Retraites 1885

      


HUITIÈME INSTRUCTION
La vie de l'Oblat

Mes amis, il faut qu'à la fin de cette retraite nous ayons une vraie idée des Oblats. Il faut que nous comprenions bien que notre vocation n'est pas de vivre selon la nature. Se fait‑on Chartreux, Trappiste, pour vivre selon la nature? La vie religieuse est donc une vie de luttes, de pénitences, de sacrifices. Donc aussi la vie de l'Oblat doit trouver sa part dans les souffrances et les mérites de Notre-Seigneur. Mais pour cela, disait la bonne Mère Marie de Sales, il faut qu'ils soient bien acceptés et bien compris.

Voyez d'abord pour la vie extérieure de l'Oblat de saint François de Sales: vous êtes à l'abri de bien des soucis et de bien des misères. Le pauvre petit curé de campagne est obligé de calculer et de mesurer sa nourriture, non à sa faim mais à sa bourse. Il faut qu'il vive avec la petite somme bien insuffisante qu'on lui alloue chaque année. C'est une vie de privations perpétuelles que celle du curé, qui n'a que son traitement mesquin, quelques pauvres honoraires de messe, et un casuel bien maigre et incertain. Il lui faut payer sa nourriture, son linge, ses vêtements, sa domestique. Il faut faire l'aumône aux pauvres. Ces choses sont à considérer. Si le prêtre n'a aucun patrimoine personnel, on se demande comment il peut vivre. J'ai entendu bon nombre de prêtres dire: “Nous ne mangeons pas de la viande à tous les repas, ni même tous les jours; on se contente de pain et de légumes”. Monseigneur l'évêque me disait dernièrement: “C'est un problème pour moi que nos pauvres curés puissent trouver un verre de vin à leurs repas”. Au point de vue de la mortification, ils sont plus religieux que nous.  Puis ce sont d'autres sollicitudes: payer les notes des fournisseurs, recevoir les confrères quand arrive la conférence, c'est la visite de Monseigneur etc. Comment faire pour payer toutes ces multiples dettes à l'échéance? Un bon curé me disait: “Vous êtes religieux. Vous vous croyez plus saints et plus pauvres que nous. Mais vous êtes bien au‑dessous de nous, ajoutait‑il en plaisantant. Venez dans nos presbytères, et vous verrez si notre pauvreté n'est pas dix fois au‑dessous de votre pauvreté religieuse où il ne vous manque rien”.

Non, mes amis, nous n'avons pas les mêmes ennuis, les mêmes charges et sollicitudes. Notre nourriture nous est donnée sans que nous ayons de calculs à faire pour savoir si nous pourrons joindre les deux bouts au bout de l'année. Nous pouvons bien nous comparer aux lis des champs qui ne moissonnent ni ne filent, et que Dieu revêt de splendeur (Lc 12:27). Nous pouvons nous comparer aux passereaux du ciel qui ne sèment, ni ne moissonnent, ni ne recueillent dans leurs greniers, et le Père céleste les nourrit (Mt 6:26). Rendons donc grâces à Dieu pour cela et apprécions notre vocation.

Passons maintenant à ce qui regarde notre âme. Comment se fait‑il que des saints, saint Paul lui‑même, disaient: “De peur qu’après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même disqualifié”? (1 Co 9:27). Sans doute nous devons avoir nous aussi ces sentiments de crainte et d'humilité, mais nous devons aussi nous exciter à la confiance devant les assurances que nous donne saint François de Sales. Notre union à Dieu par le Directoire, si nous y mettons toute notre sollicitude, doit être regardée par nous comme un gage assuré du ciel. Faites bien votre Directoire et vous serez dignes de la vocation dont vous avez été gratifiés, et par votre Directoire vous agirez et obéirez dans toute l'étendue de la volonté divine. Le P. Déshairs était avec moi quand notre Saint-Père le Pape m'a dit: “Moi, le Pape, je vous envoie. Chacun de ceux qui travaillent avec vous font personnellement la volonté de Dieu”. C'est quelque chose que cette parole du Pape, et c'est quelque chose aussi d'être sûr de faire personnellement la volonté de Dieu en tout ce que l'on a à faire.

Accomplissez votre obéissance religieuse, et vous êtes sûrs que vous faites la volonté de Dieu aussi parfaitement, aussi saintement qu'en n'importe quel Ordre religieux de vie austère et sainte. Est‑ce que saint Bernard ne disait pas à ses religieux: “La Claire Vallée est la porte du paradis, n'entendez‑vous pas les mélodies célestes, les bienheureux, vos frères, qui vous appellent?” Et moi je vous l'affirme aussi, vous êtes dans le vestibule du paradis. Voilà l'assurance que nous donne notre vocation d'Oblat. Pour les choses difficiles, est‑ce que l'obéissance ne coûte pas plus à un vicaire, à un curé qu'à vous? Voilà des dévotes qui se mettent à crier contre celui‑ci ou celui‑là. On imagine des histoires, l'évêque est impressionnable, cela lui restera dans l'esprit. Le conseil n'est pas trop indulgent. Les confrères sont loin d'être toujours bienveillants. Le curé du canton, le doyen est trop autoritaire. Est‑ce que tout cela n'est pas beaucoup plus dur que votre obéissance, à vous? Votre Supérieur agit en suite de son autorité et de la Règle que vous avez acceptée de bon cœur. Ce n'est pas parce qu'il est votre maître qu'il vous commande, mais parce qu'il a reçu sa mission de Dieu. Vous avez d'autre part un ministère indépendant, vous n'avez pas affaire au maire, au conseil municipal, à l'instituteur, à une population plus ou moins hostile, où à peine un vingtième, un centième peut‑être, est pour le curé. Vous n'avez pas les injures, les perfidies à redouter.

Voyez donc bien la position que le bon Dieu nous a faite. Voyons-la telle qu'elle est, et, dans notre imagination, n'allons pas nous arrêter à croire que nous trouverions mieux ailleurs, et que notre vie est sans jouissances, sans bonheur: ce serait une grande erreur. “Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit: «Donne-moi à boire»” (Jn 4:10), si vous compreniez bien quel est celui qui vous demande de l'écouter, de lui accorder ce qu'il désire. Mettez‑vous donc bien au Directoire: “Goûtez et voyez comme Yahvé est bon” (Ps 34 [33]:9). Il y aura là pour nos âmes une source de félicités bien plus grandes, bien plus suaves que tout ce qu'on pourrait chercher ailleurs. Dans notre vie d'apostolat et d'éducation, nous assistons, nous coopérons aux mystères des âmes et des cœurs, et à la rédemption de ces élus du Sauveur. Notre Directoire nous unit intimement au Sauveur pour accomplir ces mystères de la Rédemption. Voyez s'il y a rien de comparable. Aussi le Sauveur nous adresse‑t‑il, à nous aussi, la parole qu'il adressait à la Samaritaine: “Si tu savais le don de Dieu...” “O mon Sauveur, parlez‑moi comme à la Samaritaine, faites‑moi sentir que vous êtes esprit et vie, et moi, en mettant toute ma sincérité et mes forces à votre service, j'aurai lumière et grâce”. Voilà ce qui gagne les âmes, et voilà ce qui fait les saints. Et vous avez tout cela. Priez pour que le bon Dieu nous donne à tous la connaissance de notre vocation. “Fais-moi connaître, Yahvé, tes voies, enseigne-moi tes sentiers” (Ps [25] 24:4).