Retraites 1889

      


CINQUIÈME INSTRUCTION (Réservée aux prêtres)
La manière de confesser

Hier, mes Amis, je vous donnais les conditions essentielles au confesseur. J'ai commencé ensuite à vous dire ce que devait être spécialement le confesseur Oblat. La puissance la plus grande de l'Eglise est celle qui s'exerce au confessionnal. Les âmes, les volontés sont là entre les mains du prêtre. La puissance que donnent les autres sacrements est grande sans doute. Ces sacrements donnent au prêtre une grande influence sur les âmes, mais le moyen le plus énergique et le plus usuel de conduire les âmes, c'est la confession. Comment faut‑il user de ce pouvoir? Comment faut‑il confesser? Chacun peut‑il en cela suivre son tempérament, ses idées personnelles? Au séminaire, on ne nous enseignait pas cela. On nous donnait des règles positives à suivre dans la direction à donner aux âmes. Chaque ordre religieux a là‑dessus sa manière de faire particulière. Les Pères Jésuites ont leur manière de confesser et de diriger les âmes. Les autres ordres aussi agissent chacun selon leur esprit et selon l'enseignement et les règles de conduite qui leur ont été données. Si donc nous sommes appelés à faire quelque bien dans l'Eglise, il faut que nous ayons, nous aussi, notre manière spéciale de confesser et de diriger les âmes. Qu'on me comprenne bien. Je ne dis pas que nous ferons mieux que les autres, que nous ferons des merveilles. Mais nous sommes appelés à faire dans l'Eglise de Dieu ce que les autres n'y font pas, et voilà la raison d'être de notre existence.

Il ne faut donc pas que l'Oblat appelé à confesser se croie autorisé en suite de ses vertus, de ses idées, de son caractère, à agir à sa façon, à gouverner les âmes comme il lui plaira. Il est religieux, il est lié, il ne doit pas s'écarter de la ligne qui lui a été tracée. Voyez, les personnes qui s'adressent aux Pères Jésuites n'admettent pas facilement la direction des autres. Cela prouve que les Pères Jésuites ont une manière de diriger qui n'est pas celle des autres, et que cette manière, ils l'enseignent à leurs confesseurs. Ils donnent un mot d'ordre, un enseignement, une marche à suivre, à ceux qui sont chargés de confesser. Si donc nous sommes appelés à confesser, à diriger les âmes, il faut aussi que nous ayons une marche tracée, une manière de faire et d'agir. Encore une fois, c'est pour cela que l'Eglise nous a institués, et l'Eglise tient essentiellement à cela.

L'Eglise compte sur nous. En fait, il n'y a pas de semaine que je ne reçoive de Rome des communications, des affirmations qui me disent: “Courage! c'est cela! c'est ce qu'il faut faire! C'est ce que nous voulons”. Le Pape sans doute ne m'écrit pas en ces termes‑là, mais c'est le ton qui règne dans toutes les lettres que je reçois des différentes Congrégations. Hier encore je recevais une lettre qui m'apportait une bénédiction toute spéciale du Pape, avec la faculté pour les Oblats de se confesser en voyage, où qu'ils soient, les uns aux autres, sans autre permission. Il nous donne donc une juridiction qui, en un sens, s'étend à tout l'univers. Si Rome n'avait pas confiance en nous, si nous n'avions pas notre mission spéciale, pourquoi nous traiterait‑on de cette façon? C'est là une chose extrêmement sérieuse: il faut bien vous en pénétrer. Ce témoignage, je le répète, est extraordinaire, s'adressant surtout à une Congrégation naissante. Cela nous donne, comme on me le disait à Rome, cent ans d'existence. Laissez-vous donc conduire, mes amis, soyez petits, soyez enfants. Il a fallu que moi personnellement je résiste pendant 30 ans à la conduite de la bonne Mère: c'était une femme! Et quand je racontais au Pape tout ce qui m'était arrivé, il croyait à tout cela cent fois plus que moi. Aussi maintenant, je sens l'obligation qui pèse sur moi: ce n'est pas un enfantillage. J'admets, mes amis, qu'il y ait certaines choses que vous ne compreniez pas d'abord, mais vous avez des assurances qui doivent vous donner la foi. Ne vous faites pas redire la parole de Notre-Seigneur aux Apôtres:  “O coeurs sans intelligence et lents à croire...” (Lc 24:25). Comme vous êtes lourds! comme vous n'entendez rien à ce que l'on vous annonce! Ayez donc confiance! Un Oblat ne doit pas avoir confiance en lui‑même, en sa théologie, en sa sagesse, en son esprit propre, mais il doit avoir confiance dans les enseignements de saint François de Sales, dans sa direction, dans sa manière de conduire les âmes. Voilà le chemin dans lequel nous devons marcher: voilà pourquoi nous avons été choisis. L'Eglise n'a pas besoin de nous si nous faisons autrement. Comment faut‑il donc que 1'Oblat de saint François de Sales se comporte au saint tribunal et dans la direction des âmes?

