PREMIÈRE
INSTRUCTION
La retraite
Nous avons tous besoin de la retraite. Nous en avons besoin comme religieux,
comme prêtres ou lévites, comme travailleurs.
Comme religieux. Ce qui fait le religieux, c'est la vie surnaturelle, c’est
l'union à Dieu. Le religieux ne doit pas s’arrêter aux choses de la terre,
mais il doit sanctifier, surnaturaliser tout ce qui est terrestre. Ecoutez
saint Paul: “Pour nous, notre cité [”conversatio”] se trouve dans les
cieux” (Ph 3:20). “Conversatio”, notre conversation, c'est-à-dire nos
habitudes, notre manière de vivre, notre vie toute entière. Il faut nous élever
au-dessus des pensées, des affections, des volontés terrestres. Or, l'air même
que nous respirons est vicié. Satan y est. Dans nos lectures, dans nos
rapports avec le monde, dans tout ce que nous voyons, tout ce que nous
entendons, nous rencontrons le mal, nous trouvons Satan. Les Hébreux, loin de
l'Egypte, groupés au pied du Sinaï, entendaient la voix de Dieu et
recevaient sa Loi. C'est ce que nous devons faire, nous religieux, en ces
jours de retraite, dans cette atmosphère surnaturelle dans laquelle nous
entendons la voix et les ordres de Dieu.
Comme prêtres ou lévites. Jésus a été prêtre et victime à la fois, et
si nous sommes vraiment prêtres, nous devons être aussi victimes. Le prêtre
n'arrive aux âmes et ne sauve les âmes que par la croix, comme Jésus ne les
a sauvées que par le sacrifice et la souffrance. Le prêtre doit être tout
particulièrement victime. Quand il offre le sacrifice à l'autel, il doit
s'offrir comme victime d'une manière spéciale, à des titres plus
particuliers. Il ne lui suffit pas d'avoir la part d'immolation qu'ont tous
les chrétiens avec qui et pour qui il offre le sacrifice. Nous devons faire
comme dit notre saint Fondateur, nous offrir avec Jésus-Christ quant et lui,
c'est-à-dire autant que lui, avec autant d'abandon et de générosité que
lui. Ce n'est qu’à cette condition que nos œuvres seront sacerdotales et fécondes.
Or, le sacrifice a bien sa place pendant la retraite. La retraite est pénible.
Nous sommes en dehors de nos habitudes de vie, de nos occupations et de notre
règlement ordinaire. Portons courageusement ces peines.
Comme travailleurs. “Venez à l'écart, nous dit le Sauveur Jésus, et
reposez-vous un peu” (Mc 6:31). Nous portons depuis un an le poids du jour,
et le soleil est lourd et brûlant, quelles que soient nos occupations au
milieu des enfants et des jeunes gens. C'est le repos d'abord que nous venons
chercher. Et avec le repos, c'est le denier que nous avons mérité par nos
peines et nos travaux. “Ils touchèrent un dernier chacun” (Mt 20:9).
Qu'est-ce que ce “denier” et que faut-il entendre par là ? Les
saints Pères en ont donné bien des explications diverses. Arrêtons-nous à
l'interprétation qu'en donne saint Thomas dans son commentaire sur
Saint-Matthieu. Le denier est une monnaie ronde, ce n'est pas une pièce d'or
ou d'argent rognée, ou un lingot frappé au coin. Le denier, dit-il, est
complet, il ne lui manque rien. Le maître donna à tous ses ouvriers, à ceux
de la septième heure comme à ceux de la onzième, à chacun son denier, à
chacun son denier particulier, le denier qu'il avait mérité. Chacun ne reçut
pas le même denier, la même valeur, mais chacun reçut sa récompense selon
ses mérites. Nous aussi nous recevrons chacun notre denier pendant la
retraite: il sera complet, selon ce que nous aurons mérité, il sera notre récompense.
Entrez en retraite courageusement. Peut-être n'y aurez-vous pas de
consolations, et votre denier vous paraîtra le “talent de plomb” du Prophète
(Za 5:7; 8). Presque toutes les saintes âmes que j'ai connues intimement
n'avaient pas de consolations dans leurs retraites. Cela ne veut pas dire qui
si vous n'avez pas de consolations vous devrez vous croire de grands saints.
Dieu peut s'éloigner d'une âme pendant la retraite pour deux raisons, soit
parce que l'âme est infidèle, de mauvaise volonté, hors de sa voie; aucun
de vous n'en est là, je vous l’assure; soit parce que Dieu veut vous éprouver:
alors portez courageusement cette épreuve. Prions pendant la retraite nos
saints protecteurs de nous aider, la Mère Marie de Sales surtout. Je n'irai
pas chercher loin le sujet de mes instructions. Mon cœur a été rempli de ce
qu’elle m'a dit: c’est dans mon cœur que je chercherai mes paroles et mon
enseignement. Quand, pendant trente-cinq ans, j'ai été le témoin d'une vie
toute consacrée à Dieu et aux âmes, sans retour sur elle-même, sans
complaisance en elle-même, je puis bien suivre cette âme et l'écouter avec
confiance. Fixons nos regards sur elle, fixons-les sur le Sauveur et alors,
comme dit notre saint Fondateur, nous serons pareils à des aigles qui fixent
le soleil. Ils ont le soleil dans le regard, ils ont la force dans leurs
serres et dans leurs ailes puissantes, ils ravissent et emportent tout vers le
ciel. Ainsi soi-il.

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