Retraites 1894

      


NEUVIÈME INSTRUCTION
L'éducation de la jeunesse - Les Annales Salésiennes

Ce soir à 5 heures nous aurons la cérémonie d'admission au noviciat et de profession.. Je recommande à vos prières . nos jeunes Pères qui doivent y participer. Demandez au bon Dieu qu'ils sachent bien se mettre à la vie religieuse, afin de trouver parmi nous tous les secours qui seront utiles et bons à leurs âmes. Eux et nous, nous apporterons à cette cérémonie, toute la dévotion possible. Vous allez continuer jusque‑là votre Retraite, dans le recueillement et  l'union au bon Dieu. Recueillez bien toutes les grâces,  toutes les paroles de Dieu de la Retraite ; ramassez dans le grenier de votre âme ce grain céleste ; vous le conserverez pieusement ; et au jour où vous en aurez besoin vous le trouverez pour le bien de votre âme et de celle des autres.

J'attache une grande importance à la Retraite que nous venons de faire, mes chers amis. Je n'avais pas pensé d'abord à lui donner une telle portée. En y réfléchissant, j'ai vu qu'il était absolument nécessaire que tout le monde y participât et qu'elle fût tout à fait générale. Vous avez commencé, les autres continueront, Ceux de nos Pères qui ne sont pas venus et qui n'ont pas fait cette Retraite, viendront en faire une autre que je prêcherai, et qui commencera le 16 septembre à Saint-  Ouen. Ils viendront là entendre littéralement ce que je vous ai dit ici. Il n'y aura d'exception pour personne . Je ne pense pas qu'il puisse présenter aucune raison d'empêcher quelqu'un de ceux qui ne sont pas ici d'y assister. Vous serez là pour les remplacer dans les Collèges. Tout le monde sera de retour des absences de vacances. De sorte que tout le monde aura bien entendu de ma bouche ce que j'ai à dire, et ce que vous avez à faire cette année. Tout le monde le mettra mieux en pratique, et dès le premier moment, l'ayant entendu de ses propres oreilles.

Je continue l'explication des résolutions du Chapitre Général. L'esprit que nous avons doit, se manifester dans toutes les œuvres que nous avons à faire. Tous ceux avec qui nous avons à traiter,  tous ceux que nous rencontrons sur notre chemin doivent l'apprécier : or, ils n'apprécieront que ce que nous montrerons ; ils ne comprendront que ce que nous serons vis‑à‑vis d'eux.

La plus grande partie de notre ministère est dirigée actuellement vers l'éducation de la jeunesse. Les collèges absorbent la majeure partie de notre personnel ; l'éducation est donc aussi la partie principale de nos obligations. J'ai à dire là‑dessus quelque chose d'extrêmement sérieux.

Il faut comprendre la doctrine de Saint François de Sales, son esprit au sujet de l'éducation de la jeunesse. Il faut nous en pénétrer, car nous ne ferons du bien et nous ne réussirons qu'à cette condition. Or le point capital de cette doctrine, de cet esprit, c'est le respect de l'âme de l'enfant, du jeune homme.

Comment respecter un gamin qui n'est guère respectable ? Les Anciens pourtant disaient déjà Maxima debetur puero reverentia. Vous ne respectez pas cet enfant vous le traitez avec mépris, comme un rien. Il en est blessé. Il le saisit bien, et il apprécie votre sentiment intime. Il n'estime pas davantage son âme que vous ne l'estimez lui‑même. Il n'a aucune idée de sa dignité morale, de la valeur de ses actes, parce que vous n'en avez aucun respect vous‑mêmes. Et c'est à dix ans qu'il cette opinion de lui‑même, à l'âge où, comme le disait Mgr. Dupanloup, l'homme moral est déjà fait. Voilà ce qu'on oublie trop souvent, mes Amis. - On rudoie l'enfant, parce qu'il est désagréable ; quelquefois on le frappe, malgré les lois civiles et malgré nos lois religieuses ; on est impatient ; on le traite comme un être de nulle valeur, de nulle considération. Mais vous insultez cette créature faite à l'image de Dieu; vous insultez sa famille qui vous l'a confié pour l'élever. Comment prétendez‑vous remplir ainsi une mission si délicate ? - J'ai là, dans ma poche, une lettre bien forte, émanée  d'une famille qui se plaint que dans un de nos collèges on ait frappé des enfants, qui déclare qu'il est impossible de confier des enfants à des maîtres qui ne savent pas se respecter eux‑mêmes, respecter les enfants qui leur sont confiés, et respecter les familles qui leur témoignent ainsi leur confiance. - Je n'ai jamais entendu dire, mes amis, qu'un Jésuite ait frappé un enfant, plusieurs chez nous se sont permis cela. Chez les Frères des Ecoles Chrétiennes on met en pénitence celui qui a frappé un enfant ; nous mettrons aussi en pénitence celui qui pourrait à l'avenir s'oublier de cette façon ; nous lui donnerons une humiliante pénitence.

