Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le but de la Congrégation 

Chapitre du 11 janvier  1893

Nous recommençons l'explication des Constitutions.

“Les membres de l’institut, en se plaçant sous le patronage de saint François de Sales, se proposent de pratiquer les vertus sacerdotales et religieuses, suivant l’esprit du saint Docteur. Ils auront donc grandement à coeur de se sanctifier eux-mêmes, pour aider ensuite plus efficacement à la sanctification du prochain, par l’éducation chrétienne de la jeunesse, les missions en pays hérétiques et infidèles, et les fonctions du Saint Ministère” (Const., Art. I; p. 1-2).

Il faut que l’Oblat ne prenne pas seulement saint François de Sales  pour parrain, qu'il ne prenne pas seulement son nom pour étiquette; il faut qu'il vive de sa vie, qu'il se nourrisse de sa doctrine et la répande autour de lui. Les choses de la théologie de la vie surnaturelle s’apprennent bien par l'étude. Mais il faut, pour les bien pénétrer et les bien comprendre, les pratiquer soi‑même et les faire pratiquer aux autres. Vous ne pénétrerez jamais parfaitement une doctrine, tant que vous ne l'aurez point pratiquée, tant que vous n’aurez pas vous‑mêmes mis la main à la besogne. Si nous voulons bien comprendre saint François de Sales , il est donc nécessaire que nous conformions notre vie, nos manières de faire et de penser à celles de saint François de Sales. Il faut connaître la vie de saint François de Sales, la méditer , relisons‑la de temps à autre comme on le faisait au noviciat. Nous trouverons là de grands enseignements à tous les points de vue.

Voyez: l'Evangile, ce n'est pas un code divisé par chapitres, articles, numéros; c’est un récit historique, et cette manière s’applique mieux aux différents détails de la vie. Les enseignements qui se dégagent du récit se comprennent plus facilement; rien ne heurte l'esprit, rien ne porte à la contradiction. Cela se prête à l'examen, sans doute; on s'y attache ou on s'en éloigne, mais cela ne suscite au moins nulle contestation, nul débat. C'est à prendre ou à laisser. Il en est de même de la vie des saints.

Aimons donc les vies de saints. Aimons‑les toutes. Elles sont toutes  bonnes, depuis la première jusqu'à la dernière. C'est une vie si remplie, si complète, où le sentiment, la pensée sont tellement en rapport avec les faits et les paroles, qu'elle a porté bonheur aux historiens. Il leur est facile de donner du premier coup la véritable physionomie du saint. D'autres héros peuvent se prêter à des considérations, à des aperçus plus ou moins en rapport avec la vérité; saint François de Sales ne peut pas se travestir. Il n'est pas possible avec lui de mettre à côté. Tous ont bien dit. Je ne crois pas qu'aucun l'ait interprété faussement ou ait exagéré.

C'est donc dans la vie de saint François de Sales  que nous trouverons sa vraie doctrine, ses vertus, sa charité qui domine tout, sa prudence, sa simplicité, sa force, sa générosité, et il lui en a fallu beaucoup de force et de générosité pour soutenir les luttes et les contradictions de tous les instants, de toutes les minutes. Cette force, il la déploya sans cesse et sans relâche, en face des petites comme  des grandes choses. Il n'est pas difficile toujours d'avoir de la force en face des grandes difficultés; mais au contraire, en se heurtant à l'obstacle, la volonté se ramasse, se détermine, agit vigoureusement. C'est toute autre chose, en face des petites circonstances. Remarquez bien qu'il faut tout autant de courage pour bien faire l'étude, la classe, que pour s'en aller en mission; pour supporter de petits ennuis que pour accepter de grandes humiliations. Pour apprécier le degré de vertu, il ne faut pas considérer la chose elle‑même qui est faite, mais la disposition dans laquelle on la fait. Voilà l'esprit dans lequel nous devons vivre, à la suite de saint François de Sales, voilà la manière dont nous devons pratiquer les vertus sacerdotales et religieuses.

Quand j'étais allé à Rome, avec le P. Lambey, présenter nos Constitutions à Pie IX, le prélat qui nous introduisait nous dit: “Priez bien pour moi, afin que j’aie les vertus sacerdotales qui étaient si éminentes en saint François de Sales, faites-moi cette promesse; c'est à cette condition que je vous livre le Pape”. Quel prêtre en effet fut jamais plus prêtre que saint François de Sales? quel pontife fut plus évêque que lui?

Ce n'est pas assez d'imiter ses vertus sacerdotales, il faut encore imiter ses vertus religieuses. Saint François de Sales n'a pas été religieux en ce sens qu'il ait prononcé les vœux de religion. Mais voyez comme il a pratiqué toutes les vertus religieuses, comme il a réalisé en lui les vœux religieux, sans en avoir fait la profession solennelle. Il n'avait pas fait vœu de pauvreté, mais sa pauvreté a été réelle et parfaite. C'était sainte Jeanne de Chantal qui lui faisait ses soutanes. Elle filait elle‑même la laine et la tissait. Elle lui avait fait à courte distance deux soutanes. Une seule me suffit, lui disait le saint. Ne faut-il pas que j'imite Notre-Seigneur qui n'avait qu'une tunique? Sa maison, son mobilier étaient d'une extrême simplicité. Voyez son obéissance aux saints canons, à la sainte Eglise, à la volonté de Dieu en toute occasion, de quelque façon qu'elle lui fût manifestée. Il était la chasteté personnifiée, chaste dans son corps, chaste dans son cœur, évitant tout ce qui est mal, offrant et consacrant tout son cœur à Dieu. Voyez avec quel transport son cœur chantait le beau cantique de l'amour de Dieu. On n'écrit pas un pareil traité sans avoir profondément senti et intimement pratiqué toutes ces merveilles de sainteté et d'amour. Cela nous donne le niveau de sa chasteté. Rappelons‑nous bien en effet que le vœu de chasteté ne défend pas seulement les plaisirs coupables. Il y a une partie de ce vœu qui est très positive et très pratique, c'est de donner l'intime de son cœur à Dieu, c'est l'amour délicat et de choix. Et il est difficile, ce me semble, de trouver une âme qui ait jamais tant aimé Notre-Seigneur que saint François de Sales.

