Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les malades, les mourants, les défunts

Chapitre du 15 octobre 1890

“On aura dans la Congrégation un soin tout spécial des malades; on les affectionnera particulièrement parce qu'ils sont la bénédiction de la maison, attirant sur l'Institut les grâces les plus abondantes et les plus efficaces” (Const., Art. XXIII:1; p. 83).

Voilà une parole bien consolante pour les malades. Quand on est malade on a peine à admettre qu'on puisse faire quelque chose dans son inaction, qu'on puisse travailler ainsi à l'œuvre de Dieu. Ce n'est pas une spéculation en l'air que cette doctrine‑là. Nous faisons l'œuvre de Dieu quand nous sommes en union avec Dieu. Quand nous sommes malades et unis à Dieu, nous ne sommes pas oisifs, nous ne mangeons pas le bien de la communauté: nous faisons au contraire l'œuvre la plus méritoire et la plus active devant le bon Dieu.

“Les infirmiers qui auront la charge de les soigner s'acquitteront de leur emploi en toute dilection, non seulement quant aux soins matériels, mais aussi quant aux délassements, distractions et consolations, qu’il faut procurer aux malades”.

“Ils tiendront l'infirmerie et toutes ses dépendances dans un très grand, état de propreté, et ils auront soin de mettre, suivant la saison, de la verdure et même des fleurs dans la chambre des infirmes”.

“Dans le soin des malades ils se conformeront à l'obéissance et aux ordres des médecins. Ils se souviendront de prier pour leurs malades; ils se rappelleront les promesses que Notre-Seigneur a faites à ses Apôtres: Curate infirmos [Lc 10:9]. Ils mettront entièrement leur confiance dans le secours de Dieu, et ils inspireront ce sentiment à leurs malades” (Const., Art. XXIII:2-3-4; p. 83-84).

J'aime beaucoup cet article-là. Il faut avoir recours au médecin dans les maladies graves, sérieuses. Il ne faut pas trop faire le médecin soi‑même, on risquerait de se tromper. En dehors de ces cas sérieux, j'aime bien qu'on se fie à ces paroles de l'Evangile. Les apôtres n'étaient pas médecins, excepté saint Luc. Notre‑Seigneur a dit: “Guérissez les malades” (Lc 10:9). Cela s'applique surtout aux Religieux. Il faut bien faire cela, bien se tenir à cette parole là, à ces termes-là. Dans la communauté, il faut que tout le monde prie pour les malades. C'est une grande charité spirituelle à leur endroit;

Une chose qu'il ne faut pas faire, quand on est religieux, et qu'on habite une maison religieuse, c'est de donner une installation au médecin dans la maison. Les religieux doivent avoir une vie régulière, et le médecin, à part les cas exceptionnels, n'est pas du tout l'homme de la situation. Voyez ce qui arrive chez les femmes, ainsi que chez bon nombre d'hommes, qui sont très impressionnables: une fois qu'on se figure qu'on est malade, le cerveau se prend, et c'est fini, on ne sort plus des médecins et des remèdes. Dans le monde il y a beaucoup de malades imaginaires; il y a énormément de malades d'imagination. Affranchissons‑nous bien de ces moyens humains. Vous êtes un peu souffrant, prévenez l'infirmier. Vous l'êtes davantage, allez à l'infirmerie; mais autant que possible il ne faudrait guère être malade que pour mourir. D'abord cela n'avance à rien d'être malade. Prenez donc des précautions; servez‑vous de l'eau bénite, confiez‑vous à Notre-Seigneur et priez‑le. Vous vous êtes cassé une jambe; vous avez la fièvre typhoïde: il ne serait pas prudent de vous soigner seul, il faut évidemment le médecin. La grande précaution pour prévenir les maladies, c'est l'hygiène: c'est de ne pas faire d'imprudence. Un écrivain trop célèbre qui vient de mourir, Alphonse Karr s'avise, ces jours derniers, à 82 ans , d'aller pêcher à la ligne par la pluie, et il ne veut pas changer de vêtements en rentrant : il en est mort. Il ne faut jamais faire le brave mal à propos. Vous avez froid, mettez quelque vêtement de plus. Soignez votre santé. Vous avez du rhume, prenez un peu de lait chaud. Vous êtes fatigué, prenez quelques instants de repos. L'hygiène bien appliquée a un résultat énorme.

Les religieux doivent avoir une autre hygiène que les gens du monde. Un religieux ne doit pas s'aviser de boire de l'alcool comme fait un homme du monde; il ne doit pas manger des choses aussi solides. La vie qu'il mène ne le permettrait pas impunément. Qu'un professeur se mette à ce régime, il sera bientôt malade. Voilà une communauté de femmes, le médecin y va régulièrement, cela ne vaut rien du tout. Quelle que sainte que soit cette communauté, elle en subira un grand détriment. Ces religieuses feraient mieux de se soigner entr'elles, et de n'appeler le médecin que dans les circonstances sérieuses. Il n'y a rien qui détruise tant l'esprit religieux. Il faut avoir dans nos maladies une grande foi en la bonté, en la charité du Sauveur; il faut bien prier.