Nous sommes en famille, je puis bien  tout dire. L'Archevêque d'Athènes m'écrit qu'on a frappé des enfants là‑bas ... Nous sommes pourtant les fils de Saint  François de Sales ! -Tout le monde sera donc bien prévenu à l'avenir, depuis le prétendant jusqu'au plus ancien professeur ; désormais celui qui frappera un élève mangera à genoux au réfectoire. Ce sera sa pénitence. Il n'y a pas à dire : C'est un mouvement d'impatience. Les grandes fautes, les grands crimes eux aussi se font presque toujours par un mouvement d'impatience,  par un mouvement de passion, et  ils n'en sont pas plus excusable pour autant. Ceux qui auront donc frappé quelque enfant, en diront leur coulpe, et mangeront à genoux.

Voyez comme un oubli de cette sorte peut conduire des effets déplorables. Si l'Archevêque d'Athènes m'écrit cela à moi, croyez‑vous qu'il ne le dira qu'à moi ? que cela n'ira pas jusqu'au Pape lui‑même ? Voilà jusqu'où ira le soufflet donné. Qu'est‑ce qu'on pensera et dira dès lors des Oblats ? Que ce sont des maîtres d'école du plus bas étage, qui brutalisent les enfants.

Faites bien votre devoir ; faites vos classes, vos surveillances, comme cela est marqué, comme on vous a dit de faire ; attachez‑vous religieusement aux obéissances données, et dans les moindres détails ; faites bien votre direction d'intention, et le bon Dieu vous donnera la grâce.

Ce que je vous disais au sujet des vocations, il y a deux jours, je vous le dirai encore au sujet des élèves. Vous allez peut‑être me trouver un peu extraordinaire : je ne serai que vrai. Vous avez charge d'âmes à l'égard de vos élèves, des élèves de votre classe, des enfants de notre œuvre. Le père et la mère ont bien charge d'âmes à l'égard de leurs enfants. Vous leur devez vous aussi, non seulement la surveillance, les soins matériels et intellectuels ; vous êtes religieux, vous devez exercer votre charge en religieux. Vous devez prier pour ces enfants ; vous devez les porter devant le bon Dieu, avoir sans cesse leur âme sous vos yeux, mettre à cette sollicitude toute votre âme, tout votre cœur. Est-ce que je vais trop loin ? Non, mes amis, c'est là le seul moyen de faire à vos élèves quelque bien. Si vous n'employez pas dans cette grande œuvre de l'éducation le levier des moyens surnaturels , si vous n'allez pas puiser dans le Cœur de Jésus ce qu'il vous faut pour vos élèves, dans la Visite au Saint Sacrement, à l'oraison, à la messe, dans votre bréviaire, qu'est‑ce que vos élèves trouveront de particulier chez vous ? - Du latin, des mathématiques et de la soupe ? - Ce n'était pas la peine dès lors de venir dans un collège chrétien; ils trouveraient tout cela aussi bien ailleurs. - C'est vous qui ne remplissez pas vos devoirs à l'égard de vos élèves. Priez pour eux, parlez d'eux à Notre-Seigneur, et vous deviendrez de bons professeurs, de bons surveillants.

