Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Avis sur le Directoire

Chapitre du 7 novembre 1892

“Le Directoire propose quantité d'exercices, il est vrai, et il est encore bon et convenable pour le commencement, de tenir les esprits rangés et occupés: mais quand par le progrès du temps les âmes se sont exercées en cette multiplicité d’actes intérieurs, et qu’elles sont façonnées, dérompues et dégourdies, alors il faut que ces exercices s’unissent en un exercice de plus grande simplicité, à savoir, ou à l’amour de confiance, ou de l’union et réunion du coeur à la volonté de Dieu, ainsi que l’exercice de l’union marque; de sorte que cette multiplicité se convertisse en unité” (Dir., Avis sur le Directoire, p. 127-128).

Le Directoire n'est pas autre chose qu'un moyen d'arriver à la perfection chrétienne, sacerdotale et religieuse. Il est d'autres moyens sans doute pour arriver à la perfection. Dans les autres Instituts religieux, on emploie des moyens différents, d'autres exercices, de longues oraisons, des mortifications, des austérités, tout ce qui peut tenir sous le joug le corps et les sens. Tous ne suivent pas le même chemin. Il y en a à qui une vie plus austère convient mieux. Certains esprits dont la volonté n'est pas très souple et ne se prête pas facilement aux injonctions des supérieurs, se soumettront plus facilement à des exercices pénibles pour le corps et ils parviendront par là à la perfection. Nous moyens à nous sont bien plus simples. Les moyens corporels sont excellents, mais ce sont des moyens matériels pour arriver à l'esprit. Le Directoire va de suite au but. Sans violences extérieures, il amène l'âme à la perfection de son état, quel qu'il soit.

Notre saint Fondateur dit qu'il est bien bon dans le commencement d'astreindre son esprit à cette multiplicité d'exercices, mais que plus tard on peut changer cette multiplicité d'exercices en un exercice plus simple d'union à Dieu. Mais il faut commencer par le Directoire, et s'en tenir au Directoire tant que le bon Dieu n'appelle pas manifestement plus haut. Il ne faut pas se faire d'illusions sur ce point et prendre la paresse spirituelle pour l'état d'union à Dieu. Le Directoire est notre grande obligation; c'est à nous de voir si nous la remplissons. Le Directoire est un bien petit livre, qui semble au premier abord ne pas renfermer grand-chose. Vous n'y trouvez rien des Saints Pères, à peine quelques citations de l'Ecriture, point de raisonnement. Ce ne sont pas des thèses en règle, loin de là. Et cependant il contient toute la substance de la vie religieuse. C'est un moyen ingénieusement simple et sûr. Le secrétaire de Mgr Mermillod me disait que c'était le meilleur exercice de sanctification, le plus sûr, le plus exempt d'illusions, que c'était la gymnastique la mieux entendue pour façonner la volonté et la conduire à la perfection. Que notre Directoire fasse donc la matière de tous nos examens du matin et du soir.

Combien de temps faut‑il pratiquer le Directoire pour arriver à cet état d'union habituelle de l'âme à Dieu, à l'amour de confiance, ou à l'union et réunion du cœur à la volonté de Dieu? Dieu le sait. Les uns y passent beaucoup plus facilement que d'autres, parce que la grâce agit en eux plus sensiblement. Je dirai seulement que si l'on est bien exact à la pratique de son Directoire, on arrivera sûrement un jour ou l'autre. Au bout de combien de temps? Ne nous en inquiétons pas. Et en attendant cette grâce de Dieu, pratiquons bien notre Directoire, dûssions‑nous le pratiquer toute notre vie, et être toujours parmi ceux qui commencent. De la sorte, Dieu sera continuellement uni à nous, et nous resterons continuellement en sa sainte présence. Exercez‑vous aussi à avoir un grand amour de confiance en la volonté divine, puisque c'est là le but du Directoire. Ayez confiance que chaque effort que vous faites est bon, et produit son profit. Laissez‑vous conduire par la main comme un enfant: “Parle, Yahvé, car ton serviteur écoute” (1 S 3:9). Je ferai, mon Dieu, ce que vous voudrez. Efforçons‑nous d'aller, plus loin encore que d'obéir simplement à la volonté de Dieu, ayons une union de cœur plus parfaite avec lui.

Quand quelque chose de pénible nous arrive, tâchons que cela augmente notre affection pour la volonté divine, mais attachons-nous-y, aimons-la. Est‑ce là quelque chose de bien singulier? Non. Saint François de Sales l'a fait. C'est comme cela que saint Vincent de Paul, que sainte de Chantal, que saint Liguori, que la bonne Mère se sont sanctifiés. Voyez comme saint Alphonse de Liguori s'appliquait à aimer la volonté de Dieu, malgré les infirmités, les tentations, les épreuves de toutes sortes.

“Mais c'est au supérieur à connaître et à discerner l'attrait intérieur et l'état de chacun de ses fils en particulier; afin qu’il les conduise tous selon le bon plaisir de Dieu” (Dir., Avis sur le Directoire, p. 126).

Il faut s'en remettre à la prudence et à la discrétion du supérieur. C'est à lui d'indiquer la voie à suivre. Que le supérieur demande donc au Saint-Esprit sa lumière, qu'il demande cette délicatesse de l'âme qui comprend ce que Dieu désire d'elle, tel sacrifice par exemple, l'abandon de telle volonté. L'Esprit de Dieu inspire ces choses‑là. Tous les tempéraments ne sont pas les mêmes. Il en est de même que pour les santés spirituelles, car l'âme a une grande similitude avec le corps. Un homme qui sort de maladie ne peut pas faire dix lieues: “Fais que je sache la route à suivre, car vers toi j’élève mon âme” (Ps 143:8). Seigneur, montrez-moi la voie dans laquelle je dois marcher et aussi celle dans laquelle je dois faire marcher les autres.

“Et de plus, s’il se trouve quelques âmes, voire même au Noviciat, qui craignent trop d’assujettir leur esprit aux exercices marqués ;pourvu que cette crainte ne procède pas de caprice, outrecuidance, dédain ou chagrin, c’est au prudent directeur de les conduire par une autre voie, bien que pour l’ordinaire celle-ci soit utile, ainsi que l’expérience le fait voir” (Dir., Avis sur le Directoire, p. 126).

Il est bien rare que la crainte qu'on puisse avoir de se soumettre au Directoire vienne d'un autre sentiment que ceux que mentionne là notre saint Fondateur. Restons donc bien dans ces limites, dans ces termes‑là. Que le Directoire soit la base de notre conduite personnelle et de la direction que nous donnons aux âmes. C'est très simple, très net: il n'y a pas à chercher autre chose. Ayons cependant du respect pour chaque âme, étudions-la devant Dieu: “N’éteignez pas l’Esprit” (1 Th 5:19). Le Directoire, c'est la doctrine de la bonne Mère. Regardons‑nous comme obligés d'arriver graduellement à cette union avec le bon Dieu. J'ai de bonnes nouvelles de nos Pères qui se sont embarqués pour le Cap, quoique la traversée ait été assez agitée à leur départ. A l'Equateur, le voyage de nos missionnaires a été bon. Ils sont arrivés au séminaire, à la grande joie du Père David. Nos Pères d'Angleterre commencent à se mettre en marche et à développer leur œuvre. Leur maison augmente. Mettons toutes ces choses dans nos prières, dans nos cœurs, et soyons bien unis. Que tout ce qui a rapport à la Congrégation nous touche, et que nous n'ayons tous qu'un cœur et qu'une âme.