Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Obéir avec joie et constance

Chapitre du 10 février 1897

“En l'honneur de l'obéissance que Notre‑Seigneur Jésus-Christ a rendue sur la terre à la Très Sainte Vierge, à Saint Joseph et aux personnes constituées en dignité, qu’elles fussent bonnes ou mauvaises, nous obéirons à tous nos Supérieurs, les voyant en Dieu et voyant Dieu en eux” (Const., Art. VI:1; p. 16)

L'obéissance que Notre‑Seigneur a rendue sur la terre tant à 1a sainte Vierge qu'aux autres personnes bonnes ou méchantes doit être le modèle de la nôtre.

En ce qui concerne notre obligation d'obéir, il n'y a qu'un parti à prendre. Il faut faire ce que j'ai fait lorsque j'étais élève de sixième au petit séminaire (On ne m'en voudra pas si je me cite toujours, n'est‑ce pas?) J'avais comme surveillant d'étude un certain M. Trouvé, sec de corps et de cœur, qui me donna un jour cent vers à copier parce que j'avais ouvert mon pupitre. J'avais bien envie de ne pas les faire. “Te voilà bien pris”, me disais‑je. “Non, je ne veux pas obéir à cet homme qui est méchant, vilain, injuste! Mais j'obéirai au bon Dieu. Et c'est pour le bon Dieu que je copierai les vers”. Il faut faire comme cela toujours . Soumettez‑vous toujours à Dieu, jamais aux hommes. Je n'ai jamais pu comprendre qu'un homme puisse se soumettre à un autre homme.

Saint Paul ne veut pas que nous nous soumettions comme des imbéciles: Que “le culte que vous avez à rendre” dit-il, soit “spirituel” - [“rationabile obseqium vestrum”] (Rm 12:1). On ne se rend qu'à la volonté de Dieu, parce qu'il n'y a que cela qui soit “raisonnable”. Mais dès que je sens devant moi cette volonté divine, cachée sous l'enveloppe d'une parole humaine, je me rends aussitôt. Vouloir lutter alors, mais contre qui? Contre Dieu et la raison? Si vous êtes victorieux, la victoire sera plus honteuse que la défaite. Il faut bien vous faire tous, à vous‑mêmes, cette philosophie. Saisissez tout de suite les motifs surnaturels.

Mettez‑vous en face de l'enseignement de saint Paul: raisonnez votre obéissance, “rationabile obsequium”. J'ai fait vœu d'obéir à Dieu dans la personne de mes Supérieurs. Si le bon Dieu me commandait lui‑même immédiatement, peut‑être ne me commanderait‑il pas avec ce ton‑là ou sous cette forme‑là; mais c'est cela néanmoins qu'il me commanderait. J'obéis donc et je fais de tout cœur, non pas ce que l'homme, mais ce que Dieu me commande. Et j'obéis d'autant plus à Dieu seul que je n'agis pas selon mon sentiment, mon inclination, ma nature. Il faut nous faire un fonds bien sérieux de ces choses‑là, mes amis. On a toujours une petite humiliation, un petit froissement à surmonter, quand on est en face d'une obéissance qui coûte. Mais cet acte de foi que nous faisons alors est souverainement agréable à Dieu. Faites ainsi, et vous vous en trouverez bien.

On nous commande quelque chose qui ne nous va pas, il faut faire comme la bonne Mère. Elle se recueillait un tout petit instant et accomplissait aussitôt de son mieux son obéissance.

Soyons des hommes de foi, ne voyant pas seulement dans les événements, ce que tout le monde y voit sans le comprendre. Voyez Dieu agissant en tout et partout, et efforcez‑vous de coopérer à l'action divine: “rationabile obsequium”. C'est ce regard sur l'action divine qui seul peut rendre votre obéissance raisonnable. Partez de ce principe: “J'ai promis a Dieu de lui obéir, et c'est à lui seul que j'obéis en obéissant à mes Supérieurs”.

“Tous les membres du pieux institut rendront obéissance à Notre Saint Père le Pape et  aux Supérieurs dudit pieux Institut” (Const., Art. VI:1; p. 16-17).