C'est la grande méthode à employer. Voilà un élève qui n'est pas facile ; il n'a pas de moyens ; il a un mauvais caractère, il fait du mauvais esprit ; il a des défauts il est boiteux d'esprit, bossu d'âme, contrefait moralement. Il est infirme moralement. Il faut le prendre comme il est, et  tâcher d'en tirer quelque chose. Cette infirmité morale est aussi réelle qu'une infirmité physique. Ce n'est pas sa faute, au fond, s'il est bâti comme cela. Allez‑vous pour cela le maltraiter, le rudoyer ? Sera‑ce raisonnable, et ferez‑vous votre devoir ? Si vous prenez cette petite âme ; si vous entourez de sollicitudes  cet infirme d'esprit, si vous priez pour lui, si vous l'aidez, l'entourez, le soutenez, vous en ferez quelque chose. Vous le guérirez de son infirmité. Vous serez alors vraiment des professeurs, des surveillants chrétiens, des religieux. - Mon Père, c'est bien aisé à dire. Vous voyez cela de haut ; mais quand on est en face de pareils élèves, on est bien plutôt tenté de s'impatienter que de prier ; on a bien plutôt envie de se servir de son poing ou de son pied que de prendre des moyens de douceur. -  Je ne dis pas que ce soit facile. Je ne fais pas appel à des sentiments, pas même à votre raison ; je fais appel à toute votre foi, à toute votre générosité,  à toutes les forces de votre âme et de votre obéissance religieuse. Il ne faut rien moins que tout cela pour faire ce que je vous demande.

Faites cela, mes amis, à l'égard de toutes les âmes dont vous êtes chargés. Quand nous avons à remplir quelque devoir du saint ministère, prions pour les âmes ; notre ministère trouvera les âmes disposées un peu dans la proportion de nos prières. Aidons ces âmes de nos suffrages, de notre charité.

Essayons de faire cela, nous religieux. Si vous étiez des professeurs ordinaires, je n'entreprendrais pas de vous dire cela. Je serais Supérieur de séminaire, je ne vous dirais pas cela d'une façon aussi absolue ; je n'oserais pas pousser les choses jusqu'au point où je les pousse avec vous. Chacun n'est pas obligé d'aller aussi  loin que le religieux qui s'est consacré, qui s'est dévoué corps et âme. Chacun du reste n'a pas l'intelligence pour comprendre tout cela. Le bon Dieu ne demande pas cela à tout le monde ; mais il vous le demande à vous. Il le demande à ses religieux ; il le demande tout particulièrement aux Oblats de Saint François de Sales.

N'ayons pas peur d'entrer dans cette voie ; elle ne sera ni trop rude, ni trop difficile. Une fois que nous aurons tourné notre cœur de ce côté‑là, que nous aurons mis le pied dans le bon chemine tout s'arrangera ; les choses les plus assujettissantes, qui nous paraissaient d'abord les plus écrasantes, deviendront des moyens, des aides puissants. Et c'est à cette condition seule que vous serez de vrais surveillants, de vrais professeurs dans l'esprit de Saint François de Sales. Essayez de partir de cette Retraite, et vous jugerez ensuite.

Je sais bien que cette multiplicité de sollicitudes, de recommandations, fatigue, ennuie, devient  fastidieuse : c'est vrai. Mais voyez, il faut faire de tout comme pour le Directoire. Il est dit que pour le commencement il est bon d'assujettir l'âme, de la plier à chaque exercice et chaque intention et pensée déterminés ; puis peu après, au bout d'un certain temps, quand l'âme est suffisamment rompue et dégourdie, tous ces multiples exercices se convertissent en une disposition habituelle de faire toujours la Volonté de Dieu. On s'attache à tout instant à la Volonté de Dieu, comme moyen d'union à Dieu. Mais il a fallu commencer par la multiplicité, par faire en détail, à chaque action la réunion actuelle de sa volonté à celle de Dieu. Il en est de même pour la prédication. Ne faut‑il pas commencer d'abord par tout écrire, par tout apprendre par cœur ; et ce n'est que plus tard, quand on est bien formé et rompu qu'on peut se dispenser d'apprendre par cœur, ne plus écrire même tout en détail ? Il faut toujours se préparer avec soin sans doute ; mais la diction est devenue plus facile, les idées arrivent en leur lieu et place, et se mettant plus directement  en face des auditeurs, on peut les instruire d'une façon plus profitable que par la parole écrite et apprise. Il en est de même pour les exercices de la vie intérieure ; il en est de même pour la sollicitude et la charge des âmes. En nous exerçant à tout ce qui nous est demandé, et qui peut bien sembler multiple au premier abord, nous arriverons facilement à l'unité, à l'union constante à la Volonté de Dieu, et alors se réalisera la parole de Notre-Seigneur  : Mon joug est doux et mon fardeau léger. Rien n'est plus doux à porter que le joug du Seigneur ; au lieu d'accabler, il soutient et dirige.

