Retraites 1891

      


QUATRIÈME INSTRUCTION
Être des travailleurs

Dans l’Eglise de Dieu, chaque ordre, chaque Institut religieux arrive en son temps. Saint  François d'Assise, saint Dominique livrèrent les dernières batailles au paganisme attardé. Ils s'efforcèrent de réformer les mœurs d'une société encore à moitié païenne. Dans beaucoup de contrées, malgré le christianisme de surface, on ne comprenait plus guère, ni l'amour de Dieu, ni la nécessité d'observer la loi divine qu'on méconnaissait et qu'on ignorait, ne vivant plus que pour la convoitise des biens de la terre. Plus tard, d'autres ordres vinrent; et chacun parut en son temps. Les Jésuites furent opposés par la Providence au Protestantisme. Je sais bien qu'il serait parfaitement ridicule de dire que nous sommes venus nous aussi en notre temps comme tous ces grands ordres, et de nous donner ainsi une importance que nous n'avons pas. Tout le monde nous regarde comme l'une des cent petites congrégations qui ont pullulé dans ces derniers temps, et dont la multiplicité atteste de fait nos besoins religieux. Toutes ces congrégations ont, à peu de choses près, le même but, le même caractère. Comme nous sommes dans le tas, nous avons un peu l'air de nous en faire accroire et de vouloir nous élever au‑dessus des autres en nous attribuant une mission spéciale. Cependant, mes chers amis, si ce qu'a dit la bonne Mère est vrai, et pour moi j'y crois de toute mon âme, les Oblats de saint François de Sales sont appelés à faire quelque chose dans le monde et dans la sainte Eglise: ils ont reçu une mission qui est en rapport avec les besoins de notre époque.

Qu'est‑ce que remue le monde à l'heure présente? Qu'est‑ce qui se prépare dans la société? Quelle est la préoccupation générale? Quel est le mot d'ordre auquel on obéit? Ce n'est pas comme au temps des Croisades, où tout le monde voulait être guerrier pour aller conquérir le tombeau du Christ. Ce n'est pas non plus comme au temps des grandes hérésies, où tout le monde discutait les dogmes. Aujourd'hui on ne parle plus que de travail et de travailleurs. On n'a plus de pensée que pour l'organisation du travail. Il nous faut voir en cela une disposition de la Providence. A quoi aboutiront toutes ces secousses, revendications, grèves, organisations de syndicats, essais de réglementation? Nous n'en savons rien, Dieu seul le sait. Ce qui est certain, c'est que cet élément du travail prend chaque jour une force et un pouvoir plus grands. Il se trouve une masse compacte de travailleurs qui toujours augmente; la force du parti ouvrier va se doublant, se quadruplant de jour en jour. La grande question d'aujourd'hui, ce n'est plus le Protestantisme, ce n'est plus tel ou tel point de la civilisation chrétienne; c'est le travail, l'organisation du travail.

Je crois, et je ne me trompe pas en cela, que la pensée de la bonne Mère était que les Oblats, créés en ce moment, doivent agir précisément et ont un rôle à remplir dans cette grande question du travail et des travailleurs. Ils doivent exercer une salutaire influence, ils doivent agir. Quelle influence exerceront‑ils? Quelle action sera la leur? Dieu le sait. Mais nous savons aussi que pour être en rapport avec 1'époque où nous vivons et pour servir de nos jours utilement la sainte Eglise, il faut que nous ayons contact avec les travailleurs, il faut que nous soyons nous‑mêmes des travailleurs.

Pour devenir ouvrier, il faut apprendre un métier. Pour devenir menuisier, il faut fréquenter un atelier de menuiserie, pour devenir serrurier, on va à un atelier de serrurerie, pour être bijoutier ou orfèvre, on va chez un orfèvre ou un bijoutier faire un apprentissage du métier. Il faut que nous aussi nous nous exercions à travailler, et même à travailler manuellement, si les circonstances s'y prêtent, et si Dieu et l'obéissance nous y appellent. Les Oblats, je viens de vous le dire, sont destinés à une grande mission de travail, afin de pouvoir se rapprocher davantage des travailleurs, et d'exercer une salutaire influence sur eux. Rien n'inspirera confiance comme cet exemple du travail.

