Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Comment célébrer dignement la sainte messe sans s’astreindre à un excès d’application

Chapitre du 7 décembre 1898

Ce que je vais vous dire, n'a pas d'application actuelle pour les trois quarts d'entre vous. Néanmoins c'est une chose excellente d'apprendre à dire la sainte messe avant d'être tenu à la célébrer. C'est d'autant plus nécessaire que ce chapitre du Directoire est fort long et pas toujours bien compris.

“Pour célébrer dignement et fructueusement le très-saint sacrifice de la Messe, les Pères, quelque temps avant la Messe, se recueilleront en eux-mêmes, et, avec grand sentiment de coeur, c’est-à-dire avec un coeur plein de vraie affection, ils feront les choses suivantes:...” (Dir., Art. VI; p. 42-43).

Quand on ne dit pas la messe immédiatement après son oraison, il faut se rendre à la chapelle avec recueillement, ainsi que marque le Directoire. On a déjà commencé de se préparer dès le matin. C'est maintenant le moment de diriger son intention et de formuler les actes indiqués en cet article. Comme il n'est pas facile de s'en souvenir, on peut prendre son Directoire en main et dire chacun de ces actes, chacune de ces prières à tour de rôle, tantôt l'une tantôt 1'autre. Il ne faut pas s'assujettir à vouloir dire toutes ces prières tous les jours. Oh! non, on ne prend pas un livre pour s'entretenir avec un ami. On lui parle à coeur ouvert. Cela vaut bien mieux que l'acte le plus savant ou le plus saint récité machinalement. Pour un religieux un tel acte n'est pas suffisant. Servez‑vous de quelqu'une de ces belles formules pour vous mettre en train ou fixer votre attention, et puis donnez carrière à la piété de votre coeur.

La préparation à la sainte messe est une condition essentielle pour la bien dire. Si on apporte au saint sacrifice une âme non préparée, un esprit distrait, une volonté inattentive, on ne la dit pas bien. Ce n'est pas un sacrilège sans doute; il faudrait pour cela n'être pas en état de grâce, ou commettre un manquement très grave et avec mépris aux rubriques. Mais hélas! “il en est beaucoup qui sommeillent” - [“dormiunt, multi”]. Voilà pourquoi on est sans ferveur, et on ne discerne pas, comme il le faudrait, le corps et le sang du Seigneur.

Dès maintenant préparez‑vous à dire la sainte messe en vous préparant à la sainte communion. C'est “le soleil des exercices spirituels”, dit saint François de Sales. De même que le monde sans soleil serait stérile et désolé, de même l'âme insensible aux bienfaits du divin sacrifice. Au séminaire, le professeur de morale nous répétait souvent cette réflexion: “Savez- vous quand vous vous ferez prêtres? A votre ordination? Non. C'est maintenant. Telle votre conduite, tels vos sentiments aujourd'hui, tels vos sentiments et votre conduite plus tard. Si par la pratique assidue de l'assistance à la messe votre piété augmente, votre fidélité, vous direz bien la messe plus tard. Mais votre fidélité ne se maintiendra que si elle a été solidement établie, et longtemps à l'avance”.

Si vous saviez combien c'est chose importante, ce que c'est qu'un prêtre, un religieux profondément pénétré de ces sentiments. Ces jours‑ci, je lisais les notes de l'abbé Ricard, qui a mené la vie d'un saint. Je remarquais surtout son application à se préparer à la messe. Il s'y était exercé dès le début de son séminaire. La messe, c'est notre force, notre armure, notre vie. Le prêtre, c'est l'homme de l'eucharistie, c'est lui qui appelle Dieu sur la terre, Jésus‑Christ sur l'autel, par le privilège d'une puissance inouïe et qui se communique seulement au prêtre.

“Secondement, ils détermineront pour qui ils veulent offrir la messe, et pour quelles personnes ou nécessités ils veulent prier, et les recommanderont à Dieu” (Dir., Art. VI; p. 44).