Lisez votre Directoire de la confession et vous verrez quelles dispositions saint François de Sales veut de ceux qui confessent: vous saurez ce qu'il vous demande. Il demande que le confesseur prie et avant et après la confession. Ne nous en dispensons jamais. Avant, demandons la lumière du Saint Esprit, recourons à la source de toute grâce et de toute inspiration. Il faut prier, non du bout des lèvres, mais profondément, de façon que nous soyons tout absorbés dans la prière. Nous ne dirons de bonnes choses aux âmes que quand nous aurons demandé à Dieu ce qu'il faut leur dire. Plusieurs jeunes religieux s'étonnent de la difficulté que l'on met à accorder la permission de confesser. C'est que, pour confesser, il faut non seulement les conditions que réclame la théologie par rapport à la science: il faut bien autre chose. On traite en effet avec le confesseur comme on traite avec le bon Dieu. Voilà une âme qui vient au confessionnal écouter la voix de Dieu, demander le secret de Dieu. Allez-vous vous croiser les bras et répondre ce qui vous viendra? Où irez‑vous chercher ce que vous lui direz? Qui est‑ce qui vous le donnera? Une âme vient vous demander les secrets de Dieu sur elle. Qui vous les apprendra? Les fidèles agissent ainsi: ils ont foi en notre ministère. En conscience ils se croient obligés de faire ce que le prêtre leur a dit. Et c'est vous qui allez répondre. Qu'est‑ce que cela vaut? Donc il faut que le bon Dieu s'en mêle. Il faut avoir Dieu en soi, il faut en être pénétré, inondé. Ce que je dis là, ce ne sont pas des paroles de conseil. Je vous déclare une situation de laquelle vous ne pouvez pas sortir, une impasse dans laquelle il ne faut pas que vous vous égariez.

Oui, il faut d'abord la prière, l'union avec le bon Dieu. Car la confession est la chose la plus sainte qui existe: être l'intermédiaire du bon Dieu. Le bon Dieu ne veut pas vous écouter? Il faut qu'il vous écoute, il le faut absolument. Il faut que le bon Dieu soit en nous tout à fait et entièrement. Comprenez-le bien. Donc, soyez unis au bon Dieu, et priez avant, pendant et après la confession. Priez pour telle ou telle âme. Occupez‑vous-en, demandez l'aide du bon Dieu, la lumière du Saint Esprit. Sans cela que ferez‑vous? Il faut être bien osé pour agir autrement. “Je suis théologien, j'ai de l'expérience. Je puis bien donner les solutions faciles”. — “Non, elles ne sont pas faciles, les solutions. Vous êtes un grand théologien, vous avez une capacité d'intelligence extraordinaire. Une chose essentielle vous manque, si vous n'avez pas le don de la prière et de 1'union au bon Dieu. Le bon Dieu, tôt ou tard, vous fera sentir la petitesse, l'inutilité de votre personnalité”. Je voudrais ne plus vous dire que cela pendant toute la retraite: la prière, la prière. Il ne faut pas seulement la prière pour bien administrer le sacrement de pénitence, il faut encore une grande sagesse. Il ne faut pas décider à tort et à travers sans savoir à qui l'on a affaire. Il faut, autant que possible, connaître bien les personnes qui s'adressent à vous. Il faut avoir ce tact qui fait qu'on ne brusque pas et qu'on n'est pas trop doux. Il faut avoir ce tempérament que la sagesse seule peut donner. Saint Liguori recommande au confesseur de faire souvent la prière que faisait Salomon:  “Donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse et ne me rejette pas du nombre de tes enfants” (Sg 9:4). Il ne faut intervenir qu'avec une grande prudence; il faut prendre garde de ne pas se mêler de choses qui ne soient pas de la confession.