Quand Mgr l'Evêque du Cap écrivait au Saint-Père de vouloir bien nous confier une mission ayant le caractère de Préfecture apostolique, le motif principal qu'il apportait à 1'appui de sa demande, c'est que, disait‑il, les Oblats de saint François de Sales ne sont pas seulement des hommes qui prient et prêchent, mais encore des travailleurs qui cultivent la terre, qui bâtissent des maisons, qui apprennent aux pauvres indigènes par leur exemple à faire de même et les retirent ainsi de leurs habitudes de nonchalance et de paresse. Quand, au XIIIe siècle, Hugues de Payns fonda à Troyes l'ordre du Temple, les chevaliers mirent la main à leur épée et firent serment d'être soldats de Jésus-Christ. Nous, Oblats, mettons généreusement aussi la main à la besogne. Nous allons voir à quelle besogne.

Il y a dans le monde, je le répète, certaines phases, certains mouvements, certaines poussées qui demandent à être dirigées et bien conduites. Plusieurs fois je me suis entretenu de ces choses avec l'ancien nonce, Mgr Czacki, devenu depuis cardinal. Je l'ai vu à diverses reprises à Paris et à Rome. “Il faut, me disait‑il, qu'aujourd'hui encore, l'Eglise aille au peuple; il faut, si c'est nécessaire, qu'elle saute à pieds joints dans la boue de la rue, au risque d'en recevoir quelques éclaboussures, pour pouvoir atteindre ce pauvre peuple et le saisir. Il faut qu'elle-même se mette à la tête du mouvement pour le conduire”. Ce n'est pas une prétention ridicule que celle‑là. Et la pensée que je vous exprime là a une importance capitale. Tous les philosophes, tous les historiens voient et constatent ces phases, ces évolutions. Aujourd'hui cette évolution s'affirme dans le sens du travail. Dans l'ordre établi par Dieu, si le monde doit se guérir de son mal, ce sera par le travail. Si de grands et salutaires événements s'accomplissent, ce sera la puissance du travail qui les réalisera, ce sera l'action des travailleurs.

Faut‑il donc nous en aller dans un club de travailleurs et pérorer, montés sur des tréteaux? Nous ferions une bien petite besogne. Mais il faut nous mettre à travailler nous‑mêmes: voilà la première et principale chose à faire. Le Cardinal Czacki me disait encore: “Que vos religieux soient des travailleurs; et, s'il est nécessaire, qu'ils endossent la blouse pour travailler, qu'ils l'endossent! Ils mettront leur soutane pour dire la messe, et leur blouse ensuite pour travailler: ce sera très beau et très bon”. A l'heure qu'il est, mes amis, 1'existence est dure au travailleur; il est bon que le prêtre, que le religieux vienne s'associer fraternellement à sa peine et à son labeur.

Il faut nous inspirer de ces pensées et ne jamais reculer devant le travail matériel lui‑même, quand il se présente à nous. Ce n'est pas chose si extraordinaire et merveilleuse! Notre vocation n'en sera pas ébranlée; nous resterons ainsi dans la pratique de la pauvreté et de l'humilité, et chacun sera bien assuré de sanctifier ainsi son âme. La première communauté religieuse du christianisme naissant, n'était‑ce pas la sainte maison de Nazareth, où tout le monde travaillait des mains pour gagner sa vie? Il nous faut donc travailler tous. Quel genre de travail? Appliquons‑nous comme je vous le disais, à quelque travail manuel, si l'occasion se présente, si la pauvreté, le désir de rendre service à la communauté, les circonstances, l'obéissance, la santé parfois le demandent. Mais notre travail ordinaire et principal, à nous prêtres chargés de prêcher, de confesser, de diriger les âmes, d'enseigner, sera nécessairement le travail intellectuel, l'étude, plus pénible que le travail manuel.

Un ecclésiastique, un religieux destiné au saint ministère, sont obligés de savoir la théologie: il faut donc l'apprendre. Nous avons décidé que chacun des religieux doit travailler aux études théologiques au moins trois heures par semaine: c'est une décision du chapitre général qui a force de loi. Chacun aura son questionnaire avec son cahier de théologie; il devra répondre sur ce cahier aux questions données. En quelle étendue? de quelle manière? Le comité d'examen, dont le P. Lambert est le président, vous le dira. On remettra au P. Lambert le cahier tous les trois mois ou tous les six mois. Ou plutôt chacun aura deux cahiers, et il remplira l'un pendant que l'autre sera entre les mains des examinateurs.

