recevoir les bienfaits de la visite. Ce qu'il dit doit disposer les âmes à la confiance ; il doit se mettre à la disposition de chacun pour recevoir les confidences, et ce que chacun peut avoir de peines, d'embarras, de difficultés. Il doit  voir surtout le Supérieur de chaque maison, avec lequel il doit conférer de tout ce qui concerne le bon gouvernement de la maison. Il doit avoir pour le Supérieur tous les égards possibles ; il faut qu'il agisse de façon à être son plus grand appui  vis à vis des autres religieux, son grand secours aussi et sa consolation au milieu des difficultés et des travaux qui lui incombent.

Il examinera consciencieusement tous les emplois de la maison ; il s'assurera du maintien du bon ordre et pour le matériel et pour le spirituel, il interrogera le Supérieur pour savoir comment la Règle est gardée ; si l'on observe ponctuellement tout ce qui a été recommandé.

Chaque religieux ne manquera pas de le venir voir en particulier, sans qu'il y ait aucune exception, ‑ ceux qui croient avoir besoin de sa visite, comme ceux qui ne croient pas en avoir besoin ‑ ; et cela pour témoigner le respect qu'ils ont tant pour le Visiteur que pour la mission dont l'autorité l'a chargé. Le Visiteur les encouragera, il les animera de tous les sentiments de charité, de dévouement, d'obéissance qui nous sont nécessaires pour bien accomplir notre tâche. Il fera, en toute charité, les reproches qu'il jugera bons ; il donnera les conseils qu'il verra utiles ; et tout ce qu'il dira aura certainement une grande et salutaire action.

La Visite se terminera par une réunion à la chapelle, où le Visiteur fera une nouvelle instruction et recommandera les principaux points à réformer s'il y en a, le tout se terminera par la Visite au Saint Sacrement et le Te Deum.

Les autres Visites qui se feront dans le courant de l'année auront un autre caractère. Le Préfet des Etudes en fera spécialement une  ; il ira s'enquérir si les programmes sont bien remplis si les études se font dans les conditions marquées. Il entrera dans les différents détails il pourra donner aux professeurs les avis convenables et nécessaires pour qu'ils remplissent parfaitement leur tâche  ; il s'entendra avec le Supérieur pour qu'on remédie aux abus qui pourraient s'introduire.

Ces visites sont devenues une chose absolument nécessaire car aucune communauté ne peut exister si l'on n'a pas la même vie, le même esprit, la même règle, les mêmes observances. Voyez les Jésuites; chez eux toutes les choses sont de la même façon, tout est pareil partout . Les visites auront chez nous le même résultat.

Pendant la Retraite, mes amis, convainquons‑nous bien de la nécessité de rester chez nous, Chacun, se doit perfectionner selon sa vocation, comme le dit notre Saint Fondateur ; et ne prenons jamais auprès des autres quelque chose qui soit en dehors de notre institut, “ pour bon qu'il semble être et qu'en effet il le fût, si ne le serait‑il pas pour nous.”

Donc, dans nos rapports avec les personnes du dehors, avec les membres du clergé , observons bien les règles que j'ai recommandées. Faisons bien attention surtout que dans la direction de nos maisons, de nos collèges, nous n'avons pas à aller prendre l'avis des femmes de la ville. Madame une telle n'a pas à venir traîner sa robe dans notre cuisine, regarder dans notre pot-au-feu, examiner tel ou tel malade, faire causer tel ou tel professeur, dire des plaisanteries ou donner des conseils... Est‑ce digne ? Est‑ce que le bon Dieu peut bénir de telles manières de faire ? n'est‑ce pas un opprobre ?

Le Visiteur aura charge surtout de voir si rien de ce genre ne s'est glissé dans aucune maison ; je le lui recommande instamment. Je ne suppose pas évidemment qu'il se glisse en cela quelque pensée de mal. Mais s'il n'y a pas là de faute théologique, il y a une faute morale,  une faute énorme qui compromet l'existence même d'un collège.. Que le Supérieur ait des rapports avec les parents, avec les étrangers, ‑ les rapports inhérents à sa charge, c'est parfait, c'est nécessaire. Les parents viennent vous parler de leurs enfants ;  ils viennent vous demander des conseils, vous faire leurs petites plaintes, c'est bien. Ils acceptent d'eux‑mêmes votre influence bienfaisante dans cette œuvre difficile de l'éducation de leurs enfants ; mais que cette influence soit toute de respect , de confiance ; qu'elle soit revêtue de dignité ; qu'elle porte avec elle ce cachet d'autorité morale, de sagesse, de prudence qui porte les âmes à Dieu. Mais de grâce que ces rapports ne soient pas pour qu'on mette sur nous la main et le pied ; pour qu'on nous conduise au gré et au caprice de Monsieur ou de Madame.