Autrefois les dévotes du grand monde avaient leur directeur; maintenant elles ont leur docteur. Sans doute il ne faut pas repousser systématiquement le médecin: “Au médecin rends les honneurs qui lui sont dus en considération de ses services” dit la Sainte Ecriture (Si 38:1). Il remplit une fonction importante; il est dans l'ordre de la Providence. Honorez‑le; mais entre l'honorer et se mettre aveuglément sous sa coupe en tout et partout, il y a bien de la différence assurément.

Un jour l'abbé de Montiéramey était venu visiter saint Bernard dans sa cellule. Il était silencieux et triste: “Qu'avez‑vous?” lui demanda le visiteur.
— “Autrefois je commandai à des hommes, maintenant j’obéis à des bêtes” C'était l'Evêque de Châlons qui avait fait ce coup; il avait mis saint Bernard sous la dépendance d'un médecin inintelligent qui lui faisait manger et boire précisément le contraire de ce qu'il fallait.

Je vous répète la promesse de Notre‑Seigneur:”Guérissez les malades”  (Lc 10:9). En ayant foi à cette parole, vous éviterez bien des maladies. Il ne faut pas non plus faire le médecin, se mettre à administrer des remèdes. Non, priez et faites prier, et servez‑vous beaucoup d'eau bénite. Quant aux personnes que vous dirigez , soyez prudents. Voilà une personne malade, ne faites pas renvoyer le médecin s'il n'abuse pas de la situation; et quand même il y aurait quelque abus, ce n'est pas à vous à le réformer. Si les âmes dont vous avez la conduite ne peuvent pas se passer de médecin, laissez‑les faire. Je parle pour les religieuses. Si dans une communauté où vous avez quelque influence cet abus existe, gardez‑vous bien d'aller dire: “Vous faites au médecin une part trop grande”. Vous ne seriez probablement pas compris, et vos paroles seraient mal interprétées.

A ce propos‑là, dans les pays de foi, les malades n'ont pas seulement recours au médecin. On prie les Saints, on va en pèlerinage. Voyez ce qui arrive à Lourdes. Bien des choses merveilleuses se produisent là: et il se passe beaucoup de faits analogues en d'autres pèlerinages, quoique sur une moins grande échelle. Dans nos pays de Champagne, on venait en pèlerinage à Saint-Parres: on y venait de l'Alsace et de tout l'Est de la France. J'ai été moi‑même témoin de deux guérisons bien remarquables. L'une était celle d'une femme de Plancy qui est morte depuis huit ou dix ans tout au plus. Nous avions aussi une vieille servante, Flore, qui était extrêmement malade, et qui a été guérie à la suite d'un pèlerinage à Saint‑Parres. A Troyes il y avait encore le pèlerinage de Sainte Jule que j'aurais bien voulu relever. Il y avait un puits de Sainte Jule, qui a été comblé depuis. J'ai vu des gens qui avaient amené à ce puits un enfant qui ne voyait plus clair; la maladie était incurable, et l'enfant fut guéri. J'étais au Petit Séminaire dans ce temps‑là. Puisque le bon Dieu convertit les âmes, il peut bien guérir les corps.

Quand nous avons besoin du médecin, il faut lui obéir; c'est Dieu qui a établi les remèdes; et cette obéissance est un acte méritoire.

“Les malades à l'article de la mort seront assistés par un prêtre suivant la prescription du Rituel Romain”(Const., Art. XXIII:5 ; p. 85).

Dans les pays catholiques, en Espagne, cela se fait toujours. Dans nos contrées ce serait plus difficile de le faire pour tout le monde, comme le demande le Rituel. Nous le ferons au moins pour les Oblats. Cette assistance du prêtre aux derniers moments est bien précieuse pour éloigner les démons, et écarter les tentations de désespoir et de blasphème du dernier moment; pour pardonner aussi les péchés de la dernière heure, donner l'absolution, appliquer l'indulgence plénière, et prononcer les paroles du Rituel: “Partez, âme chrétienne”.

“Nous nous souviendrons que c'est une doctrine parmi nous que ceux qui souffrent et pâtissent en l’amertume et angoisse de la maladie, travaillent bien plus sûrement que ceux qui parlent et agissent avec encouragement et consolation” (Const., Art. XXIII:7; p. 86).

La prière, faite au bon Dieu par un malade a plus d'effet que celle qui est faite en bonne santé. La souffrance que l'on offre au bon Dieu a plus d'efficacité que toutes les paroles possibles. Il est souvent bien difficile aux malades de comprendre cela. Le moment de l'agonie, de la lutte dernière de la mort contre la vie, présente le plus souvent un bien triste spectacle. On remarque que les âmes les plus fidèles au bon Dieu ont le plus souvent une fin très pénible, de dures épreuves, point de consolations. Voyez Notre‑Seigneur sur la Croix :”Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?” (Mt 27:46)

Ceux qui visitent les malades doivent agir en ces derniers moments avec beaucoup de précaution et de prudence. Il faut dire ce que Dieu inspire, un petit mot qui puisse aider. Il ne faut pas faire comme ces bons curés qui s'installent là et vous débitent des exhortations, comme l'instruction que l'on fait aux époux le jour du mariage. A l'article de la mort, on n'a pas la force d'en entendre si long. On risque d'impatienter le moribond et de lui faire plus de mal que de bien. Agissez donc très prudemment, et bornez‑vous le plus souvent à un petit mot d'encouragement. Faites votre direction d'intention, priez la Sainte Vierge, les âmes du Purgatoire, la bonne Mère, et elles nous donneront ce qu'il faut pour le mourant.