Habituez‑vous à cette pratique dès maintenant, quand vous assistez à la sainte messe, en déterminant et spécifiant l'intention pour laquelle vous entendez la messe: telle grâce particulière à obtenir, vos parents, etc. Parlez‑en au bon Dieu, car vous aussi vous offrez le saint sacrifice, comme le témoignent les prières que le prêtre récite au pluriel, de sorte qu'en suivant ses actions, vous ne faites qu'un avec lui.

Vient ensuite, dans le Directoire, un long chapitre sur les mystères à méditer. En se préparant, si on se sent incliné à méditer, à honorer plus particulièrement quelque point de la vie de Notre‑Seigneur, par exemple 1e mystère de Bethléem, celui du Calvaire, Béthanie ou Génésareth, c'est bien: suivez votre attrait. Si vous avez le temps, c'est une excellente chose. Mais, en général, cela n'est pas pratique pour nous. Cela exigerait trop de loisir, et le temps nous est mesuré même pour cette grande action de la messe.

Pendant le saint sacrifice, saint François de Sales nous indique également bien des pratiques. Sur ce chapitre‑là, il me permettra bien de n’être pas toujours tout à fait de son avis. Il faut, pour en arriver là, s'astreindre à un excès d'application qui l'a lui‑même peut‑être bien conduit prématurément à la mort. Ce que je préfère — comme votre fondateur, je crois avoir le droit de vous donner mon avis — c'est de se rendre attentif aux prières et aux cérémonies de l'Eglise. Il n'y a rien de si beau que la liturgie, que le contenu du bréviaire et du missel. Il y a amplement de quoi alimenter la piété et le cœur. S'appliquer aux rubriques avec un souverain respect et une entière dévotion, se pénétrer des sentiments des prières liturgiques, voilà bien de quoi nourrir son âme.

Il y a longtemps que je dis la sainte messe. Or il est rare que je n'y trouve pas encore une parole que je n'avais aussi pleinement comprise, une pensée que je n'avais pas aussi bien saisie. Au bout de 60 ans, la matière n'est pas encore épuisée. Nous avons là un inépuisable trésor.
Les Visitandines qui ne savaient pas le latin, n'avaient pas la ressource de l'intelligence des prières liturgiques. Il fallait y suppléer en leur en donnant le sens et en leur fournissant de quoi s'occuper.

Et puis si, saint François de Sales donnait tant de pratiques, je crois aussi que c'est parce qu'on l'accusait d'être novateur, d'enseigner une dévotion trop large et trop facile. Alors il voulut suppléer, semble‑t‑il, aux mortifications extérieures par l'assujettissement plus absolu de l'esprit et de la volonté. Aujourd'hui, il n'y a plus lieu de lui adresser les mêmes critiques. Nous pouvons donc nous contenter de la méthode que je vous indique. Encore une fois, dans ces cérémonies, dans ces prières inspirées par le Saint‑Esprit, réglées par l'Eglise, vous trouverez pour votre piété une manne abondante. M. Cardot célébrait la sainte messe de la façon la plus édifiante; chaque cérémonie pénétrait son âme de dévotion. Donc, réservez la méditation des mystères quand vous aurez le temps, quand vous serez seuls, en voyage, et que vous vous sentirez attirés à prendre ces sujets. Vous aurez alors un guide excellent.

 

“Puis allant à l'autel, ils se ressouviendront encore de Notre-Seigneur, lorsqu’il alla au mont Calvaire, la croix sur les épaules, pour être crucifié” (Dir., Art. VI; p. 53).

Tout cela est bien à conserver.

“Au temps de la messe, étant descendus au pied de l'autel, avant qu’ils commencent la Messe, ils hausseront l’esprit à Dieu, et de nouveau offriront au Père éternel le sacrifice, en l’union de cet amour sans mesure avec lequel son Fils unique s’offrit lui-même en la croix” (Dir., Art. VI; p. 53).