Ce que je dis là est capital. Qui que ce soit qui se laisse ainsi prendre, ‑ les hommes ne cherchent pas trop à accaparer ainsi., c'est plutôt le caractère des femmes ‑ quiconque se laisse ainsi dominer par une femme est perdu. Est‑ce que le bon Dieu a chargé cette dame d'une mission spéciale pour vous éclairer et vous conduire ? Quel est le sacrement qui peut bien donner cette grâce‑là ? Qu'on fasse grande attention à cela. Comme dit la Sainte Ecriture : C'est là le danger, le péril le pire de tous.

A qui devez vous avoir recours dans vos ennuis, vos incertitudes ? à qui devez‑vous témoigner toute votre confiance ? A votre Supérieur, à votre Visiteur, à vos Pères et Frères. Qui est‑ce qui est envoyé de Dieu  et qui est-ce qui a reçu mission de Dieu pour éclairer, pour diriger, pour conduire ? Le Pape dans l'Eglise. Et qui est‑ce que Dieu a placé entre le Pape et vous ? Vos Supérieurs. Là est la lumière et là est le pouvoir. N'allez pas chercher ailleurs.

Ce que je dis des femmes, je le dis tout aussi bien des curés, des vicaires. Vous donnez votre confiance, votre amitié intime à un vicaire, à un curé ; il a bientôt fait d'acquérir sur vous de l'influence. Il vous dirige un beau jour, sans que vous vous en doutiez. Il vous impose sa pensée et son sentiment, ses manières de voir, les opinions de son journal. Ce n'est guère meilleur, mes amis, que si c'était Madame X... !  Lui non plus n'a pas mission pour vous diriger. Ce n'est pas pour cela qu'il est curé ou vicaire. Si c'est un saint homme, qui a bon esprit et beaucoup de jugement ‑ et cela ne se rencontre pas toujours à la fois dans le même homme : il y a des saints au paradis qui avaient un peu l'esprit de travers  ‑ si c'est un saint homme dans de pareilles conditions, vénérez‑le de tout votre coeur ; écoutez les remarques qu'il vous fait  ; faites‑en votre profit. Il vous signale telle ou telle chose qui est en détresse, c'est bien ; remarquez bien et faites attention afin que ce soit mieux à l'avenir ; mais ne vous laissez pas gouverner même par les Saints.

De ce que je viens de dire doit‑on en conclure qu'il faille se comporter envers tout le monde comme des Iroquois ? Non. Obéissez bien à cette prescription que je viens de vous faire ; soyez polis, aimables, de bonne éducation ; et on vous estimera d'autant plus que vous vous tiendrez sur la réserve, et que vous ne donnerez à personne prise sur vous. Rendez service : et vos services alors seulement seront appréciés.

Dans tous ces rapports que vous devez avoir avec les personnes du dehors, soyez bien religieux ; mettez les tempéraments que j'ai dit, et vous serez respectés, on vous estimera, vous aurez de l'influence. Mais jamais celui qui vous sentira, vous religieux, sous sa main, n'aura pour vous le moindre respect et la moindre estime ; il vous tournera à sa guise et il se moquera de vous. 

Je sais bien qu'il peut se présenter parfois une terrible tentation du diable. Il y en a de toutes façons des tentations, et celle dont je vous parle n'est pas rare, et est bien dangereuse. Qu'on comprenne bien ce que je dis. Il arrive souvent, il arrive toujours que quand nous avons été un peu peinés, quand on a pris une mesure quelconque qui nous a contrariés, nous nous sentons émus. On n'a pas trop bien interprété nos bonnes intentions ; - on a fait un changement qui ressemble à de la défiance contre nous, à une sorte de disgrâce : nous ressentons cela très vivement. Nous allons faire au‑dehors nos confidences, à un curé, à un vicaire  : ‑ ce n'est pas tout à fait un étranger, ‑ on est content de se décharger un peu le cœur, ‑ il faut bien qu'on dise ce qu'on a contre tel ou tel de la communauté qui est pour quelque chose, bien certainement, dans la mesure prise. C'est bien naturel sans doute ; oui, mais le mal que nous faisons est très considérable. On entrera dans vos sentiments ; on vous donnera raison contre l'autorité. Et moi, jusqu'à la fin je vous recommanderai de ne jamais donner raison à personne contre l'autorité, contre le pouvoir. Ne donnez jamais raison à une femme contre son mari, à des enfants contre leurs parents ou leur maîtres, à des ouvriers contre leur patron, à des religieuses contre leur Supérieure, à des novices contre leur Maîtresse. Tâchez d'expliquer, de justifier la conduite de l'autorité. Si elle n'est pas justifiable, et cela n'arrive que trop, excusez, donnez une interprétation aussi favorable que possible, encouragez surtout et toujours à obéir : c'est à Dieu qu'on obéit !... Portez toujours à l'obéissance ceux qui viennent se plaindre à vous. Une conduite autre serait indigne d'un Oblat, indigne de Saint François de Sales qui affirma toujours et en toutes circonstances cette règle de conduite.

