ONZIÈME
INSTRUCTION
La chasteté
Le voeu de chasteté est
notre troisième voeu. Les limites strictes de ce voeu sont les limites de la
chasteté et de la continence dans toute âme chrétienne. C'est un double
engagement : engagement d'état, puisqu'on renonce au mariage; engagement de
conscience, puisque l'on s'engage à repousser tout plaisir défendu. Et cet
engagement vient se surajouter à l'engagement qu'avaient fait contracter déjà
les sixième et neuvième commandements de Dieu. Il n'y a point d'ordres
religieux sans le voeu de chasteté: aucune communauté ne peut être fondée
sans ce voeu. Les vieux maîtres de la vie spirituelle, les anciens ordres
religieux préconisaient des moyens rigoureux. Ces moyens, si on les prenait
à la lettre, pourraient actuellement présenter des dangers. Ils étaient
bons autrefois, mais les temps et les mœurs ne sont plus les mêmes. Les précautions
dont on entourait la sainte vertu de chasteté ressemblent un peu aux châteaux-forts
du Moyen-Age, avec tout leur attirail de fossés, qui, du reste , ne servaient
pas toujours à grand-chose, de pont-levis, de chaînes de fer, de meurtrières.
Tout cela était bien un peu des moyens de défense plus utiles en imagination
qu'en réalité. Il en est un peu ainsi, pour notre temps, des rigoureuses précautions
des anciens. Comprenez-moi bien. Dans ce temps-là elles étaient nécessaires.
Pour garder la sainte vertu, on se séparait du monde, on faisait schisme avec
lui. Mais ce n'est pas là notre manière de faire. Les règles rigoureuses
tracées inflexiblement à l’avance, les précautions préventives pleines
de sévérité, seraient, le mot n'est pas exagéré, dangereuses aujourd'hui,
avec les rapports quotidiens qu’ont forcément avec le monde les prêtres et
les religieux. Saint Thomas, du reste, nous enseigne que la grâce de Dieu ne
nous est pas donnée dans le moment présent pour les occasions à venir où
nous en aurons besoin: la grâce n'est jamais donnée inutilement. La grande
précaution et la première sauvegarde, c'est l'humilité. L'humilité obtient
tout de Dieu, l'orgueil perd tout. De quoi nous enorgueillirions-nous donc? De
notre sainteté? Nous savons ce qu'il en est. De nos capacités, de notre
intelligence? J'ai entendu la Bonne Mère dire souvent à la Sœur Marie de
Sales de Bellaing: “Vous avez des moyens, ma Soeur; le diable en a plus que
vous!” Dieu n'a rien enlevé au démon de son intelligence et de ses moyens.
Où es-tu, Lucifer, belle étoile qui te levais au matin? Où es-tu avec ta
belle intelligence, avec ton autorité suprême?
Il faut ensuite éviter les occasions du péché, les occasions éloignées même:
ne pas nous exposer au danger, mais encore une fois sans affectation. C'était
de l'éducation ecclésiastique d'autrefois, de prendre un air foudroyant, de
tourner des yeux sévères quand on se trouvait devant des femmes. Cela fera
rire. Et si les personnes avec qui vous vous trouverez sont méchantes, cela
pourra donner lieu à de bien mauvaises insinuations. Grâce à Dieu, on ne
fait plus guère ainsi. Notre saint Fondateur veut que nous y allions tout
simplement. Et puis, avec notre Directoire, qu'avons-nous à craindre? A
chaque heure du jour ne pensons-nous pas à la mort? et qu'y a-t-il de plus
efficace contre la tentation que la pensée de la mort? Qu'avons-nous à
craindre avec la direction d'intention? Nous allons où les devoirs du ministère
sacerdotal, où l'obéissance nous appellent. Ne portons-nous pas le Sauveur
avec nous? Qu'avons-nous à craindre avec lui? Pour les tentations présentes,
pour ces circonstances où l'on est dans le doute, dans l'inquiétude,
ira-t-on consulter les théologiens et les théologies, discuter et peser la
gravité de la faute probable? Non, allez tout de suite vous confesser,
n'attendez pas huit jours, quinze jours. “Mais mon confesseur est occupé,
il ne me comprendra pas, il sera sévère”. Peu importe: vous n'avez que ce
moyen, l'ouverture simple et confiante, et Dieu vous tirera de là. Que d'âmes
ont perdu des grâces de choix, et se sont perdues elles-mêmes, parce
qu'elles n’ont pas voulu s'ouvrir!
Et si votre confesseur vous comprend mal, tant mieux! La grâce n'en sera que
plus abondante, et Dieu vous donnera directement ce que le confesseur ne vous
donnera pas. Du reste, pourquoi tant de raisonnements sur la personne de notre
confesseur? Avons-nous la foi? Quand nous allons communier, doutons-nous de la
grâce du sacrement? Notre foi est vive. Et quand nous allons nous confesser,
aurions-nous à douter davantage de la grâce du sacrement? D’un côté
comme de l’autre n’est-ce pas Jésus-Christ qui nous confère cette grâce?
Peu importe la personne qui sert d’intermédiaire et les moyens qu’elle
suggère.
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