Il faut apprendre à nos pénitents à respecter non seulement les préceptes de la loi de Dieu, mais à pratiquer encore le respect et l'obéissance dans les différentes conditions sociales où ils se trouvent. Observez cela avec la plus grande ponctualité. Ne donnez jamais raison à l'inférieur contre le supérieur, parce que c'est un acte de Satan, parce que c'est une chose insensée. Quand le supérieur a tort, vous ne pouvez pas sans doute dire qu'il a raison, mais apprenez à le faire respecter quand même: excusez‑le. Priez et faites prier pour que le bon Dieu lui donne ce qui est nécessaire. Sauvegardez son autorité, alors le bien surgira du mal. Voilà quel doit être notre mot d'ordre. Il faut se servir même des fautes commises pour ramener dans les âmes la paix, la charité, l'amour de Dieu. N'est‑ce pas la réalisation d'une des dernières paroles de la bonne Mère, que nous sommes envoyés pour appliquer les grâces de la Rédemption dans leurs dernières limites?

La prudence: il la faut surtout dans les questions délicates, dans les interrogations qu'on est obligé de poser quelquefois. Il faut toujours avoir peur de scandaliser, d'apprendre le mal aux enfants. Les matières du sixième commandement sont très difficiles à traiter. On peut demander aux petits garçons s'ils n'ont pas écouté des paroles légères. Si on leur parle de mauvaises pensées, généralement ils ne comprennent pas. Il ne faut donc pas commencer par là. Demandez ensuite si ces paroles légères ont occasionné de mauvaises pensées. Si l'on avoue, allez plus loin et demandez s'il n'y a pas eu de légèreté dans les actes, si l'on était seul ou avec d'autres. En un mot, aidez, facilitez l'accusation complète de la faute, mais avec toute la prudence imaginable. Quand on est obligé de confesser beaucoup, aux veilles de fêtes, par exemple, il faut aller vite. Mais cela ne dispense pas d'aller en toute prudence. Du reste ces confessions hâtives ne suffisent pas, j'ai là‑dessus une longue expérience. Dans les premiers temps, je pouvais donner beaucoup de temps aux jeunes filles: je m'y mettais de tout mon cœur. Pendant tout le temps que j'ai été à la Visitation, je soignais bien les pensionnaires. Il n'en est pas une seule qui ne soit restée bonne chrétienne. Deux se sont écartées quelque temps de la bonne voie. Or l'une d'elles est maintenant religieuse, l'autre s'est repentie de ses fautes, et je ne sais pas maintenant ce qu'elle est devenue. Je faisais prier la bonne Mère, je m'occupais de ces âmes‑là dans le détail: je leur donnais des conseils, des avis. Voilà le résultat. C'est pourquoi je désire qu'il y ait parmi nous beaucoup de confesseurs, de bons confesseurs. Nous produirons alors des fruits, nous aurons des résultats: les âmes se sentiront environnées, soutenues, pénétrées. Il ne faut pas mettre là de l'humain, parce que si vous y mettez de l'humain, vous ne ferez rien du tout. Procédez donc avec une grande discrétion et un grand dévouement aux âmes.

Je reviens sur les interrogations à faire. Pour les petits garçons, pour les jeunes gens, c'est plus facile. Ordinairement ils sont sincères. Au premier moment, si une question les a étonnés, les a troublés, ils reviennent assez facilement à dire la vérité. Commencez par les conversations pour les petits garçons, mais cela touche peu ou point du tout les jeunes filles. Pour elles il vaut mieux commencer par les mauvaises pensées. Il les faut bien aider dans cette accusation. Si l'on voit de la dissimulation, le bon Dieu, le Saint Esprit donne ce qu'il faut dire dans ce moment‑là. Si l'on voit l'enfant craintif, ayant de la peine à s’exprimer, c'est souvent l'indice d'une santé, d'un tempérament peu solide, d'une tête qui n'est pas bien forte. Il faut se garder alors de rien brusquer, mais tâcher d'arriver tout doucement à compléter l'accusation.

