Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Notre mortification, c’est la notre Règle bien observée

Chapitre du 16 juin 1897

“On ne devra rien dire ou faire qui puisse offenser les autres, ni se montrer soi-même blessé de leurs paroles ou de leurs actes” (Const., Art. XXI:7; p. 77).

Ce que je vais dire, mes amis, ce ne sont pas seulement des recommandations ordinaires, puisque chez nous la pratique de ces choses devient une obligation rigoureuse, parce que nous n'avons guère d'autres mortifications extérieures à faire que celles‑là. Est‑ce à dire que nous n'avons pas de mortifications corporelles? Si, nous en avons quelques‑unes. Nous avons la mortification de chaque repas, puis celles que nous pouvons pratiquer sur l'avis de notre confesseur, ou du supérieur, pourvu toutefois qu'elles n'entraînent pas d'inconvénients pour notre santé, ou qu'elles ne nous portent pas à croire que nous sommes arrivés déjà à un degré de sainteté plus élevé que celui des autres. Dans ce cas, il vaudrait mieux faire un bon dîner que de jeûner.

Dans l'esprit de la sainte Eglise, il y a deux sortes de mortification: mortification corporelle et mortification spirituelle. Dans certains ordres religieux, c'est la mortification corporelle qui prime; chez nous, c'est la mortification spirituelle, la mortification de l'esprit, de l'entendement, de l'imagination, de la volonté, du jugement. Il faut mortifier notre jugement dans l'obéissance. Est‑ce à dire que l'obéissance nous oblige à croire blanc ce que nous voyons bleu? Non, mais elle exige que nous obéissions en faisant ce qu'on nous a dit de faire.

Avant‑hier, je disais au P. Lambert: “Que pensez‑vous de nos Constitutions?” — “Mon Père”, me répondit‑il, “je pense qu'elles peuvent faire des saints”. Il y a là en effet, mes amis, des moyens énergiques qu'on ne trouve pas ailleurs. Mais si on ne les emploie pas, ces moyens, alors il ne restera plus rien. Un P. Bénédictin, le P. Clément, me disait: “Le plus grand stratégiste spirituel, c'est saint François de Sales. Dans sa doctrine, vraiment Dieu est servi en esprit et en vérité”. Est‑ce facile de servir Dieu en esprit et en vérité? Non! et c'est bien la mortification la plus pénible et à laquelle on ne s'habitue jamais. Le tempérament peut se faire à ne dîner qu'à demi, ou pour deux jours, mais de se faire à cette mortification continuelle du jugement et de la volonté, c'est autrement difficile.

Comprenons bien ce genre de mortification qui se retrouve, comme il est dit dans notre Directoire, dans chacune de nos actions. Encore une fois, c'est là tout l'esprit de notre Règle. Les Oblats ne sont quelque chose que par là.

“Dans la conversation, on ne manifestera jamais ses répugnances ou ses difficultés pour la pratique de la règle ou pour la direction” (Const., Art. XXI:8; p. 77).

Il nous faut une grande discrétion dans nos paroles, tant pour ne pas blesser la charité par rapport au prochain, que pour garder un profond respect aux choses et aux moyens de la Règle. En particulier il faut un souverain respect pour les choses de la direction et surtout pour celles du chapitre. Toutes les règles canoniques ordonnent que celui qui a fait connaître ce qui s'est dit en chapitre soit privé d'assister au chapitre pendant un an. Il n'est pas permis de parler entre soi de ce qui est dit en chapitre. Si on a manqué à ce point de la Règle, il faut s'en accuser au prochain chapitre et demander sa pénitence. Nous ferons donc cela désormais. Nous nous mettrons à la pratique de notre Règle. Moi‑même je m'y mettrai le premier, quoiqu'il y ait un point qui me coûte extrêmement, c'est de faire la correction fraternelle!   

“Personne ne portera la plus légère atteinte à la réputation des Oblats, et principalement des Supérieurs. On s’interdira tout murmure contre ses frères, et surtout contre les Supérieurs. On évitera toute censure et tout blâme contre ce qui se fait dans la Congrégation, et on observera cette loi pour les autres congrégations religieuses” (Const., Art. XXI:10; p. 78).