Nous aurons donc un grand respect de l'enfant ; nous le traiterons avec une grande délicatesse ; lui‑même a, sans que nous nous en doutions parfois, une grande délicatesse d'âme. Quand l'enfant paraît bourru, inintelligent, ne nous y trompons pas, les impressions qu'il reçoit se gravent souvent d'une façon plus profonde que chez l'enfant plus intelligent. Une chose de peu d'importance, qui les aura touchés, peut déterminer chez eux la direction de toute leur vie. On a vu de belles et magnifiques vocations se déterminer ainsi en des sujets et en des circonstances qui ne semblaient guère s'y prêter. Sixte‑Quint enfant gardait les pourceaux. Il voit passer un moine et le regarde curieusement. Le moine s'intéresse à cet enfant, lui trouve un air intelligent, lui adresse quelques paroles aimables et bienveillantes. Des rapports s'établissent entre eux, le petit porcher entre au  couvent et devient pape. Si le moine qui passait avait rudoyé l'enfant curieux, s'il l’avait traité mal. Sixte‑Quint aurait gardé longtemps les porcs et ne serait jamais devenu Sixte‑Quint. C'est une question extrêmement délicate que celle de l'éducation. Dans une Œuvre on n'a pas à prendre tant garde. Mais quand on se charge de l'éducation complète de l'enfant, d'en faire un homme, un chrétien, et qu'on a la charge complète de cet enfant la responsabilité entière, c'est autre chose. Un seul directeur suffit dans une grande Œuvre de jeunes gens. Voyez combien de surveillants, de professeurs sont nécessaires pour un Collège. C'est qu'il faut faire là quelque chose de plus délicat, de plus complet. Placez‑vous tous à ce point de vue, afin que nous opérions vraiment l'oeuvre de Saint François de Sales.

Mgr. Mermillod me disait : “ Avec Saint François de Sales ont peut faire des hommes parfaits ; seulement il faudrait qu'on s'en occupât. Voyez les Visitations, ajoutait‑il : les pensionnaires ne sont pas très nombreuses ; on les élève vraiment. Il sort de là des femmes admirables. Oh ! que je voudrais voir la même chose pour les jeunes gens. Le résultat sans doute ne serait pas si facile à obtenir : la matière première n'est pas si flexible ; mais le bien serait plus durable, les effets plus grands sur la société. Voilà pourquoi je désirais voir établir des Oblats, des collèges d'Oblats.”

Mes amis, ce que nous faisons et rien c'est la même chose, si nous faisons comme tout le monde. Ce qu'on ne fera jamais si bien que nous,  c'est précisément cela, respecter souverainement l'âme de nos élèves, et les entourer de notre sollicitude surtout auprès du bon Dieu.

Dans les recommandations du Chapitre Général, il y a un mot qui concerne les Annales. Je fais appel à tous nos Pères à propos des Annales. Les Annales sont l'organe de l'Institut. C'est un organe modeste sans doute ; nous n'entrons dans aucune polémique, ni nous ne faisons de politique  ; nous ne nous occupons pas non plus de littérature. Les Annales sont de simples tablettes faites pour nous et pour ceux qui s'intéressent à nos Œuvres, et qui racontent ce qui se fait chez nous, et ce qui peut s'y rapporter en quelque façon, C'est donc l'organe très modeste et très simple de la Congrégation . Je désire vivement le voir se propager : c'est lui qui fait connaître nos Œuvres, qui y intéresse les étrangers ; plusieurs vocations d'Oblats en sont déjà le résultat, et il faut espérer que le nombre en ira croissant. Elles ont suscité déjà plusieurs offrandes matérielles pour le soutien de nos Œuvres. Il faut donc que chacun prenne sa part des Annales. La encore faisons preuve d'un grand esprit de communauté.