Quand vous avez une accusation suffisante, il ne faut jamais aller plus loin, sur les matières délicates; il faut passer à d'autres accusations: aller plus loin, ce serait, en un sens, faire outrage à la pudeur de l'âme qui est là devant vous. Bornez‑vous à ce qui est nécessaire et laissez à l'âme l'appréhension et la pudeur des fautes qu'elle a pu commettre. Je me rappelle bien un confesseur qu'il y avait au séminaire de Troyes. C'était un saint homme: il était l'économe du séminaire. Quand on allait à lui, on remarquait immédiatement sa grande délicatesse, son grand respect de ses pénitents. Ce sentiment éveillait dans le cœur de ses pénitents, en même temps qu'une grande horreur du péché, une confiance sans bornes pour lui ouvrir leur âme. Allez donc toujours avec crainte de trop vous avancer, ayez à cœur d'être excessivement délicat dans la manière dont vous traitez les âmes qui sont devant vous. Et quand l'accusation est faite et vous paraît suffisante, quand elle a été exprimée par ses termes formels, restez‑en là. Je me rappelle très bien un prêtre —  je puis bien vous en parler, parce que vous ne pouvez pas le connaître. Il appartenait à la Congrégation qui vers 1825 donnait des missions par la France. C'est un bien bon prêtre, zélé et qui prêchait bien. Mais une des causes du peu de résultat de ses prédications, de l'inefficacité de son zèle, c'est qu'en confession il était insupportable. Il poussait les questions jusqu'à leur dernière limite. Il ne pensait pas mal faire sans doute, mais le résultat a été que très peu des conversions faites par lui ont subsisté.

Ayez donc une grande circonspection, une grande prudence surtout pour les fautes qui regardent les 6e et 9e commandements. La théologie le recommande expressément. Voilà une personne de vie peu édifiante qui vient se confesser: il est défendu au confesseur de laisser cette personne‑là entrer dans le détail de toutes les fautes qu'elle a faites. Que le pénitent dise les circonstances qui paraissent aggraver sa faute: c'est bien, laissez faire, surtout si ces circonstances paraissent considérables, énormes. Sinon, fermez doucement, au besoin, la bouche à votre pénitent et passez à autre chose. Quand vous serez embarrassés sur certains sujets, je pourrais vous renseigner sur certaines décisions que j'ai eues moi‑même d'autorités très compétentes. J'ai vu souvent, en particulier, le Cardinal Gousset. J'allais lui rendre visite chaque fois que j'allais à Reims. Il était extrêmement bon, et bien souvent je lui portais des cas très difficiles dont il me donnait la solution. Je ne puis pas entrer dans le détail ici, vous le comprenez. Vous pourrez me demander conseil, et je vous donnerai la marche à suivre.

Dans les choses qui ont trait à la charité, il faut aussi une grande prudence. Écoutez patiemment ce qu'on vous dit, élevez votre cœur vers Dieu. Rappelez les grands principes de l'autorité, du devoir, pénétrez-vous-en bien; répondez de manière à faire rentrer toujours les "mouches au panier", à encourager toujours à l'obéissance. Si le supérieur voulait des choses défendues par la loi de Dieu, ou bien défendues par un supérieur plus élevé en autorité, la circonstance serait plus délicate, plus difficile. Il faudrait bien prier et puis prendre le moyen que Dieu inspirerait le plus conforme à la charité, à la douceur, pour que la loi de Dieu ait raison, sans infliger pour cela une note fâcheuse à l'autorité qui s'est fourvoyée. Observez toujours bien la hiérarchie et unissez toujours à la charité une grande prudence.