Mettons‑nous à ce travail. La Congrégation ne vivra qu'en travaillant. Elle n'obtiendra de grâces surnaturelles, intérieures, que dans la mesure de son travail, et elle n'obtiendra pas de grâces autrement. Chacun traitera soigneusement les questions indiquées. Ainsi, mes amis, on ne viendra plus nous adresser le reproche que nous ne savons pas de théologie, que nous n'avons pas fait de théologie. Je n'ai jamais présenté personne aux ordinations sans en avoir ensuite reçu des compliments. Même une fois on a envoyé à l'ordination, contre mon sentiment, un postulant que je jugeais ne pas savoir suffisamment de théologie. C'est le motif que je donnais, pour ne pas le présenter. “Il en sait plus que mes séminaristes”, dit l'évêque de Troyes, qui avait voulu l'interroger lui‑même. Oui, Mgr Cortet lui‑même a dit cela. Ce reproche personnel, on ne sera plus en droit de nous l'adresser, quand nous nous serons appliqués aux études théologiques depuis notre entrée en religion jusqu'à la mort. C'est alors seulement que nous aurons terminé notre cours de théologie de trois heures pour le moins par semaine. Ceux qui suivent les cours de théologie préparatoires aux ordinations, auront leurs questions spéciales.

Chacun étudiera sa théologie. Et il ne faut pas se borner à étudier les simples traités élémentaires, il faut approfondir les questions. Il faut étudier la théologie appliquée spécialement à tel ou tel point que l'on doit traiter dans la prédication, dans le catéchisme, à tel point que l'on a rencontré dans la confession ou la direction des âmes. Le domaine est assurément très vaste. Et il ne faut pas négliger certaines questions qui sont d'actualité, ou encore qui prêtent à la discussion. Que votre cours de théologie soit aussi complet que possible; non seulement, je le répète, élémentaire et abrégé, mais complet, détaillé. Fréquentez les grands auteurs, quand l'occasion se présente. Que votre étude de la théologie soit aussi vécue et pratique. Vous avez une question de catéchisme à traiter, une question de doctrine dans une instruction, un sermon sur une matière que vous n'avez pas approfondie: étudiez à fond dans les auteurs, dans la Somme de saint Thomas, ce point de doctrine. En général les catéchismes, les cours d'instruction religieuse  sont sans grand intérêt, c'est parce qu'ils n'ont pas été suffisamment préparés. Vous entreprenez de traiter et d'expliquer aux autres une question que vous n'avez peut‑être jamais bien saisie, vous-même, et qui n'est pas claire du tout dans votre esprit.

La prédication. Il faut que l'Oblat prêche comme on doit prêcher quand on est Oblat de saint François de Sales. Ne prêchez pas comme les vicaires de grande ville.  Non, je retire ma parole. Ne prêchez pas comme certain vicaire de grande ville qu'on me citait, et qui passait une partie de son temps à lire des romans, pour mieux connaître la vie mondaine et pouvoir intéresser davantage son auditoire. Prêchez comme prêchait saint François de Sales. Toutes les fois qu'il montait en chaire, on l'écoutait: on était vraiment intéressé; sa parole portait des fruits, elle convertissait ou elle affermissait. Pour atteindre ce but, il faut prendre sa méthode, et pour cela beaucoup travailler. La méthode ancienne et habituelle, la forme classique et habituelle de sermon à grand apparat, en deux ou trois points, bien annoncés, divisés, subdivisés, peut être très bonne comme charpente de l'instruction, comme indication de la marche à suivre pour faire tenir un sermon droit sur ses pieds, pour bien et judicieusement développer sa pensée. Mais, de grâce, mettons‑y un peu d'intelligence et de jugement. Laissons de côté les formes surannées, les divisions trop ressassées, les considérations qui ne sont plus dans nos moeurs. Lisez et étudiez Bourdaloue. Mais si vous vous avisiez de prêcher tel quel le plus beau sermon de Bourdaloue, personne à l'heure actuelle n'y comprendrait rien.