Les Annales, - on les a traitées quelquefois un peu légèrement ; on a de l'esprit, et on s'en sert pour critiquer certaines pages ; on relève certains articles avec un petit ton malicieux, qui peut parfois faire du mal, prenons‑y garde. Quel est le dernier mot, quelle est la pensée intime de ceux qui critiquent tout, qui trouvent à redire à tout ? C'est celle‑ci. Regardez‑moi, admirez moi, moi et moi seul je suis la perfection ; moi seul j'ai de l'esprit; moi seul j'ai du jugement ; moi seul je suis capable de faire quelque chose ; et tout ce qu'on a entrepris en dehors de mes idées, de mes jugements ne vaut absolument rien. Qu'un étranger dise cela au sujet de ce que nous faisons ; c'est bien, nous ne nous en occuperons pas. Mais c'est chose bien plus grave, mes amis, quand un religieux porte atteinte à la considération de ses frères, de son Institut ; quand ce qu'il dit peut décourager ceux à qui les Supérieurs ont confié une mission, Le mal qu'il fait là peut être immense. Soyons plus religieux, plus généreux, mieux élevés aussi.

Quelque chose parait dans les Annales, qui ne vous plaît pas, qui vous semble faible, mal dit,  il vous est bien permis d'avoir votre appréciation, dites‑le au P. de Mayerhoffen, il vous recevra bien, Si vous allez le dire au P. P... il vous enverra promener d'abord ; il soutiendra que c'est vous qui n'y comprenez rien, et puis il finira par reconnaître que vous avez raison... Ne dites donc pas de mal des Annales entre vous ni avec les étrangers. Faites plus. Vous devez collaborer aux Annales. Vous appartenez à un collège, à une Œuvre, vous êtes livres au Saint ministère : voilà un trait très intéressant, édifiant, recueillez‑le pour les Annales. Faites comme nos missionnaires qui m'écrivent fidèlement, et ils m'écrivent des choses bien intéressantes ; c'est ce qu'il y a de mieux dans les Annales. Et les missions n'occupent pourtant qu'une petite place dans l'Institut et dans nos Œuvres. Nous avons plus de collèges que de maisons de missionnaires ; les âmes à qui nous avons à faire dans nos collèges, dans nos Œuvres sont autrement nombreuses que dans nos Missions.

Recueillez donc soigneusement tous les faits édifiants que vous rencontrerez. Si nous aimons bien ce que nous faisons, mes amis ; si nous avons à cœur la prospérité de nos Œuvres, de nos maisons, nous trouverons quelque chose à dire. C'est dans la nature. Voyez le peuple grec c'était un peuple de rien. Il occupait sur la terre la place qu'occupe une province, un département français. Les charmes du pays, la beauté de ses sites, tout cela est médiocre ; Ils ont eu quelques grands hommes ; il y en a partout. Leur littérature s'est emparée de tout cela, et ils en ont fait merveilles. Pourquoi ? Parce qu'ils aimaient leur pays, parce qu'ils parlaient de lui avec toute l'affection de leur âme. Ils ne mentaient pas ; c'était bien la vérité qu'ils disaient ;  ils parlaient comme ils sentaient ; et toutes les fois qu'on sent vivement, toutes les fois qu'on parle de ce qu'on aime, on est éloquent. Voilà pourquoi ce peuple a été un grand peuple. Pectus est quod disertos facit. C'est le cœur qui fait les orateurs, c'est lui aussi qui fait les hommes et les choses. Aimez ce que vous faites, et vous trouverez beaucoup à dire, et vous direz bien et d'une façon qui intéressera.