Je ne vous parlerai pas plus longtemps de la prudence qu'on doit avoir au saint tribunal, dans ses interrogations, dans ses conseils, pour que le tribunal de la pénitence ne soit pas un piège pour le pénitent ou la pénitente et pour le confesseur. Que le confesseur s'environne donc de Dieu comme d'un manteau. Aussitôt que le confesseur ressentira pour un enfant, pour une jeune fille, pour une femme, quelque chose de ce sentiment que j'appellerai de la passion —  et je définis ce sentiment comme quelque chose qu'on subit à notre insu et malgré nous —  cela s'implante dans les bas‑fonds de notre être. C'est un soufflet de Satan. On s'est approché un peu près du diable, par mégarde, et on a été atteint par lui aussitôt. Il faut briser avec Satan: il faut être généreux. Ne faites pas cela par des efforts excessifs et de grandes tensions d'imagination. Elevez votre âme à Dieu et tenez‑vous unis à lui. Le démon a pris la forme du serpent pour tenter Eve. Il a pris d'autres fois la forme d'autres êtres animés et vivants. Lorsqu'un confesseur ne se tient pas bien uni au bon Dieu, qu'il n'est pas en garde contre les sentiments de la nature, les femmes le sentent bien. Elles viennent alors en certain nombre, non pas précisément avec de mauvaises pensées, mais quelques‑unes ne sont pas fâchées de tenter un peu le prêtre, d'essayer de se l'attacher. Elles supposent que le confesseur a déjà quelque attachement pour un tel ou une telle. Elles en diront du mal: ce sera un tripotage de l'autre monde! Toutes les fois que vous vous trouvez en présence de quelqu'un de cette sorte, ne faites pas trop ce que recommandaient les vieux théologiens: ne les grondez pas plus durement [“durius increpandae”]. Gardez‑vous-en bien: c'est ce qu'elles veulent! Laissez dire ce qu'on vous racontera et répondez par un petit mot de piété. “Avez‑vous fait bien exactement votre préparation à la sainte Communion? Etes‑vous fidèle à votre oraison?” Et vous n'avez pas l'air de vous douter le moins du monde du piège que l'on vous tend. Qu'arrive‑t‑il? La personne en sera pour ses frais. Elle se retirera édifiée. Voyez les lettres de Mme de Sévigné. Il y a bien longtemps que ces tripotages sont à la mode. Mme de Sevigné s'amusait beaucoup de voir autour d'elle les troupes de ses amies et connaissances attraper les jeunes prêtres et s'efforcer de leur inspirer de l'affection. Ce n'étaient pas de méchantes femmes. Mme de Sevigné en particulier était une très honnête personne, la petite fille de sainte de Chantal. Elle comparait ces jeux dangereux du confessionnal aux petits jeux innocents de société.

Un mot concernant les choses de l'amour‑propre: les personnes qui se piquent, les femmes susceptibles, nerveuses, qui se montent. Laissez‑les dire. Agissez avec une grande prudence et une grande patience; ne craignez pas de leur donner du temps, un peu de raison, de regretter devant elles ce qui les a fâchées. “C'est le bon Dieu qui a permis cela”. Et puis revenez à quelque pensée de piété. Il va sans dire que toutes les fois que vous avez à confesser une communauté, il faut bien vous pénétrer de l'esprit de cette communauté. Par exemple, si vous confessez des Sœurs de charité, il faut vous pénétrer de l'esprit de saint Vincent de Paul. Il faudrait être tous en peu savants. Vous confessez des Sœurs de saint Vincent de Paul, il faut connaître la vie de Mlle Legras, celle de saint Vincent de Paul. Il faut méditer les vertus, les travaux, l'onction de ce grand saint, sa confiance immense en Dieu. De la sorte on rendrait de très grands services. Mais ne conduisez pas des Sœurs de charité comme vous conduiriez des Visitandines. Ne prétendez pas soumettre la religieuse à sa supérieure locale comme vous devriez le faire à la Visitation. La supérieure locale n'est en effet que la Sœur première, et pas autre chose. On doit l'aimer, la respecter, lui obéir sans aucun doute, mais on n'ira pas lui faire de reddition de comptes.

Il y a de nombreuses Congrégations de religieuses. Il faut voir quel est leur esprit. Il faut tâcher d'avoir en quelque façon l'histoire de leur fondation. Il n'y a quelquefois rien là de bien remarquable: un bon prêtre réunit quelques bonnes filles, voilà le noyau. Le bon Dieu bénit ces humbles commencements, et tout cela sert à sa gloire. Nous sommes très fréquemment appelés dans les Visitations. Il faut bien comprendre là ce que c'est que la Visitation, dans quel sens on doit diriger les religieuses de la Visitation. D'après les Constitutions, à la Visitation, la supérieure est le canal des grâces que Dieu envoie aux Sœurs. Toute Sœur qui obéit parfaitement, qui obéit de tout son cœur est une vraie Visitandine. Autrement, ce n'est pas une Visitandine. Voilà les conditions que saint François de Sales a établies. Voilà le sens dans lequel l'Eglise a approuvé la Visitation comme ordre religieux. Nous ne pouvons pas sortir de là, autrement nous ferions de la mauvaise besogne.

