Retraites 1896

      


PREMIÈRE INSTRUCTION
La retraite

Mes chers amis, les retraites quelles qu'elles soient ont toujours un certain caractère d'uniformité. Ce sont les mêmes exercices, à peu près les mêmes instructions; ce sont les mêmes obligations à remplir. Et pourtant il est dans notre vie des retraites qui auront une importance bien plus grande que d'autres, qui auront une importance capitale. C'est ainsi que je regarde cette retraite comme très importante. Je me fais vieux. Qui sait les desseins de Dieu. Vous n'aurez peut‑être pas à m'entendre encore bien des fois, et les paroles que je vous donne n'auront plus qu'un écho bien lointain. Il est donc bien à propos que vous apportiez à cette retraite la bonne volonté dont vous êtes capables, afin d'en profiter.

La retraite prend pour nous de grandes proportions, quand nous voyons quelles en sont les conséquences. Nous commençons! Il y a longtemps que je vous dis que nous commençons. En vérité, nous n'avons pas eu jusqu'ici un très grand nombre de sujets. Notre organisation en a souffert. Nous avons eu de grands travaux et peu d'ouvriers pour les faire. Nous avons eu de grandes luttes, et peu de secours autour de nous. Un petit nombre de sujets est venu frapper à notre porte; et dans ce petit nombre, il en est encore beaucoup qui n'ont pas pu demeurer fermes et qui sont retournés par un autre chemin. Nous sommes donc encore vraiment dans les commencements à l'heure qu'il est. Eh bien! Il nous faut commencer réellement.

La retraite, nous avons besoin de la faire personnellement pour nous, mais il faut aussi que nous la fassions pour toutes nos œuvres, nos collèges, les âmes qui nous sont confiées; pour la multitude des âmes qui, dans les desseins de Dieu, doivent recevoir un jour par notre entremise l'inspiration, la lumière, les grâces. La bonne Mère était sur son lit de mort, prête à rendre le dernier soupir. Elle me dit devant toute la communauté réunie: “Je voudrais bien que le bon Dieu me donne encore quelque temps afin de voir ce qu'il va faire. Ce sera bien grand, ce qu'il va faire; ce sera bien beau, bien beau! On verra le Sauveur marcher encore sur la terre, et son esprit se répandre dans les âmes.” Voilà une prophétie, mes amis. Mgr  Ravinet, évêque de Troyes, qui nous a reçus au noviciat, nous fit une petite instruction, ce jour‑là; il nous dit: “Aujourd'hui je sème le petit grain de sénevé. Ce petit grain ne tardera pas à grandir, et les oiseaux du ciel viendront se reposer sur ses branches. Ce que vous commencez aujourd'hui aura de grands effets et ne restera pas stérile dans la sainte Eglise de Dieu”. Voilà encore une prophétie. Elle venait d'un saint évêque. L'une et l'autre de ces prophéties, émanées de deux saints, ont certainement leur source dans la lumière divine, dans l'inspiration d'En-Haut. Et c'est par nous qu'elles doivent recevoir leur accomplissement. Nous examinerons pendant cette retraite si nous sommes vraiment à la hauteur de ces promesses, si chacun de nous a bien répondu comme il le devait aux grâces divines, si nous avons bien compris, si nous nous sommes bien rendus compte; si, voyant venir à nous ces grâces, nous n'avons pas détourné le regard, pour rester indifférents, froids, cherchant à part nous la part à donner à Dieu, au lieu de nous donner tout entiers, calculant, afin de donner au prochain le moins possible. Examinons bien nos pensées, nos sentiments, les motifs qui nous font agir. C'est là le principe et le point de départ.
  
Nous allons donc faire notre retraite pour que nos collèges, nos œuvres reçoivent la lumière et le mouvement, pour que nous soyons, entre ces âmes et Dieu, des moyens de communication fidèles, pour que nous recevions de lui les moyens, les termes exacts qui transmettront entièrement et absolument la parole divine à ces âmes, qui les mettront absolument et entièrement dans le mouvement que Dieu veut leur imprimer. Mes amis, toutes les grâces que nous pouvons répandre dans les âmes, tout le succès que nous pouvons avoir, tient absolument à cela. Nous devons être seulement l'intermédiaire fidèle de Dieu, et pas autre chose. Je vous l'affirme au nom de Dieu, et avec toute la conviction de mon âme: chez nous rien n'agira, rien ne réussira, rien ne sera béni et n'aura de succès qu'à cette condition‑là. Il faut que Dieu soit avec nous, qu'il soit notre moyen, le souffle de notre âme, de notre vie, de nos œuvres. En dehors de lui, nous n'opérerons rien, absolument rien. Les âmes à qui nous irons resteront sèches, les cœurs mécontents, les intelligences fermées. Pourquoi? Ce sera un châtiment de la justice de Dieu. Il nous a remis entre les mains un don immense, et il veut que nous prenions les moyens de l'utiliser.