Ce sera très bon signe quand nos Pères auront à écrire quelque chose pour les Annales ; et ce sera très bon signe aussi quand chacun de nous fera ce qu'il pourra pour recruter des abonnements, et contribuera ainsi à la prospérité des Annales. Elles sont entièrement à notre charge. Elles font maintenant leurs frais, mais elles ne les ont pas toujours faits et elles feraient un peu plus que leurs frais que ce ne serait pas mal. Ce serait bien désirable. On peut bien dire même qu'elles ne couvrent pas leurs frais en ce sens que la partie artistique, les gravures sont d'un artiste éminent, M. Dargent, qui consacre une partie de ses peines et de son beau talent gratuitement à l'illustration des Annales. C'est en reconnaissance d'une grande grâce obtenue par la Bonne Mère.  - Quand on entre dans le détail de tout ce qu'il faut de travail, de patience, de talent réel pour mener à bon terme une de ces gravures comme celles qui sont dans les Annales, et qui sortent de l'ordinaire, et dont plusieurs sont marquées au coin d'un remarquable talent, on comprend que la collaboration sérieuse d'un artiste ne soit pas une petite chose, une chose à dédaigner. Il est bien à remercier et à encourager,  ce monsieur qui s'est offert à nous si gracieusement. Il est d'une famille d'artistes. Son père que j'ai bien connu autrefois à Troyes. M. Yan'Dargent est un grand peintre, et un artiste chrétien. Encourageons‑le donc tous par le concours que nous apporterons a l'oeuvre à laquelle il veut bien donner son talent, son temps, son pain même ‑ et les artistes ne sont jamais bien riches !

Je puis le dire à ceux qui ne le savent pas. Les Annales sont bien lues, bien estimées. Toutes les personnes qui les ont entre les mains m'en rendent   un témoignage fort élogieux. On peut élargir encore un peu leur cadre, le rendre plus moderne, plus actuel. Nous n'aborderons certes pas le terrain politique; mais celui de la littérature religieuse est vaste. Les comptes- rendus d'ouvrages intéressants, des livres et des faits qui peuvent nous intéresser dans le domaine de l'histoire et de la littérature peuvent entrer dans notre programme. Le P. Bony qui est très habile dans ces sortes de travaux prêtera son concours. Le P. Bony, juge bien ; il a un style excellent; il faut prier Dieu que sa santé s'affermisse pour qu'il puisse nous donner de temps en temps quelque article intéressant, et qui sera certainement estimé et goûté.

Les Annales ne sont pas lues en France seulement. Elles le sont aussi beaucoup en Suisse, en Italie, en Espagne, en Allemagne, au Vatican ; un peu partout. L'Archevêque de Pérouse les étudie avec intérêt. Elles lui inspirent le désir d'avoir dans son diocèse des Oblats, des Oblates. Il a de l'esprit, cet archevêque. Il dit à sa nièce qui est très enthousiaste des comptes- rendus du bien qui s'opère dans les Œuvres : “ C'est de la vraie poésie .”  Voulant dire que les résultats dépassent les bornes ordinaires.

Intéressons-nous à tout ce qui est de nos Œuvres. Nous venons de faire ici, la semaine dernière, la Retraite des jeunes ouvrières des Œuvres. Il y avait dimanche 400 communions. C'est quelque chose cela, mes amis. Ce ne sont pas des communions, faites vaille que vaille, par ostentation ou légèreté. Elles étaient le résultat d'une foi très vive et très marquée, d'un courage, d'une énergie qui ne sont pas ordinaires, ‑ et il faut l'énergie à ces jeunes filles pour se maintenir bonnes au sein de la corruption qu'elles rencontrent dans les ateliers, dans les magasins, et quelques‑unes même dans leurs familles. Elles aiment à entendre la parole du Père qui fait l'oeuvre ; elles font ce qu'il a dit de faire, et cela leur semble facile, parce qu'elles sont généreuses.

Notre Œuvre de jeunes gens à Troyes va bien elle aussi. Ils comprennent que la doctrine de Saint François de Sales leur est bonne. Ils viennent de donner aussi le témoignage de leur bonne volonté dans la retraite que le Père Courtois vient de leur prêcher, et qui a produit de très bons résultats.