Il y a des novices et même des profès qui ne se gênent pas pour manquer à ce point, qui mettent leur petit grain de sel un peu partout. Il faut nous abstenir de cela. C'est notre mortification, cela. C'est comme si vous disiez à un Chartreux d'aller déjeuner le matin. Il n'irait certainement pas. Eh bien, nous avons aussi à faire des mortifications, et ce sont les mortifications de l'esprit, du jugement, de la volonté. On fait des saints avec cela, comme on fait des saints avec le jeûne des Chartreux. Avec le jeûne matériel, on fait de bonnes et saintes gens sans doute, mais on ne réalise pas par cela même la perfection, à moins qu'on unisse la mortification spirituelle à la mortification corporelle.

“Personne ne s'enquerra curieusement de l’administration de la maison; on n’en parlera pas ensemble. On ne parlera ni de la nourriture, ni du vêtement, ni du coucher. Ces sortes de questions ne se traiteront jamais que par ceux qui en ont la charge” (Const., Art. XXI:11; p. 78-79).

Ces temps derniers, il m'est revenu un peu de tous les cotés, qu'on parlait entre soi de la
nourriture. Cela m'a beaucoup étonné. Il ne faut pas se plaindre ainsi. Si l'on a quelque réclamation à faire, il faut s'adresser à l'économe, c'est dans l'ordre. Mais qu'on n'en parle pas entre soi. Je le répète, la Règle fidèlement observée, c'est notre mortification, notre jeûne, notre cilice, notre haire, notre coucher sur la dure. 

“On évitera les questions irritantes, sur la politique, sur les différentes nations, provinces. On s’habituera à se confier uniquement à la sagesse et à la toute-puissance de Dieu, dans les choses de ce monde” (Const., Art. XXI:12; p. 79).

Il ne faut pas qu'on fasse de politique; c'est une occupation inutile et oiseuse pour un religieux. Son journal doit être l'Evangile. Que le supérieur s'enquière de ce qui intéresse l'Institut, passe! Mais le religieux n'a pas à s'en occuper. Que chacun s'examine bien sur tout ce que je viens de dire, et si un religieux a fait une faute de ce genre, qu'il en dise sa coulpe au chapitre.

J'insiste sur ces choses, mes amis: ce ne sont pas des riens, c'est tout pour nous. Ainsi un Chartreux se lève à 2 heures du matin pour chanter l'office divin dans une église très froide, où il n'a pour s'asseoir que la miséricorde de sa stalle. L'idée ne lui vient même pas de demander la permission d'apporter avec lui un chauffe-pieds et une chaire confortable. Non, c'est sa mortification, il la fait. Vous, de votre côté, vous ne devez pas vous dérober à telle ou telle mortification provenant de l'obéissance, de l'accomplissement fidèle de votre Règle, dans votre tenue, vos regards, vos paroles, vos rapports avec le prochain. L'idée ne devrait pas même vous venir d'écarter la mortification qui en résulte. C'est précisément votre mortification d'Oblat. Que serez‑vous donc, si vous ne la faites pas? Le Chartreux est astreint au silence le plus absolu. Il l'observe, pour être un bon et vrai Chartreux. A vous, Oblat, on demande de ne pas parler de ceci ou de cela. Si vous manquez à ce point, ne faites‑vous pas la même faute que ferait un Chartreux manquant au silence?

C'est aujourd'hui le 104e anniversaire de la naissance de la bonne Mère. Il faut bien prier la bonne Mère, avoir une confiance filiale en elle, lui demander sa maternelle protection. Le P. Rollin m'écrit que nous aurons bientôt la visite de l'archevêque d'Athènes. A Rome, ajoute-t‑il, on estime vraiment l'esprit et l’œuvre des Oblats, on apprécie leurs Constitutions. Soyons donc de bons et vrais Oblats. In nomine Domini. Amen.