Ne dites donc jamais de mal des Supérieurs, des vôtres surtout ; et prenez garde de ne jamais fournir à personne l'occasion d'en dire. Si j'en savais un seul parmi vous qui fut porté à cette tournure d'esprit, qui eût tendance à parler mal et à faire parler mal de ses Supérieurs je le conjurerais au nom de Notre-Seigneur, de s'aller confesser de suite et de promettre de ne pas recommencer. S'il n'est pas encore engagé par des vœux perpétuels, et qu'il ne se sente pas la force de tenir un pareil engagement, qu'il s'en aille!  S'il a des vœux perpétuels, qu'il s'en aille encore ! le Sain Père le relèvera de ses vœux. Je ne m'adresse pas à celui qui aurait eu le malheur de s'oublier sur ce point, une, deux ou trois fois ; mais à celui qui a en lui ce fonds‑là et qui ne se sent pas le courage de le surmonter.

Dans une communauté cet esprit‑là est bien autrement dangereux et pernicieux que tout autre esprit mauvais. Voilà un individu perverti, esclave de ses passions, qui en entraîne un autre au mal, c'est moins dangereux certainement dans les résultats que le mauvais esprit dont je viens de parler. Comment ? Parce que celui qui a été entraîné dans le mal entendra sans doute au fond de sa conscience un reproche intérieur, une voix oui lui criera : Convertis‑toi !  confesse‑toi ! Et il le fera. En entraînant un de vos frères dans le mauvais esprit, vous le faites entrer dans un chemin où la conscience est faussée et trompée, où il se perdra plus dangereusement et plus sûrement. - Je ne dis pas que le péché commis sera en soi plus grave que le premier dont j'ai parlé, mais il est bien plus terrible dans ses conséquences pour une communauté.

J'ai, dans mes souvenirs, des exemples nombreux de ce que je vous dis là, dans des Communautés d'hommes, et plus nombreux encore dans des Communautés de femmes. Vous ne pouvez faire à personne en particulier l'application de ce que je vous dis là, et qui est bien certaine. Pour les Oblates, j'ai fait la remarque que de toutes celles qui avaient quitté la communauté, à là suite d'insinuations du genre de celles dont je parle, il n'est pas resté une seule bonne chrétienne. C'est bien douloureux à dire : la plupart se sont mal conduites. Et cela, parce qu'un ou une misérable était venu leur dire quelque chose contre leurs Supérieurs, contre leur communauté. L'état de ces malheureuses âmes est sept fois pire que si elles étaient d'abord restées dans le monde et ne s'étaient jamais faites religieuses. Je n'exagère rien, mes amis. Je vous dis cela en présence de Notre-Seigneur  ; je lui demande de mettre lui‑même ses paroles dans ma bouche.

Je n'ai jamais été grondé qu'une fois, dans mon grand séminaire, et je l'ai été par mon professeur de théologie, Monsieur Chevalier. J'avais un condisciple, bon jeune homme, mais très léger, très dissipé. Il se convertit un jour et prit des allures plus sérieuses, plus pieuses. Je le plaisantais quelque peu sur sa conversion inopinée. Monsieur Chevalier qui en était témoin, me reprit très vivement : “ Prenez garde, me dit-il, vous faites une faute qui peut avoir de terribles conséquences. Si la grâce de Dieu a touché vraiment cet enfant, il peut devenir un saint prêtre, un apôtre. Si votre petite plaisanterie le déconcerte, et qu'il revienne sur ses pas, et qu'il ne retrouve plus la grâce qu'il a aujourd'hui, voyez quel malheur ! “ Le scandale ! quelle terrible responsabilité!        Nous aurons donc, mes amis, à bien éviter ce genre de tentation en ne nous mettant pas en rapports intimes avec les séculiers ; gardons‑nous‑en bien. Ne faisons nos confidences qu'à nos Supérieurs.  C'est quelquefois un breuvage un peu amer à avaler : faites le signe de la croix, et avalez‑le bravement.  Entre deux Ave Maria cela passera.