Vous seriez venus hier à l'église Saint-Jean, vous y auriez vu communier 400 jeunes filles du peuple, des ouvrières, enfants de nos œuvres, et vous auriez vu dans leur tenue, vous auriez vu sur leurs visages ce rayonnement, cette joie, cette candeur, ce je ne sais quoi d'un jour de première communion. A quoi cela tient‑il? Pour beaucoup, je le crois, à notre doctrine, aux moyens que nous employons, aux secours que le bon Dieu nous donne, à la lumière dont il environne nos paroles, aux grâces dont il enrichit nos efforts auprès des âmes. Nous ne sommes pas ici seulement comme des séminaristes, comme des prêtres dans le saint ministère, comme une communauté de religieux appliqués à l'oraison, à la mortification. Nous sommes ici pour entrer dans la doctrine et les moyens de saint François de Sales, et de la bonne Mère Marie de Sales. Nous trouverons le chemin des âmes d'autant plus sûrement et efficacement que notre personnalité vivra de cette vie, respirera cette atmosphère. C'est par là, et par là seulement, que nous devons être quelque chose.

Nous allons donc faire la retraite pour nos collèges, nous allons la faire pour nos œuvres, pour nos missions. Elles ont été bien éprouvées cette année, nos missions; elles le sont encore à présent. Mais comme le bon Dieu les bénit: quels magnifiques résultats! A quoi cela tient‑il? Ne nous faisons pas d'illusions. Quand nous aurons de beaux résultats, nous ne devrons jamais l'attribuer à nos talents et à nos vertus, mais bien à la grâce que le bon Dieu attache à notre ministère; et cette grâce, encore une fois, encore mille fois, est tout entière le résultat de notre vie du Directoire, de l'oubli de nous‑mêmes pour être tout à Dieu. Nos missionnaires ont souffert courageusement, fidèlement. La grâce est venue abondante.

Nous devons aussi notre retraite à nos prédicateurs, à ceux qui dirigent les âmes, à ceux qui s'emploient au saint ministère. C'est là surtout, mes amis, où on pourra nous connaître et nous apprécier. C'est là surtout où on comprend notre vie, où on trouve le pain qui nourrit les âmes, où ces âmes trouvent des secours positifs, suffisants à leurs besoin, des moyens efficaces pour arriver à la sanctification de la vie, des peines, des souffrances. C'est tellement remarquable, tout ce que me disent nos Pères, tout ce qu'on m'écrit de tous côtés. Je ne vois presque pas une seule âme qui ne soit attaquable par ces moyens, qui ne finisse pas par se rendre, et cela avec bonheur, avec une félicité complète.

En présence de ces faits, pourrions‑nous rester indifférents? Vous me direz peut-être: “Je suis professeur de rhétorique, je suis surveillant, je suis ceci ou cela, comment voulez‑vous que je réponde à cette grâce, que je me nourrisse de ces pensées‑là?” C'est précisément parce que vous êtes surveillant, professeur, qu'il faut vous en nourrir et essayer d'en faire profiter ceux que vous avez à surveiller, à instruire. Il faut appeler Dieu dans votre étude, dans votre classe. Il faut que vous fassiez là comme le Directoire marque, comme on vous a enseigné à faire au noviciat. C'est à cette condition seulement que nous pouvons réussir et obtenir les âmes et les volontés de nos élèves et de ceux qui viennent à nous.

Je suis vieux, mes amis. J'ai pu, depuis de longues années, faire des expériences, et j'ai profité aussi des expériences qu'ont faites d'autres avant moi. Je vous affirme devant Dieu que les moyens dont nous disposons sont, de tous, les plus sûrs et les plus efficaces. Ces moyens nous sont confiés: ils nous appartiennent. Ils ont été tirés, me disait la bonne Mère, du trésor de la charité divine. Ce trésor a été remis en nos mains et pas en d'autres mains. Voilà en face de quelle obligation nous nous trouvons, l'obligation de faire valoir ce don de Dieu, de le faire connaître, apprécier, fructifier. Voilà ce que vous allez préparer pendant la retraite.