Laissez‑vous bien former selon la méthode que je vous ai tant de fois donnée. Parlez vraiment aux auditeurs que vous avez là devant vous et qui vous regardent. Dites-eur précisément la chose qu'ils ont besoin que vous leur disiez. Ce que je vous enseigne là, mes amis, c'est ce que m'a toujours dit et redit Mgr Mermillod qui était un maître dans l'art de parler. A nos prédicateurs maintenant de faire tout leur possible pour se ranger à cette méthode, et à puiser à la source abondante qui leur est ouverte. Cela nécessite un grand travail, oui, mais un beau et intéressant travail. Je rappelle à ce propos le conseil que je vous ai donné souvent: les notes prises sur des feuilles volantes et rangées par ordre alphabétique dans des cartons. Mais pour cela il faut travailler, et beaucoup.

Il faut travailler dans tout ce que vous avez à faire. Vous avez une classe. Travaillez à fond chacune des matières que vous devez enseigner. Tout professeur doit avoir à cœur de donner à ses élèves un enseignement solide, je ne dis pas savant, mais profond cependant, et qui témoigne d'une science sérieusement acquise,et surtout un enseignement pratique. Vous êtes savant pour vous d'abord? Oui sans doute, mais il faut l'être aussi et surtout pour vos élèves. Préparez soigneusement vos classes. Mettez-vous bien aussi en face de vos élèves; voyez‑les, connaissez‑les bien, de façon à pouvoir les saisir. En voilà un plus intelligent que les autres; il réclame davantage que ce que vous donnez aux autres. Donnez‑lui davantage, et ne le laissez pas dans la pénurie. En voilà un qui a beaucoup d'imagination; servez‑vous précisément de son imagination pour le saisir. Mais, pour cela évidemment, il vous faudra travailler beaucoup, réfléchir, chercher, essayer, recommencer sans cesse. Je ne crois pas possible qu'on puisse faire bien une classe, quelle qu’elle soit, sans l'avoir bien préparée, fût-ce une classe de 7e, de 6e, de 9e, de 10e même. Préparez par l'étude l'intérêt que vous donnerez à vos classes, par la récolte quotidienne et incessante de vos notes, y apportant toujours quelque chose de nouveau, un petit fait intéressant, l'explication d'un mot, quelque chose qui vous aura touché au fond du cœur.

Je me rappelle un évêque de Troyes, Mgr Cœur, qui était un prédicateur éloquent et de renom. J'allais le voir quelquefois, cependant il n'était pas trop mon ami, parce qu'il trouvait que j'aimais trop la liturgie romaine. Un jour il avait à prêcher, et je le trouvais très tourmenté, très agité, malade. “Qu'est‑ce que cela vous fait, à vous, quand vous allez monter en chaire?”  me demanda‑t‑il brusquement. “Moi, continua‑t‑il sans attendre ma réponse, ça me brûle!...” Il faudrait que nous ayons un peu de cette émotion‑là quand nous allons faire la classe: il faudrait que ça nous brûle. Il faut au moins, quand on va en classe, s'être préparé et avoir quelque chose à dire; et dans ce qu'on dit, ne pas passer à plusieurs mètres au‑dessus de la tête des élèves, mais il faut parler selon leur capacité. Toutes les fois que nous nous intéresserons à notre classe, nous intéresserons nos élèves. Et pour cela, il faut préparer soigneusement notre affaire, il faut travailler. Nous sommes directeur d'âmes. Là encore, faut‑il travailler? Oui mes amis, car nous n'avons pas la mission de représenter seulement Notre-Seigneur sans rien faire personnellement, mais nous avons une mission d'action très vive et réelle sur les âmes que Dieu nous envoie, et il faut beaucoup travailler pour accomplir cette tâche. Comment faut‑il travailler?

Qu'est‑ce que la direction pour l'Oblat de saint François de Sales? Vous avez un certain nombre de pénitentes, de pénitents. Cherchez prudemment s'il se trouve parmi eux quelque âme capable de direction, qui pourra mettre dans sa vie quelques-unes de nos pratiques religieuses: pensée de la présence de Dieu, direction d'intention, fidélité au devoir du moment présent, faire passionnément bien le devoir; oraison simple et affectueuse. Vous en trouverez, vous les formerez à cela petit à petit. Cela vous demandera plus de temps, sans doute, plus de travail: ce sera précisément le travail de la direction.

