Retraites 1884

      


PREMIÈRE INSTRUCTION
La retraite

Nous avons tous besoin de la retraite. Nous en avons besoin comme religieux, comme prêtres ou lévites, comme travailleurs.

Comme religieux. Ce qui fait le religieux, c'est la vie surnaturelle, c’est l'union à Dieu. Le religieux ne doit pas s’arrêter aux choses de la terre, mais il doit sanctifier, surnaturaliser tout ce qui est terrestre. Ecoutez saint Paul: “Pour nous, notre cité [”conversatio”] se trouve dans les cieux” (Ph 3:20). “Conversatio”, notre conversation, c'est-à-dire nos habitudes, notre manière de vivre, notre vie toute entière. Il faut nous élever au-dessus des pensées, des affections, des volontés terrestres. Or, l'air même que nous respirons est vicié. Satan y est. Dans nos lectures, dans nos rapports avec le monde, dans tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons, nous rencontrons le mal, nous trouvons Satan. Les Hébreux, loin de l'Egypte, groupés au pied du Sinaï, entendaient la voix de Dieu et recevaient sa Loi. C'est ce que nous devons faire, nous religieux, en ces jours de retraite, dans cette atmosphère surnaturelle dans laquelle nous entendons la voix et les ordres de Dieu.

Comme prêtres ou lévites. Jésus a été prêtre et victime à la fois, et si nous sommes vraiment prêtres, nous devons être aussi victimes. Le prêtre n'arrive aux âmes et ne sauve les âmes que par la croix, comme Jésus ne les a sauvées que par le sacrifice et la souffrance. Le prêtre doit être tout particulièrement victime. Quand il offre le sacrifice à l'autel, il doit s'offrir comme victime d'une manière spéciale, à des titres plus particuliers. Il ne lui suffit pas d'avoir la part d'immolation qu'ont tous les chrétiens avec qui et pour qui il offre le sacrifice. Nous devons faire comme dit notre saint Fondateur, nous offrir avec Jésus-Christ quant et lui, c'est-à-dire autant que lui, avec autant d'abandon et de générosité que lui. Ce n'est qu’à cette condition que nos œuvres seront sacerdotales et fécondes. Or, le sacrifice a bien sa place pendant la retraite. La retraite est pénible. Nous sommes en dehors de nos habitudes de vie, de nos occupations et de notre règlement ordinaire. Portons courageusement ces peines.

Comme travailleurs. “Venez à l'écart, nous dit le Sauveur Jésus, et reposez-vous un peu” (Mc 6:31). Nous portons depuis un an le poids du jour, et le soleil est lourd et brûlant, quelles que soient nos occupations au milieu des enfants et des jeunes gens. C'est le repos d'abord que nous venons chercher. Et avec le repos, c'est le denier que nous avons mérité par nos peines et nos travaux. “Ils touchèrent un dernier chacun” (Mt 20:9).  Qu'est-ce que ce “denier” et que faut-il entendre par là ? Les saints Pères en ont donné bien des explications diverses. Arrêtons-nous à l'interprétation qu'en donne saint Thomas dans son commentaire sur Saint-Matthieu. Le denier est une monnaie ronde, ce n'est pas une pièce d'or ou d'argent rognée, ou un lingot frappé au coin. Le denier, dit-il, est complet, il ne lui manque rien. Le maître donna à tous ses ouvriers, à ceux de la septième heure comme à ceux de la onzième, à chacun son denier, à chacun son denier particulier, le denier qu'il avait mérité. Chacun ne reçut pas le même denier, la même valeur, mais chacun reçut sa récompense selon ses mérites. Nous aussi nous recevrons chacun notre denier pendant la retraite: il sera complet, selon ce que nous aurons mérité, il sera notre récompense.

Entrez en retraite courageusement. Peut-être n'y aurez-vous pas de consolations, et votre denier vous paraîtra le “talent de plomb” du Prophète (Za 5:7; 8). Presque toutes les saintes âmes que j'ai connues intimement n'avaient pas de consolations dans leurs retraites. Cela ne veut pas dire qui si vous n'avez pas de consolations vous devrez vous croire de grands saints. Dieu peut s'éloigner d'une âme pendant la retraite pour deux raisons, soit parce que l'âme est infidèle, de mauvaise volonté, hors de sa voie; aucun de vous n'en est là, je vous l’assure; soit parce que Dieu veut vous éprouver: alors portez courageusement cette épreuve. Prions pendant la retraite nos saints protecteurs de nous aider, la Mère Marie de Sales surtout. Je n'irai pas chercher loin le sujet de mes instructions. Mon cœur a été rempli de ce qu’elle m'a dit: c’est dans mon cœur que je chercherai mes paroles et mon enseignement. Quand, pendant trente-cinq ans, j'ai été le témoin d'une vie toute consacrée à Dieu et aux âmes, sans retour sur elle-même, sans complaisance en elle-même, je puis bien suivre cette âme et l'écouter avec confiance. Fixons nos regards sur elle, fixons-les sur le Sauveur et alors, comme dit notre saint Fondateur, nous serons pareils à des aigles qui fixent le soleil. Ils ont le soleil dans le regard, ils ont la force dans leurs serres et dans leurs ailes puissantes, ils ravissent et emportent tout vers le ciel. Ainsi soi-il.