Et c'est non seulement dans le moment présent que nous sommes obligés de nous préparer à faire fructifier le don de Dieu, il faut aussi nous préparer pour l'avenir. Nous sommes les premiers, mes amis: d'autres viendront. Quel héritage allons‑nous leur laisser? Faites‑y bien attention! Dieu est un Dieu jaloux, sévère, inexorable pour ceux à qui il a confié des trésors et qui les ont laissé perdre. Ce trésor qui nous est confié, nous devons à nous‑mêmes et aux autres de le conserver, de le transmettre à ceux qui viendront après nous. Si nous le dissipons, par notre négligence, si nous le laissons perdre et qu'il n'en reste plus rien, que trouveront ceux qui doivent nous succéder? Je ne crains pas de menacer de la justice de Dieu, j'en ai perpétuellement des preuves, ceux qui ne garderont pas ce don, qui ne le transmettront pas à leurs successeurs.

C'est là une chose bien particulière, mes amis: tous ceux qui se sont mis contre notre doctrine, tous ceux qui l'ont combattue, d'une façon ou d'une autre, sont devenus les victimes —  je ne sais pas comment m'exprimer, le terme me manque — oui, absolument les victimes de la justice divine, et d'une façon effrayante. Il n'est pas une seule de ces âmes, je crois, qui n'ait subi des châtiments incroyables. Je crois qu'il serait à propos de recueillir et d'enregistrer ces faits dans nos Annales. Quand saint Pierre, au commencement de l'Eglise, disait à Ananie: “Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu”. Et à Saphire: “Voici à la porte les pas de ceux qui ont enterré ton mari: ils vont aussi t’emporter” (Ac 5:4; 9). Saint Pierre n'était pas cruel; ce n'était pas un tyran; il n'était que le ministre d'une justice amère et terrible, et pourtant vous savez ce qui est arrivé. Pourquoi? Parce que ces choses sont le don de Dieu, le don de sa prévenance et de son amour. Or Dieu est impitoyable toutes les fois qu'il se trouve en face de la négligence complète, du mépris des dons de son amour. Il retire sa main et laisse tomber l'âme ingrate au fond de l'abîme.

Rappelez vos souvenirs, mes amis, examinez autour de vous, et vous constaterez que je n'exagère en rien. Mais pourquoi cela? Dieu tient à ces dons intimes de son cœur, il y tient d'une manière infinie. Il veut que nous en profitions et que nous en fassions profiter les autres. Si nous ne le faisons pas, il nous châtie. Mes amis, nous allons donc faire cette retraite pour devenir de vrais Oblats, pour nous pénétrer de cette volonté divine, pour nous fonder en elle, dans cette volonté divine, cette intention éternelle qui est d'établir sur la terre un ordre de charité, de sainteté, qui dispense largement les mérites du Sauveur, un ordre qui, comme l'a répété bien souvent la bonne Mère Marie de Sales, doit faire sa demeure dans le plus intime de la charité divine, qui doit réimprimer l'Evangile en détail, mot à mot, avec des caractères que veut mettre le Sauveur lui-même. Ce don de Dieu nous est entièrement départi, nous est remis entre les mains. Nous avons la responsabilité absolue de cette grâce si grande. Pendant 40 ans, j'ai assisté à cela, j'ai écouté cette doctrine‑là avec plus ou moins de doutes, je l'avoue, avec plus ou moins d'incertitude. Je reconnaissais bien que le fond était d'une suprême vérité et d'une suprême doctrine. J'ai assisté journellement au développement, à la réalisation de tout cela. Quand la bonne Mère me faisait une prophétie, et que quelques jours après j'en voyais la réalisation palpable, (je ne puis entrer ici dans les détails), j'étais bien obligé de me rendre. L'action de Dieu était claire comme le jour. Quand je voyais la bonne Mère revenir de la sainte Communion, de l'oraison, et me parler de toutes ces choses, je sentais le bon Dieu, je sentais que cela venait du ciel: je ne pouvais pas le nier. “C'est le don des Oblats, me répétait-elle, c'est à eux qu'il est destiné”.

Je suis donc obligé de vous dire cela, mes amis, pour vous faire bien comprendre toutes les ressources qu'il y a là, pour vous faire bien comprendre qu'il y a là des grâces que vous ne trouverez nulle part ailleurs, parce qu'elles ont été départies à nous seuls. Cela est tellement exact que c'est comme la pierre de touche, c'est comme le corps électrisé qui ne peut pas être touché sans produire une commotion. Tout ce qu'a dit la bonne Mère produit son effet pour le service et le salut des âmes, et c'est là notre patrimoine. Appelons en nous pendant cette retraite la lumière divine qui éclaire notre voie, qui nous montre par quels moyens nous pourrons arriver à profiter entièrement de ce don, et en éclairer les autres et remplir les vues de Dieu sur nous. La retraite est précisément pour cela.