Les religieux sont religieux pour rendre semblables à eux les âmes que Dieu leur envoie, et qui veulent bien se laisser diriger dans ce sens. Nous ne sommes pas des gens à la tâche, qui retournent le champ vaille que vaille, pour le compte du propriétaire pour lequel ils travaillent. Il faut que nous ayons une action réelle sur les âmes qui viennent à nous: “Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour” (Os 11:4). C’est l’Adam régénérateur, le père de famille qui nous amène et nous confie ces âmes. Il les pousse vers vous par les liens d'une sainte et toute spirituelle confiance. Elles viennent à vous, parce que vous êtes religieux, elles s'attachent à vos doctrines, elles iront plus loin. Elles voudront obéir aux mêmes lois que celles auxquelles vous obéissez et qui vous dirigent vous‑mêmes. C'est bien étrange qu'on ne comprenne pas cela. Tous les bons Prêtres, tous les bons religieux le comprennent et le savent. Faites votre besogne avec ces âmes qui se confient à vous et que la Providence elle‑même vous a départies. C'est là votre besogne, à vous.

Voilà pour les âmes prises isolément. Mais il se rencontrera des cas où ces âmes, plus nombreuses, pourront être groupées, unies prudemment et discrètement en une petite association. Vous pourrez alors les amener bien plus efficacement à la pratique du Directoire et des autres moyens de saint François de Sales. Voici donc ce que nous ferons pour ces âmes. Nous n'en prendrons pas beaucoup tout d'abord. Il ne s'agit pas d'amasser une troupe de braves gens, pour s'en faire suivre et escorter, et les enrégimenter sous notre conduite. Il ne faut pas faire de la réclame et battre le rappel pour ramasser le plus de monde possible, comme une foule qu'on invite à un spectacle qui pique sa curiosité, qu'on invite à dîner, et puis, le dîner fini, on se salue poliment et chacun rentre chez soi. Non! commencez par une, deux, trois âmes d'abord, et ainsi de suite, en faisant la sélection dans ce que Dieu vous enverra, de manière à avoir quelque chose de solide. N'allez pas trop vite. Faites faire un peu de noviciat préparatoire. Sans noviciat, il n'y a pas de vie religieuse, et il n'y aurait pas non plus de cohésion, sur une base sérieuse. Alors nous aurons ainsi un Tiers-Ordre? Oui! et que nous ferons approuver à Rome quand il existera. Mais il faut commencer déjà par établir quelque chose. S'il n'y a que le projet en l’air, que l'étiquette, et que l'on vienne demander à Rome: “Il faut approuver cela, il faut souscrire”. Rome voudra ouvrir la porte et inspecter, et vérifier toutes les étiquettes. Elle ne trouvera rien derrière l'étiquette et elle n'approuvera rien!

Chacun de nous doit donc se regarder comme obligé de chercher parmi les personnes qu'il confesse, celles qui sont susceptibles de direction. Et parmi celles qu'il dirige, celles qui sont capables d'être groupées, unies en une association de saint François de Sales. Travaillons un peu pour nous, mes amis. Nous ne sommes pourtant pas obligés de travailler pour le compte des Bénédictins, des Jésuites, etc. S'il est des âmes destinées par Dieu à marcher dans le chemin des Jésuites et des Bénédictins, généralement Dieu ne nous les enverra pas, et il permettra qu'elles soient remises aux soins des Jésuites ou des Bénédictins. Ceux que Dieu nous envoie, c'est ordinairement pour que nous les conduisions par notre chemin. Soignons bien notre monde, restons bien à la tête de notre atelier.

Nous devons essayer d'ajouter à tous ces travaux que nous avons dits, le travail manuel, le travail matériel. En quelle mesure? Il faut que le travail manuel lui aussi soit sous la dépendance de l'obéissance. Le travail manuel est la besogne ordinaire des Frères. Il serait bien désirable que nous ayons un certain nombre de Frères comprenant bien leur mission. En certaines Congrégations, les Frères forment la partie la plus fidèle et la plus sainte de la communauté. Pour être Frère, bon Frère, il faut quatre fois, il faut dix fois plus de fidélité que pour être Père, parce qu'il semble que le bon Dieu ménage son prêtre et patiente davantage avec lui. Les Frères, souvent, quand ils ont reçu une grâce, et qu'il la mettent de côté, le bon Dieu s'en va. J'aurais bien désiré, et c'était le vœu de la bonne Mère, que tous nos Pères aient un peu, plus ou moins, à travailler manuellement et à s'occuper du créé, comme elle aimait à dire. Les Chartreux le font. Pour nos Pères qui ont à faire la classe, prêcher, confesser, diriger les âmes, il est bien difficile de les assiéger, de les écraser encore de travaux manuels positifs. Mais que ceux qui le peuvent, tâchent de travailler quelque peu. Qu'ils en demandent l'obéissance, et ce sera très bon. A quoi doit aboutir le travail, le travail quel qu'il soit? Il a pour résultat de conserver, de développer, d'augmenter les ressources de la communauté dans l'ordre temporel et l'ordre spirituel, et le bien que font ceux qui travaillent, profite à tous.

