Retraites 1882

      


NEUVIÈME INSTRUCTION
La tentation

La tentation est l'obstacle qui s'oppose à notre bon vouloir, à nos bonnes résolutions. Elle viendra après la retraite, plus forte pour ceux qui auront le mieux fait leur retraite. Je vous ai déjà parlé de la tentation; j’y reviens encore. Saint Bernard — j'aime à me servir de sa doctrine qui se rapproche par tant de points de celle de notre saint Fondateur — saint Bernard, dis-je, distingue: (1) Les tentations générales, qu'il appelle “le sanglier des forêts” (Ps 80 [79]:14, et “comme un feu (qui) dévore une forêt” (Ps 83 [82]:15). (2) les tentations particulières aux religieux qu'il appelle “les petits renards ravageurs de vignes” (Ct 2:15). Qu'est-ce que le sanglier dans la forêt? Voyez le sanglier dans une jeune forêt, où les frêles pousses sortent à peine des troncs coupés, quel ravage il fait de tous côtés, déracinant, foulant aux pieds ce qu'il ne déracine pas. C'est la figure, c'est l’emblème des tentations de la chair lorsqu’on les laisse pénétrer dans l'âme. Elles portent leurs affreux ravages de tous côtés  et, s'il reste quelques rejetons, quelques pousses, souvenir des retraites, des vertus passées, tout est foulé aux pieds, et dans quel triste état! Et cette tentation nous enverra ses suggestions par les oreilles, par les yeux, par tous nos membres.

Que faut-il faire? Comme le saint homme Job, le grand tenté de toutes façons, il faut conclure un pacte avec nos yeux, avec tous nos membres. Un pacte, c’est comme un lien, et c'est dans la méditation du matin que nous devrons faire ce pacte. Prévue, la tentation ne nous surprendra pas; vous saurez ce que vous aurez à faire. Puis, je vous l'ai dit: Priez Jésus, Marie, Joseph, le Vierge Immaculée. Voilà donc une tentation que nous aurons: c'est la tentation de l'homme  solitaire, n'ayant pour témoins que les puissances de notre âme et notre ange gardien. Donc, invoquons l'assistance de notre ange gardien et, dans la méditation et la prière, aguerrissons-nous, fortifions les facultés de notre âme pour le moment du combat.

Autre tentation: “Le feu qui dévore la forêt”, qui ne laisse plus même de tendres rejetons dénudés, plus rien. C'est la tentation de l'impiété. Mais quoi! Est-ce qu'un religieux serait tenté d'impiété? Oui, et prenez-y garde! Cette tentation est aujourd'hui générale; elle est dans les livres, dans les journaux.. Donc:

1. Ne lisez jamais les journaux. Eh! puisque nous avons Dieu pour nous, à quoi bon la politique? Oui, dans les journaux, dans les idées qu'ils émettent, il y a une grande tentation d’impiété, tentation de tout naturaliser, et le naturalisme a été condamné par l'Eglise au dernier Concile du Vatican. Attachez-vous au Pape seul, à ce que croit, et enseigne l'Eglise catholique, apostolique et romaine.

2. N'ayez jamais de liaison d’intimité avec les laïques, si bons soient-ils. Un laïque vous fera toujours descendre à son cran, et la chaîne une fois rompue, vous tomberez. Sur cent religieux qui avaient des relations intimes avec des laïques, quatre-vingt-dix-neuf sont tombés, ont prévariqué, et pourquoi ? C'est que les laïques n’ont pas les mêmes idées que nous; ils ne vivent pas dans les mêmes éléments, et ils vous feront descendre à leur niveau, soyez-en sûrs. Est-ce à dire qu'il ne faille pas leur faire du bien ? Oh! si, mais prenez bien garde de ne pas vous lier, vous attacher.

3. N'ayez pas de communications familières avec ceux qui ne sont pas franchement catholiques. Conservons-nous religieux; sans cela, bientôt viendront des doutes contre la foi, la perte de la foi elle-même; notre foi ne sera plus entière et, hélas! c'est ce qui se voit de nos jours dans un grand nombre de chrétiens. Agirons-nous ainsi par fierté? Non, mais pour conserver l’intégrité de notre foi, pour nous préserver de la tentation d'impiété. Mieux vaut un acte d’immoralité —  on en revient — qu'un acte d’impiété. Un prêtre mauvais, qui a chuté, peut redevenir bon et faire un grand bien par la suite. De la perte de l'intégrité de la foi, de l'impiété, on ne revient jamais.

Imitons Job. Il fut tenté par la chair et il fit un pacte avec ses yeux . “J’avais fait un pacte avec mes yeux au point de ne fixer aucune vierge” (Jb 31:1). Et quand sur son fumier ses amis lui conseillent des choses impies, il se redresse et dit : Mais moi, non seulement je “crois”, mais je “sais”: “Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant, que lui, le dernier, se lèvera sur la poussière” (Jb 19,25).

Les tentations qui s'adressent particulièrement aux religieux: les petits renards. Le sanglier, disait saint Bernard à ses religieux, est dans les forêts qui entourent la Claire Vallée, mais il ne franchira pas nos murs. Et on le repousserait si on le voyait venir. De même pour le feu: on pourrait l'éteindre. Il n'en est pas de même des petits renards qui se glissent, pénètrent partout, portent leurs dents sur tout:

1. Sur les choses de la maison: On critique, on désire, il me semble que la maison pourrait être mieux, ma cellule plus commode.

2.     Sur les personnes: Un tel n'y entend rien; je m’acquitterais mieux de cet emploi. De quoi se mêle-t-il? N'est-ce pas lui qui a dit cela de moi?

3. Sur soi-même: Je ne suis pas compris, je ne suis pas à ma place ici. Je ne suis pas dans les idées de ceux qui sont avec moi et je ferais évidemment plus de bien ailleurs.

4. Sur l'Institut: Je fais mal ma Règle, mes exercices; donc cette maison n’est pas faite pour moi; ce n'est pas organisé, ce n'est pas sérieux.

Comment faire pour repousser ces petits renards, qui ont bientôt fait de démolir la vigne du Seigneur? Ce que ferait le petit domestique s’il voyait un renard pénétrer dans la basse-cour. Il appellerait à lui quelqu’un de plus fort, de plus habile, le frère C. Et vous pour chasser ces petits renards, allez aussitôt le dire à votre Supérieur, à votre directeur, dévoiler votre tentation qui aussitôt se dissipera. Encore une fois, attendons-nous aux tentations; mais malheur aux vaincus! et heureux ceux qui les surmonteront! Plus on aura de tentations, plus on sera près de Notre-Seigneur, et plus on produira des fruits dans l'Eglise de Dieu.