Notre Saint-Père le Pape étant le chef de l'Eglise, a tout pouvoir sur notre obéissance. On n'est avec Notre‑Seigneur qu'à la condition d'être avec son vicaire et son représentant sur la terre.

“Tous les membres de la Congrégation obéiront au Supérieur Général, avec promptitude, joie et persévérance. Ils soumettront leur jugement et leur volonté” (Const., Art. VI:2; p. 17).

Obéir “avec promptitude”: Quand on hésite dans l'obéissance, qu'on diffère, qu'on tire à droite ou à gauche, qu'on cherche ceci ou cela et qu'enfin on se détermine à faire son sacrifice, quelle obéissance! Elle a beaucoup coûté et elle ne rapporte guère. Il faut couper court. La bonne Mère disait que dans les choses de l'obéissance, il fallait agir “en déterminés”.

Obéir “avec joie”: Comme c'est beau! On vient d'abandonner son sentiment, sa volonté, son jugement par amour pour Dieu. On lui offre alors son sacrifice bien joyeusement. Quand on nous donne à faire quelque chose qui nous ennuie, une corvée, où est la joie? “Au lieu de la joie qui lui était proposée, [Jésus] endura une croix, dont il méprisait l’infamie” (He 12:2). Il semble que Notre‑Seigneur n'acceptait pas tout d'abord sa croix avec joie, mais il se recueillait, faisait sa direction d'intention, et se proposait de la porter joyeusement. Nous obéirons donc avec joie.

Assurément, je le répète, ce n'est pas une joie qui vient du premier coup. Il faut, comme Notre‑Seigneur, se la mettre dans le cœur et la volonté. Nous n'avons pas autre chose à faire que ce que Notre‑Seigneur a fait. A quelques‑uns cela ne coûtera pas beaucoup, mais pour d'autres ce sera extrêmement pénible. Cela tient à notre nature.

Obéir “avec persévérance”: Dans le moment, on fait bien un généreux effort. La partie supérieure surmonte bien la répugnance que nous avons à obéir; mais cela toujours, toute une vie, c'est autre chose. Aussi faut‑il appeler à son aide le secours de la grâce, les vertus cardinales. Nous ne demandons pas assez dans nos prières la justice, la force, la prudence, la tempérance, vertus qui peuvent remédier à nos défauts de tempérament. Comme nous ne naissons pas tous avec le même tempérament, comme il y a des exagérations et des lacunes en chacun de nos tempéraments, il faut demander à Dieu instamment l'une ou l'autre des vertus cardinales qui, précisément, comble la lacune ou adoucit l'exagération en mettant chaque volonté, chaque passion, chaque instinct de la nature au point. Le grand abaissement des volontés, des cœurs, des jugements vient de ce qu'on ne pratique plus ces vertus.  Ce qu'on veut, il faut que ce soit bien et bon, il faut par conséquent le vouloir depuis le commencement jusqu'à la fin, et ne jamais changer. Ceux qui sont d'un tempérament faible, mou, lymphatique, se laisseront aller volontiers de côté et d'autre. Il leur faut donc demander au bon Dieu d'une façon plus particulière la vertu cardinale de force, pour obéir avec persévérance. Et ainsi des autres vertus.

“Ils soumettront leur jugement et leur volonté”: Qu'est‑ce que soumettre son jugement? Mon Supérieur me dit que quelque chose est noir, et moi, je vois que c'est blanc. C'est dur à avaler! Si je demande à mon voisin, il dira comme moi: “C'est blanc”. Soumettre notre jugement, quand on nous donne une obéissance, c'est lui dire: “Tu n'es pas de l'avis de mon Supérieur, mais tais‑toi, tu n'as rien à faire ici”. C'est ne pas chercher à faire prévaloir notre manière de voir. Soumettre notre jugement n'est pas toujours changer notre jugement. En bien des cas, vous n'aurez pas à détruire votre jugement, vous aurez à le soumettre pour le bon Dieu, vous aurez à faire humblement et avec soumission ce qui vous est commandé, bien qu'il vous semble que ce serait mieux autrement. Mais le bon Dieu vous demandant de le faire ainsi, vous le faites simplement, pour obéir au bon Dieu qui le veut ainsi. Donc en soumettant son jugement, de la façon que je viens de dire, on n'est pas violenté, on ne fait pas le contraire de ce qu'on veut. Au contraire, on fait précisément ce que l'on veut. C'est l'acte humain et volontaire par excellence. Il vous a fallu, pour agir ainsi, un acte de libre et parfaite volonté.