Mais le ministère sacerdotal n'est donc plus rien à la Visitation? L'objection est ridicule. Est‑ce qu'en recevant le sacerdoce le jour de votre ordination vous avez reçu une juridiction universelle? Etes‑vous le Pape? Etes‑vous revêtu d'une espèce d'infaillibilité? Remarquez bien que le prêtre et le peuple chrétien font partie de la même catégorie dans l'Eglise. Ils sont, non de l'Eglise enseignante, mais de l'Eglise enseignée. Le prêtre est un outil dans la main de l'Eglise. Vous êtes un outil: vous travaillez telle ou telle matière selon que vous êtes plus ou moins trempé. Vous n'êtes pas fait pour autre chose. On ne prendra pas un ciseau de menuisier pour tailler la pierre de Châtillon. Vous, prêtre, vous êtes donc un outil dans la main de l'Eglise. Et l'Eglise vous a trempé pour telle ou telle chose. L'Eglise vous envoie à la Visitation: là vous n'avez pas de direction à faire. Vous devez aider à la direction de la supérieure, et c'est en faisant cela que vous remplirez votre mission. Vous, prêtre, vous n'avez pas plus de droits qu'un simple fidèle sur la direction de la maison, pas plus que n'en a le portier.

Vous confessez des Visitandines: donnez toujours raison à l'autorité. Si l'autorité elle‑même a besoin d'une petite direction, qu'on la lui donne! N'est-il donc rien, celui que notre saint Fondateur appelle l'ange du monastère? Les anges ont des âmes à garder, à protéger, à soutenir, à encourager. Ils offrent à Dieu nos prières, nos sacrifices, nos actes méritoires. Ils ont une action immense. C'est l'action du confesseur de la Visitation qui est immense elle aussi, et qui produit un bien plus grand que partout ailleurs. Son action entre dans l'ensemble du mouvement commun. C’est une partie indispensable du système; et sans lui il n'est pas possible qu'une Visitation aille bien. Au temps des Jansénistes, quand les confesseurs de la Visitation de Troyes ont fait cause commune avec les hérétiques, assurément ils ont fait acte de puissance en entraînant la Visitation à leur suite. Quand un bon confesseur reste dans ses attributions, il fait immensément de bien, nous l'avons dit, autant qu'un mauvais fait de mal. Que le confesseur comprenne bien que pour le gouvernement des âmes il doit s'entendre avec la supérieure et l'aider, mais c'est elle qui a proprement la direction religieuse de la maison.

Il faut donc que le confesseur de la Visitation instruise bien les prétendantes de cette doctrine, qu'il leur apprenne à aller à la supérieure avec le plus grand respect, avec l'obéissance la plus entière et la plus cordiale, comme les filles vont de tout leur cœur à leur mère. Alors tout le monde sera heureux, véritablement heureux, parce que tout le monde sera à sa place. Et le confesseur aura dix fois, cent fois plus d'action réelle et d'autorité que s'il s'en allait répétant: “Je suis le maître”. Combien de prudence et de sagesse réclame le gouvernement des âmes! Et croyons bien que nous ne serons quelque chose que quand nous ne serons plus rien que ce que les Constitutions marquent, ce que l'obéissance indique. C'est là la vie, c'est la garantie de toute œuvre durable.

Nous allons bien demander au bon Dieu de nous pénétrer de tous ces enseignements. Il m'est impossible à cause de l'heure d'apporter d'autres considérations qui auraient pu aussi avoir leur utilité. Quand quelque tentation s'empare de l'imagination, il faut résister de suite: “Résiste dès que la chose commence”. - [“Principiis obsta”]. Il faut être bien vigilant, bien petit enfant, bien simple; en se confessant, il faut tout dire, avec la candeur et la simplicité d'un enfant qui dit ce qui se passe, les dangers que l'on court, les fautes que l'on a pu commettre. Quand le confesseur est lui‑même garanti, il garantit les âmes qui s'adressent à lui.

Confessons‑nous donc avec une grande simplicité et candeur. J'entendais un prédicateur de retraite pastorale terminer son sermon sur la confession par ces mots que j'ai retenus: “Mes chers confesseurs, voulez‑vous que vos pénitents se confessent bien, amenez‑les à faire ce que vous faites vous‑mêmes”. Tout prêtre, en effet, se confesse bien. Moi, je vous dirai: “Confessez-vous en prêtres, confessez‑vous en Oblats, en disant tout avec simplicité et candeur, en confiant, en abandonnant entièrement votre âme”.