Sanctifier le prochain est notre second but; il ne faut pas l'oublier. Mon ancien professeur de théologie, M. Chevalier, disait: “Quand on est prêtre, il ne faut jamais être en rapport avec quelqu'un, sans chercher à l'édifier. Si vous le pouvez par vos paroles, édifiez par vos paroles. Si c'est par la pratique des vertus, édifiez par la pratique des vertus. A plus forte raison, mes amis, un religieux, dont la raison d'être est l’édification du prochain, doit‑il pratiquer toutes les vertus qui édifieront le prochain, la charité, la prudence, la justice, l'honneur, la piété.

Nous devons sanctifier le prochain d'abord par l'éducation chrétienne de la jeunesse. Dans la lettre que le Préfet de la Propagande vient de m'écrire en réponse au Status triennalis que je lui ai envoyé dernièrement, il s'est expliqué avec beaucoup de force sur le mérite que la Congrégation a en s'adonnant aux œuvres de sanctification de la jeunesse. N'oublions pas aussi que les grâces que Dieu donne à la jeunesse ne se retrouvent jamais nulle part.  Nous aimerons donc nos jeunes gens, parce que le bon Dieu les aime spécialement et leur donne des grâces toutes particulières.

Voyez: saint Vincent de Paul enfant donne trente sous à un pauvre. Dieu l'aime d'une façon toute spéciale à cause de cette aumône et à cause de sa jeunesse. Saint Martin coupe son manteau pour en donner la moitié à un pauvre. Et parce qu'il a fait cela à 15 ans, Dieu le récompense magnifiquement. Sainte Thérèse enfant fait avec son frère de petits pèlerinages, elle construit de petits ermitages, elle tâche de témoigner à Dieu son amour, et Dieu la récompense en en faisant la grande sainte Thérèse. L'acte bon que fait un enfant, un jeune homme peut avoir des conséquences immenses. “Nous avons vu son astre à son lever, et sommes venus lui rendre hommage” (Mt 2:2). Toutes les fois que l'on voit l'étoile dans l'Orient, au commencement, dans les débuts de sa carrière, on va à Dieu les mains pleines de présents et de mérites et l'on trouve Dieu.

Remarquez ce qui est arrivé à saint Vincent de Paul. Le bien qu'il a fait tout jeune enfant s'est étendu à toute son existence, a déterminé cette existence, lui a donné sa physionomie et son cachet. Il a eu une portée immense. Voilà pourquoi la sainte Eglise, le Pape, les cardinaux, le préfet de la Propagande, notre supérieur, insistent tant sur l'éducation chrétienne de la jeunesse. Le bien que nous apprenons à faire aux enfants sera pour eux la bénédiction et la richesse de leur vie d'adultes. Ce que nous faisons faire aux enfants, aux jeunes gens aura un résultat immense et que nous ne pouvons pas prévoir, et du côté du cœur de Dieu, et du côté de la vie pratique de ces enfants.

Dieu bénit de bénédictions si particulières ce qui vient du cœur et de la volonté de l'enfant. C'est l'âge des passions, des tentations. Il leur est difficile de conserver leur foi, leur pureté. Les attacher à Dieu, jeter le bon Dieu dans leur âme est donc une œuvre bien méritoire et bien belle. Voyez aussi comme Notre-Seigneur bénit les enfants. Ce sont, dit‑il, ceux qui leur ressemblent qui entrent dans le royaume des cieux. Son ami, son disciple bien‑aimé, c'est Jean, le plus jeune des disciples. Qui est‑ce qui le détermine à faire deux de ses plus grands miracles? Un jeune homme, une jeune fille: ils sont ses amis, ils touchent son cœur.

Regardons donc notre mission auprès de la jeunesse comme une mission éminemment sacerdotale. Nous serons dans l'esprit de l'Evangile, dans l'esprit de Notre-Seigneur. Saint Jean avait vieilli. Il a confié un jeune homme à un évêque. Il vient demander à l'évêque ce qu'est devenu le jeune homme. Il est mort, mort à Dieu, car il est chef de brigands! A 90 ans, saint Jean se fait amener un cheval et il s'en va par la montagne et les plus grands dangers chercher ce jeune homme. Il le rejoint, il le poursuit, il le ramène et le convertit. Il y a certainement un don de Dieu spécial, un attachement, une préférence intimes qui s'attachent à l'enfant, à la jeunesse. On fait certainement plus de plaisir à Dieu en lui gardant une âme d'enfant, de jeune homme, qu'en s'attachant à d'autres âmes.

Efforçons‑nous donc d'inspirer à nos enfants, à nos jeunes gens, l'esprit de saint François de Sales; attachons‑les à Dieu par les mêmes liens par lesquels nous nous attachons nous‑mêmes à lui. Servons‑nous dans notre direction à leur égard des moyens, des industries de saint François de Sales. Nous les gagnerons ainsi à Dieu, nous les attacherons à Dieu pour leur vie toute entière.