Maîtriser son jugement, sa volonté, c'est le propre de l'homme. L'animal ne peut le faire. Aussi l'homme ignorant et borné ne pourra jamais en arriver là, tandis que l'homme éclairé, intelligent, judicieux, fait taire facilement son jugement propre. Les auteurs spirituels ne présentent pas ainsi généralement l'obéissance du jugement. Ce qu'ils proposent sous ce nom et demandent au religieux, c'est plus ou moins le changement du jugement, et cela suppose une grâce spéciale que l'individu n'a pas toujours, ou que Dieu n'est pas toujours obligé de donner. Soumettre son jugement, c'est tout simplement faire taire son jugement propre pour le bon Dieu, c'est ne pas écouter ce qu'il dit, pour écouter et accomplir ce que le bon Dieu nous demande dans le moment présent par la bouche du Supérieur. Et je le répète, c'est l'acte humain, libre et volontaire. Il n'y a que la partie supérieure qui puisse le comprendre et le faire.

“Cette obéissance devra être rendue aux autres Supérieurs, tant particuliers que provinciaux” (Const., Art. VI:3; p. 17).

Un professeur doit obéissance au préfet des études. Voilà un professeur qui fait sa classe conformément au programme; il le croit du moins! Le Directeur des études fait une simple observation. Ils peuvent s'entendre en s'expliquant, et tout sera bien. Mais si malgré l'explication le Supérieur ou le préfet des études qui le remplace en cette charge dit de faire autrement, il faudra faire autrement. Si le professeur se soumet humblement, la grâce viendra. Il peut avoir d'excellentes raisons. Le Supérieur pourra ensuite accepter ces raisons, s'il le juge à propos, mais s'il ne les accepte pas, il faut se soumettre. Et encore une fois, si le professeur se soumet, il réussira, parce que Dieu sera avec lui.

Mes amis, il faut croire à ces choses comme nous croyons à l'Evangile. Notre‑Seigneur a dit une parole bien remarquable: “De même, je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé” (Mt 18:19). Remarquez qu'il ne dit pas: “Quand deux s'accorderont pour faire ou pour traiter des choses qui concernent le ciel d'une façon directe”, mais “pour traiter de quoi que ce soit”. Voilà une parole à laquelle on doit croire. Il faut apporter foi, mes amis, aux choses de l'obéissance, de la vie religieuse. Est‑ce facile? Pas toujours. On le fait, ou bien en vertu d'un don qui nous est donné naturellement, ou bien en vertu d'une grâce spéciale. Si nous n'avons pas ce don, cette vertu, il faut les demander instamment au bon Dieu dans nos prières.

Ayons une âme assez généreuse, portons assez de respect aux choses de l'obéissance, pour les accepter de quelque côté qu'elles viennent. Servons‑nous de l'obéissance comme d'un moyen efficace pour arriver au bien, pour réussir dans les charges et les offices qui nous sont confiés. Mes amis, ce ne sont pas des riens, toutes ces choses‑là; c'est toute la philosophie de la vie religieuse, c'est toute la doctrine de saint Thomas et des Saints  Pères. Quand c'est bien compris, on réussit dans sa vie religieuse.

Et qu'est‑ce qui fait comprendre ces choses? Je le répète, un don naturel de Dieu, ou bien une grâce particulière. Voici un religieux bien doué du côté de l'intelligence. On voit dans sa manière d'agir que les choses de la vie religieuse sont bien comprises. Un autre sera bien moins doué, et tout ira également bien. C'est que ce second religieux a obtenu de Dieu la grâce spéciale dont il avait besoin. Mais, entre ces deux‑là, voyez‑en un troisième. Le don naturel lui manque et la grâce spéciale pareillement. Il roule, et il est roulé de toutes manières. Faisons une prière pour demander à Dieu de nous faire comprendre cela et de nous le faire pratiquer.