Il va sans dire qu'en vous recommandant d'éviter les rapports intimes avec les séculiers, je comprends dans cette recommandation les visites inutiles et trop fréquentes, les dîners, les participations aux fêtes et réunions. Cela est absolument interdit. N'allez dîner chez personne. J'ai laissé peut-être cette loi se relâcher un peu trop. Remettons-nous à la bien observer. On va rendre service à un curé ; ce n'est pas dans le pays même ; je ne vous défends pas d'y dîner ; vous ne pouvez pas revenir, ou rester toute la journée à  jeun. Mais n'allez jamais, dans ces conditions, chez des curés, que pour rendre service ;.n'allez pas faire la fête avec eux. On vous a invité à prêcher un jour de fête. Il faut bien assister au repas sans doute ; mais alors observez bien toutes les règles de la modestie du repas ; veillez sur  vous ; soyez pleins de prudence et de discrétion, afin d'édifier toujours au lieu de malédifier. N'allez à aucune fête simplement pour le plaisir d'y aller, - à aucune réunion, conférence, dîner d'apparat ou autre. Ne prenez pas sur vous la liberté d'accepter quoi que ce. soit chez qui que ce soit. N'acceptez rien non plus, en dehors des repas, chez personne. Ne prenez rien vous‑mêmes en dehors des repas sans permission. Vous avez besoin de quelque chose, vous êtes fatigué de la classe, vous êtes enrhumé, demandez la permission.

Il n'y a pas de vraie vie religieuse sans sobriété. Quand on ne sait pas s'assujettir ainsi, on a bientôt fait de prendre des habitudes qui sont loin d'être des habitudes religieuses, On s'habitue à prendre le café. Si votre état de santé, votre âge, votre complexion nécessite l'usage du café, demandez la permission ; mais qu'on ne prenne pas le café dans les communautés, à part certaines très rares circonstances. - Voilà un étranger qui arrive au moment du dîner ; invitez-le sans doute, si vous ne pouvez décemment faire autrement. Traitez‑le suivant sa condition ; mais ne vous mettez pas à inviter à dîner, n'établissez pas des relations de repas entre vous et qui que ce soit.

Toutes les fois qu'une exception doit se produire à ces recommandations que je viens de vous faire, demandez toujours la permission au Supérieur Général, à moins de cas tout à fait inopiné et absolument nécessaire . Allez chez les Pères Jésuites et vous verrez s'ils se mettent à donner des dîners comme cela, et à aller chez l'un, chez l'autre. J'ai dîné une fois chez eux, un jour de Saint- Ignace ‑ on y dîne bien ‑ mais ce fut tout. Ils m'ont invité une fois dans ma vie. - N'en abusons pas nous non plus.

C'est donc une règle à, tout jamais établie, et qui ne souffrira d'exception que dans des cas très particuliers, qui ne courront jamais risque de passer en habitude, et avec une permission très spéciale du Supérieur Général.

Mes amis, resserrons‑nous les uns contre les autres ;  formons un faisceau qui soit bien aggloméré, bien uni. Le lien sera Notre-Seigneur, ce sera notre règle. Dans ces conditions nous pouvons bien promettre à chacun de nous une vie parfaite, heureuse, bonne. Notre vie a un sens, elle va à Dieu ; il est avec nous. Que les événements soient heureux ou malheureux, que la vie soit douce ou amère, agréable ou pénible, c'est de la main de Notre-Seigneur que nous recevons tout, et nous sommes heureux, quoi qu'il arrive, d'être avec lui, Nous ne vivons pas solitaires, isolés, découragés, malheureux  ; nous ne sommes pas des îlotes abandonnés et méprisés. Le don de Dieu est là : il est dans la fidèle observance, il est dans l'amour de la communauté. Que la vie est belle ainsi ! Nous voyons et sentons Dieu per speculum in aenigmate. Puis viendra la mort, et ensuite le ciel, où le miroir et l'énigme disparaîtront, et où nous aurons Dieu sans voile et face à face. Ne nous plaignons pas : nous ne sommes pas malheureux, et notre sort est bien enviable. Ainsi soit‑il.