Etant hommes, nous devons tous travailler, c'est la loi, les uns manuellement, les autres dans les travaux du professorat, de la prédication, des œuvres du saint ministère. Tout le monde doit travailler. Les Bénédictins travaillent, les Chartreux travaillent. Le Chartreux ne perd pas une minute de son temps. Quand il a chanté l'Office, il travaille des mains, il produit. Toute communauté, toute congrégation dont les membres ne sont pas animés de cet esprit‑là, ne peut pas réussir. Et en effet, quand il se rencontre des communautés ainsi mal avisées, elles ne réussissent pas. Que chacun ait bien cela dans son esprit et dans son cœur, de travailler pour la Congrégation.

Appliquons‑nous à faire bien la classe, et nous verrons s'augmenter le nombre de nos élèves. Nos élèves auront des succès; nous y gagnerons des amis; nous procurerons des sympathies, des affections à la congrégation. Ceux qui viendront à nous apprécieront nos manières de faire et de penser, nos principes, ils s’y affectionneront; bien des âmes entreront dans la voie où nous marchons. Il n’y a donc pas que le travail matériel qui serve à la prospérité d'une communauté. Il faut que cet intérêt soit réel et pratique; il faut qu'il soit dans nos pensées, nos affections, dans le détail de chacun de nos actes. Nous ne ferons pas cela par un étroit égoïsme d'esprit de corps, mais par une affection sincère et reconnaissante pour la congrégation qui, bien au contraire, élargira nos pensées et nos intentions. La congrégation est une mère de famille: nous devons l'aimer comme une mère, et elle doit être tout pour nous sur la terre.Que chacun travaille donc dans ce sens, à opérer le bien matériel et le bien spirituel de la congrégation. Et puis, par notre fidélité et sainteté personnelles, travaillons à assurer son esprit religieux, à attirer sur elle les grâces et les bénédictions de Dieu. Redisons‑nous à tout instant du jour: “Dans tout ce que je fais, Dieu est avec moi. Mon Père céleste opère: il opère le bien de la Congrégation, il veut qu'elle arrive à ses fins. Et moi aussi je veux opérer avec Dieu”.

En travaillant ainsi, nous sommes à notre place. Quels que soient les événements qui peuvent survenir, restons à notre place. Et ces événements nous les comprendrons, nous les aimerons, nous les bénirons. Voyez comme nous serons heureux à notre place de travailleurs. Le bon Dieu aime tant le travail, qu'il semble même parfois qu'il bénisse le travail des méchants. Est‑ce que les mauvaises gens ne réussissent pas, quand ils sont vraiment hommes de travail? Si nous sommes des travailleurs, nous serons bien acceptés: on nous comprendra, on nous aimera. Nous serons dans le mouvement qui existe maintenant, mouvement du reste qui a toujours existé. Le bon Dieu avait mis Adam dans le paradis terrestre, pour travailler, pour garder et cultiver ce jardin. C'était le premier but: “pour le cultiver et le garder” (Gn 2:15). Nous serons vraiment dans la vocation où le bon Dieu nous veut, nous serons tout à fait dans l'ordre divin, dans la volonté de la Providence.

Allez demander à la bonne Mère de vous donner l'amour du travail, du travail toute votre vie et jusqu'au jour de votre mort; de ne jamais rester inoccupés, mais de travailler toujours à quelque chose d'utile. Quand les Sœurs de la Visitation faisaient de petits travaux inutiles, des ouvrages de fantaisie, quelquefois la bonne Mère les prenait et les jetait au feu. Le bon Dieu n'a rien fait d'inutile, mais il a enjolivé les choses utiles pour les rendre agréables. Consacrons‑nous au travail, mes chers amis. Regardons‑nous comme des hommes de travail, soutenons‑nous dans les travaux, si nombreux, si difficiles où notre vocation nous appelle. Ainsi soit-il!