Nous allons la faire comme nous avons l'habitude de faire toutes nos retraites. Il y a certains avertissements à donner, comme toujours. Il faut appeler l'attention sur certaines choses qui s'oublient facilement. “Mon Père, dira l'un, je ne comprends pas grand-chose à ce que vous dites: cela me paraît bien mystique”. Un autre n'est pas trop bien disposé: “La retraite me fatigue et m'ennuie. Cela me fatigue le corps et me fatigue l'esprit. Je ne mange pas comme j'en ai en l’habitude, je suis mal couché, mal à l'aise; je suis sorti entièrement de mes habitudes, je suis sous l'étreinte. Je me sens sous l'empire d'une volonté qui n'est pas la mienne. Je souffre”. Oh! ce que vous dites là est vrai, et c'est très bon que vous portiez un peu la croix. Faites votre retraite dans ces angoisses, et plus il y en aura, plus votre retraite sera bonne. Dites “Fiat” et marchez vaillamment, et la grâce de Dieu opérera. Le bon Dieu qui prépare les grains et les gouttes de rosée aux petits oiseaux du ciel, croyez‑vous qu'il ne vous a pas préparé, à vous aussi, les grâces de la retraite? Croyez‑vous qu'il n'a pas étendu sa main providentielle sur chacune des circonstances de la retraite? Il est là tout entier qui vous regarde et vous aime. Adorez‑le dans cette pensée fatigante, dans cet ennui et ce découragement, dans cette gêne que vous éprouvez, dans ces ténèbres et ces sécheresses de votre âme. Je vous répéterai pour la dixième fois que j'ai vu à la Visitation les plus saintes âmes faire comme cela leurs retraites. La Sœur Marie-Geneviève ne la faisait jamais autrement, et c'était une grande sainte.

Soyez fidèles au règlement de la retraite. Que ce soit pour vous une chose sainte, sacrée, que nous respecterons comme les enfants d'Israël respectaient l'arche du Seigneur: il n'y faut pas toucher, ni y porter la main, sous peine de mort. Ce serait la mort de notre retraite, l'anéantissement de toutes nos bonnes résolutions. Faites cela, mes amis: ayez bien l'intelligence de ces choses. Apprenez à ceux à qui vous prêchez à faire ainsi leurs retraites. De la sorte, elles se feront facilement, avec un grand cœur, un grand désir d'être à Dieu, comme le bon Dieu nous le commande. Pour vos oraisons de retraite, ce sera bien qu'à la visite au Saint- Sacrement surtout, vous suiviez votre mouvement particulier, à vous. Manquez-vous de foi? Souvent nous en manquons, et pourquoi? C'est par incapacité, en suite du péché originel, et aussi en suite de nos fautes, de nos petites infidélités. Le rayon divin n'arrive plus aussi pur, aussi direct à notre âme. Nous manquons de foi à notre vie religieuse; nous manquons de foi à notre Directoire, nous manquons de foi à l'obéissance. Faisons oraison là‑dessus, et demandons la foi: “Augmente en nous la foi” (Lc 17:5). C'est de courage que vous manquez? Faites oraison là‑dessus. Vous êtes sujet à la légèreté, aux divagations d'esprit? “Rentrez en vous-mêmes” (Is 46:8), revenez à Dieu qui est là devant vous, à la sainte messe, au tabernacle, qui est là dans votre cœur. Demandez au Bon Dieu de ne pas laisser ainsi se dissiper votre esprit et votre cœur.

Passons ainsi notre retraite. Je vous répète que je la regarde comme bien plus importante qu'une retraite ecclésiastique, parce que vous devez avoir sur les âmes qui vous seront confiées, soit d'une façon, soit d'une autre, des grâces plus étendues, plus profondes encore que dans le ministère sacerdotal tout simple. Votre retraite doit être meilleure que toute autre retraite, non seulement pour ce motif‑là, mais surtout, (et ceux qui comprendront cela seront appelés bienheureux) parce que le bon Dieu nous a choisis entre mille et dix mille. Il nous a choisis et appelés, non pas pour nous placer au bout de la table, tout au bas, comme Judas; non pas pour nous mettre au milieu de la table, entourés des autres apôtres; mais pour nous placer tout près de lui, avec saint Jean, l'apôtre bien-aimé, pour que nous reposions sur son cœur, pour que nous comprenions ce qu'il nous dit, et que nous le fassions comprendre et aimer des âmes, pour que nous possédions ce que de toute éternité il nous a destiné. Pendant la retraite, à la visite au Saint Sacrement, venez comme saint Jean, et demandez au Sauveur qu'il vous révèle ce qu'il est pour vous et ce que vous devez être pour lui!