A Paris, le Père de la Charie est  chargé d'une grande œuvre fréquentée par 5 ou 600 enfants et jeunes gens. Il y en a 300 le dimanche, et il y a bien autant d'écoliers le jeudi. Le vénérable fondateur de cette Œuvre, M. Legentil, me disait : “ Mon Père, je vous remercie, car personne ne m'a rendu le service que vous me rendez. Les derniers Pères que nous avons eus étaient excellents ; impossible de réussir avec eux. Ils ne pouvaient s'accorder avec le Directeur. Il me fallait des Pères comme les vôtres !...” C'est que le Directeur qui est un bon et saint laïque, un homme d'un immense mérite et d'un dévouement à toute épreuve, est bien quelquefois un peu original. Il prêche et confesse au besoin. Témoin le pauvre Père Delaage. Le Père Delaage monte en chaire un dimanche pour faire son instruction. Au moment où il va ouvrir sa bouche, le Directeur qui est au pied de la chaire, ouvre la bouche, lui, et dit  : “ Mes enfants, le Père va vous parler ; il va vous dire ceci, il va vous dire cela et il fait le sermon du Père pendant une demi‑heure. La demi‑heure passée il tire sa montre : l'heure est passée ! et le Père descend bien humblement de chaire. - C'est aussi un peu ce qu'a fait le Père de la Charie, le successeur du Père Delaage. Quand je l'ai envoyé là je lui ai dit : “ Laissez faire sans vous fâcher ; on empiétera sur vos droits, sur votre ministère, ne dites rien et dévouez‑vous toujours.” Le bon Directeur n'a pourtant pas osé aller aussi loin que pour le Père  Delaage ; il continue néanmoins de s'occuper de bien des choses, d'entrer dans bien des détails qui sont un peu du domaine de l'aumônier, du prêtre. Le P. de la Charie  ferme les yeux et se dévoue le plus possible. Le directeur le respecte cordialement;  les jeunes gens l'aiment et l'écoutent. Ce résultat vient de ce que le Père a été bien Oblat, de ce qu'il a bien fait sa direction d'intention, de ce qu'il a accepté de la main de Notre-Seigneur  tout ce qui se présentait, et qu'il a mis au bon succès de son œuvre, tout son cœur et toute sa volonté. Voilà l'esprit de notre Saint Fondateur. Et le bien se fait à Saint- Charles ; c'est une des Œuvres de jeunes gens les plus florissantes de Paris.

Voyez nos missionnaires. Quand ils sont bien dans cet esprit‑là, comme ils réussissent, malgré les difficultés, les épreuves et les contradictions. Nous recevons de bonnes nouvelles du Cap  :  c'est admirable l'influence pour le bien que nos Pères exercent autour d'eux. Pourquoi le bien ne se fait pas partout tout à fait comme cela ? Pourquoi dans nos Collèges n'avons-nous pas la même influence que nos Pères ont au Cap ? qu'ils ont dans les Œuvres ? Faites vous-même la réponse.
Que tous se mettent à leur tâche avec un semblable dévouement, une semblable abnégation d'eux‑mêmes ; que tous soient généreux ; et les résultats seront les mêmes partout Je conclus. Nous aurons pour nos élèves quels qu'ils soient, ce respect de la foi qui voit dans l'âme de l'enfant l'étincelle, la petite flamme de l'esprit divin, - et dans l'âme la plus misérable, dans le caractère le plus détestable. Le P. Lacordaire disait : Le prêtre, lorsqu'il a laissé tomber sur la patène quelque petite parcelle de la Sainte Hostie, se prosterne, l'adore, et la recueille avec respect pour ne la point laisser profaner. Là où vous voyez quelque petite parcelle de la divinité d'une âme, prosternez‑vous et adorez, et recueillez‑la avec respect de peur qu'on ne la souille et la perde.

En ce qui concerne les Annales, aimez‑les comme on aime ce qui est de la maison, comme on aime ses amis et ses bienfaiteurs. Coopérez dans la mesure de vos talents à leur rédaction ; envoyez vos notes. Sans doute on pourra ne pas tout accepter, ne pas tout insérer ; il y aura certaines fois une sélection dont votre amour‑propre sera peut‑être tenté d'être blesse : On n'a pas inséré textuellement tout ce que j'avais écrit   ;  je n'enverrai plus rien ! Nous sommes religieux, mes amis, si l'on n'a pas tout mis comme nous avions dit, c'est qu'il y a eu quelque bonne raison que nous ne savons pas, mais que nous devons accepter en toute humilité et cordialité. Procurez des abonnes aux Annales et gardez‑vous bien de leur faire la guerre. C'est le défaut de beaucoup ; il est trop commun parmi nous : faire la guerre à ce qui est à côté de nous. Nous ne sommes pas méchants ; mais nous sommes quelquefois tentés de déprécier un peu, de tomber sur l'un, sur l'autre. Soyons vraiment de fidèles serviteurs de Notre-Seigneur, et imitons la Bonne Mère Marie de Sales et le bon Dieu sera avec nous ; et ce que nous aurons fait restera.