Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La récitation des Heures

Chapitre du 6 avril 1898

“Les Frères, qui ne sont pas tenus à réciter le Bréviaire, diront à l’ordinaire le petit Office de Notre-Dame. Mais ceux qui ne pourront pas le dire, le remplaceront ainsi qu’il suit...” (Dir., Art. IV; p. 34).

Les Frères qui, malgré leur travail, auraient le temps, la capacité et la dévotion de réciter l'Office de la sainte Vierge, le pourraient faire, avec la permission de leur maître des novices ou de leur supérieur. Si leurs occupations ne le leur permettent pas, ils doivent dire les Pater et Ave indiqués par saint François de Sales et relatés par nos Constitutions [Const., Art. II:4; p. 4]. Quant aux jeunes Pères qui se préparent prochainement aux saints ordres, c'est une bonne coutume de réciter le bréviaire un peu avant le sous‑diaconat.

Le Directoire propose tout d'abord des avis généraux. Aussitôt que la cloche sonne, il faut quitter de suite son travail pour courir à la voix de Dieu qui nous appelle. L'histoire de l'Eglise, la vie des saints est pleine de faits merveilleux par lesquels Dieu a récompensé la promptitude à l'obéissance. C'est un religieux occupé à dessiner dans un manuscrit des miniatures compliquées. Il interrompt son travail net au signal de la cloche. En rentrant, il trouve sa lettre majuscule complètement et admirablement achevée. Un autre, employé à la cuisine, trouve en rentrant son bon ange qui tient sa place.

Tous ces récits ne sont pas de foi, je le sais. Mais pourquoi ne pas croire naïvement à ces choses merveilleuses, mais possibles et qui tournent à la gloire du bon Dieu, et qui dévoilent les trésors d'amour de sa Providence et de sa tendresse? La foi a des extensions qui sont plus grandes chez les uns que chez les autres. De pareils récits ne peuvent que l'étendre et la fortifier dans les âmes. Pourquoi alors ne pas se servir de ces traits, prudemment et discrètement, dans les catéchismes, dans les instructions? Saint Bernard, saint Augustin ne s'en faisaient pas faute. Saint Grégoire même et saint Jérôme en abusaient, et pourtant ce n'étaient pas de petits esprits. Ils y croyaient.

Saint Jérôme ne raconte‑t‑il pas, à propos des moines de Scéthé, que dans une laure fervente le diable, voulant dissiper les religieux, se déguisa en satyre et s'en alla de cellule en cellule. Cette extension de la foi témoigne d'une intelligence spéciale et d'un grand don de confiance en Dieu. Dans la vie de la bonne Mère, on raconte plus d'un trait de ce genre, traits auxquels on peut croire sans crainte, car ils ont été attestés par des témoins oculaires ou auriculaires.

“Il faut ès exercices qui regardent immédiatement l'honneur et service de Dieu, un esprit humble, rabaissé, grave, dévot, et sérieusement pieux” (Dir., Art. IV; p. 36).

L'office n'est pas notre prière à nous; c'est la prière de l'Eglise. Il fait partie du sacrifice. Or le sacrifice est nécessaire dans l'ordre de la Providence et de notre sanctification. La vie se compose de choses pénibles, de souffrances. Avec le bréviaire nous avons le sacrifice journalier qui nous est imposé par notre vocation sacerdotale et religieuse. Que ce sacrifice journalier de la prière nous aide à accomplir vaillamment les sacrifices journaliers et incessants de notre vie, Ainsi nous nous sanctifierons nous-mêmes en travaillant au salut “de toute créature”. Nous devons donc avoir pour le saint office, pour le bréviaire, une particulière révérence et affection.

“Et pour se maintenir avec le respect et attention convenables, il faut qu’ils considèrent de temps en temps, combien ce leur est d’honneur et de grâce, de faire ça bas en terre le même office que les Anges et les Saints font là haut au Ciel, quoiqu’en divers langages ils prononcent les louanges du même Seigneur, la grandeur et Majesté duquel fait trembler les plus hauts Séraphins” (Dir., Art. IV; p. 37).