Cela est très bon sans doute,  mais j'aime mieux méditer mon “Introibo ad altare Dei”. Il y a là des pensées si touchantes, si profondes, si bien appropriées à tous nos états d'âmes. Oh! oui, disons la messe avec la messe.

“Au premier Memento, outre à quoi ils sont obligés, ils pourront recommander à Notre- Seigneur diverses personnes et affaires distribuées pour les jours de la semaine, en la façon suivante: ...” (Dir., Art. VI; p. 54).

C'est bien si l'on y pense; mais ne vous mettez pas en peine si vous n'y songez pas.

“À l'acte d'adoration depuis la consécration, ils offriront de cœur au Seigneur présent en l’hostie, les adorations que lui présentent au ciel tous les saints, et en terre la sainte Eglise, ce qu’ils auront intention de faire toutes les fois qu’ils feront l’acte d’adoration” (Dir., Art. VI; p. 56-57).

Pourquoi recourir à d'autres pensées que celles de la sainte liturgie? Elle renferme des paroles si imposantes! Voyez: on est là avec Notre‑Seigneur, on le voit, on le touche, on prend sa place, on s'identifie à lui. C'est si beau, si grand! Oh! laissons chacun suivre l'attrait de sa piété, tout entier à chaque parole, car enfin c'est la parole de l'Eglise, c'est la parole de Dieu, il n'y a rien à ajouter. Pas besoin d'aller chercher les anges et les saints quand nous avons Notre‑Seigneur lui‑même.

“Au second Memento, outre les trépassés pour lesquels (pour quelque cause) ils sont obligés de prier tous les jours, ils pourront encore recommander à Dieu les sous-écrits distribués pour les jours de la semaine” (Dir., Art. VI; p. 58).

Merci, mon saint Fondateur, de m'imposer tant de préoccupations! Ne vaut‑il pas mieux me laisser m'identifier avec le Sauveur, respirer cette atmosphère toute parfumée de Dieu, me fondre avec Notre‑Seigneur? C'est là la grande dévotion du prêtre. C'est là qu'il est inondé de la charité divine. On ne saurait jamais trop exploiter la liturgie. Plus tard, quand vous direz la sainte messe, vous y trouverez souvent des lumières, des aperçus tout neufs sur telle parole, telle doctrine. Prenez‑en note soigneusement, et faites‑en part aux fidèles pour les instruire et les diriger. Ce sera éminemment bon et intéressant. On se dira: “Où a‑t‑il trouvé cela? Je n'avais jamais songé à cette vérité. Comme c'est lumineux, édifiant”.

Les collectes seules ont fourni à un vicaire général de Sens, maintenant archevêque de Chambéry, Mgr Pichenot, la matière de tout un volume, renfermant un corps de doctrine complet. À plus forte raison trouverez-vous des trésors, si vous y ajoutez l'épître, l'évangile, les autres prières: “Fais-moi connaître, Yahvé, tes voies, enseigne-moi tes sentiers” (Ps 25:4).

“Après la messe, ils se recueilleront en eux‑mêmes, au moins pour un quart d’heure; et pendant ce temps, comme s’ils voyaient en présence Jésus-Christ, lequel est dedans eux, ils feront les actes suivants: ...” (Const., Art. VI: p. 61-62).

J'aime mieux cela. Inspirons‑nous des actes désignés par le Directoire, mais sachons laisser parler notre cœur lui-même. Cela, c'est notre affaire! Joignons‑y, comme on nous le recommandait au séminaire, quelques-unes des belles prières de saint Thomas, où tous les mots portent, où la poésie s'unit à la plus exacte théologie. Laissez-vous pénétrer des sentiments qu'elles vous suggèrent, et dans le courant de la journée, aimez à y revenir. Dieu habite votre cœur, qu'il l'embaume des suaves pensées qui vous ont consolés et éclairés le matin.