En disant 1'0ffice, nous pouvons nous figurer que nous disons un verset et notre bon ange l'autre. C'est une bonne pratique, surtout en commençant. Plus tard, quand on a pris la coutume du recueillement habituel, cela se fait comme tout naturellement.

“Que ceux qui entendent quelque peu ce qu'ils disent à 1'Office, emploient fidèlement ce talent, selon le bon plaisir de Dieu qui le leur a donné, pour les aider à se tenir recueillis par le moyen des bonnes affections qu’ils en pourront tirer; et que ceux qui n’y entendent rien, se tiennent simplement attentifs à Dieu” (Dir., Art. IV; p. 37-38).

C'est une chose précieuse que de bien comprendre son office. Le petit Office de la sainte Vierge est tout composé de paroles de la sainte Ecriture, dictées par l'Esprit-Saint, et constituant une véritable manne cachée. Dites votre office avec attention et piété. Dites‑le avec intelligence, et alors vous y trouverez toujours des trésors. Vous y trouverez des pensées qui vous serviront au catéchisme, dans les conférences, au sermon ou au confessionnal et en direction. En méditant les paroles, les pensées, les faits mentionnés dans votre office, vous y trouverez, je le répète, une manne abondante, délicieuse à l'âme et au cœur, et qui sera comprise et appréciée des fidèles. C'est une ressource énorme pour soi‑même et pour les autres, car c'est la prière de l'Eglise où le bon Dieu vous éclaire.

En récitant le bréviaire ou le petit office dans ces dispositions-là, vous verrez jaillir sous vos pas des sources d'eau vive et aussi des étincelles de lumière et des flammes d'amour. Quand on utilise ainsi le bréviaire, les prières 1iturgiques, la sainte messe, le bon Dieu verse à flots sa lumière, à propos des épîtres, des évangiles, des oraisons. Ces vues sont très bonnes et très fécondes, parce que, par elles, c'est l'Esprit-Saint lui‑même qui nous éclaire. Et toutes les fois que vous parlerez sous cette inspiration, on vous écoutera, quand même vous vous adresseriez à des enfants, à des âmes dépourvues de toute instruction. Cela porte avec soi la grâce.

Les apôtres disent au Sauveur: “Seigneur, apprend-nous à prier” (Lc 11:1). Et il leur répond: “Lorsque vous priez, dites: ...” (Lc 11:2), preuve que la formule vaut bien quelque chose, qu'elle a bien quelque chose de particulier qui a sa vertu, sa grâce propre. Et celui qui en a goûté les douceurs en disant son office, doit ensuite les communiquer aux autres. L'Office de la sainte Vierge est ravissant. Il y a là de quoi faire tout un traité sur la sainte Vierge. Voyez les oraisons, en particulier, et les leçons si fraîches, si pures, si poétiques. C'est toute une éducation virginale de l'âme.

Remarquez bien, la vie du prêtre ne doit pas consister seulement dans l'étude du cabinet. Il faut qu'il étudie aussi ces âmes qui lui sont confiées. Il doit les diriger à tout instant vers le ciel. Elles doivent faire sa préoccupation constante. Il faut qu'il cherche en tous ses travaux matière à les instruire et à les former. L'office lui fournira des textes, que la répétition l'obligera à retenir. Il aura là, soit de la sainte Ecriture, soit des Saints  Pères, un véritable trésor de pensées profondes, d'expressions heureuses, formant toute la substance de notre foi et la base de tout notre enseignement.

Tout le monde lit la Bible, mais voyez ce que Bossuet  savait y trouver. C'est un grand génie, sans doute, mais, comme il le disait lui‑même, ce qu'il a tiré de la Bible ne vient pas de lui, mais de cette lumière intérieure qu'il interrogeait et suivait pas à pas dans sa lecture, dans son étude de l'Ecriture sainte.

Du reste, il y a quelque chose de meilleur que le génie de l'intelligence, c'est le génie du cœur. À qui n'a pas le premier, le bon Dieu peut donner le second. Et le second n'est pas moins puissant que le premier. Si l'un brille , l'autre nourrit et opère.