Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Directives sur l’instruction

Chapitre du 10 juillet 1889

Nous continuons l'explication des Constitutions des fonctions de la Congrégation.

“Pour l'instruction on suivra les méthodes les plus approuvées, et on admettra les auteurs païens dans la mesure indiquée par les réponses de plusieurs de N.N.S.S. les Evêques, et surtout de notre Très Saint-Père le Pape Pie IX” (Const., Art. XV:3; p. 53-54).

Il y a 20 ou 30 ans , une école de catholiques ardents prétendait bannir complètement de l'enseignement les auteurs païens. Mgr Gaume conduisait la campagne. Il faisait valoir des raisons qui avaient bien leur force. Notre Saint-Père le Pape Pie IX intervint dans la discussion. Il fut d'avis de conserver les auteurs païens, à cause de la perfection de la forme, norma dicendi. Mais il importe de prévenir les élèves contre les idées fausses et mauvaises qui se cachent sous cette forme. La langue courante du peuple romain, la langue des artisans, avait un cachet de perfection admirable qu'il ne faut pas négliger. Mais en étudiant cette langue, il faut se prémunir contre les idées qu'elle renferme. Mgr Gaume prétendait, non sans raison, qu'une des causes de la Révolution française était l'engouement universel pour les auteurs païens. Quand on visite l'Institut catholique de Paris, l'ancienne maison des Carmes, qui servit de prison aux victimes des massacres, on lit encore sur les murs des cellules des vers de Térence ou des sentences de Sénèque. Sous l'Empire, l'université continua ces traditions et contribua à perpétuer l'engouement des nudités et des divinités païennes. Il est certain que cette éducation-là eut une grande influence sur les idées courantes.

Le Saint-Père a décidé qu'il fallait garder les auteurs païens à cause de leur excellence dans l'art de bien dire. Les saints Pères, les écrivains ecclésiastiques ont parlé et écrit pour le peuple qu'ils avaient devant eux. Ils ont dû parler la langue de ce peuple. Quand on trouve dans saint Augustin des locutions de mauvais goût, c'est que le peuple auquel s'adressait saint Augustin parlait comme cela. Il faut écrire et parler, non pas pour les morts, mais pour les vivants. Les Pères grecs parlent le beau langage des auteurs classiques. Saint Jean Chrysostome, par la pureté et la beauté de sa langue et par l'élévation des idées, est supérieur à tout autre. Je recommande bien la lecture de saint Jean Chrysostome à tous ceux qui parlent, à tous ceux qui font le catéchisme. Saint Augustin est sans doute bien remarquable. Il parle avec son esprit, il disserte, il discute. Saint Jean Chrysostome, c'est autre chose. Il est là, son langage s'adresse continuellement à ceux qui sont là. Il les interroge, il les met en scène, et tout cela avec un intérêt inimitable. Je me crois enthousiaste de saint Jean Chrysostome. Chaque fois qu'il m'en tombe sous la main, c'est la même admiration qui me saisit. Prenez ce que vous trouverez de saint Jean Chrysostome dans le bréviaire, prenez au hasard.

Tenez, voici les leçons du samedi dans l'octave de la Fête-Dieu: “Il est nécessaire, mes bien-aimés, d'étudier le miracle des mystères, ce qu'il est et pourquoi il nous a été donné et quelle en est l'utilité. Nous devenons un seul corps avec Jésus-Christ; les membres, nous dit-il, de sa chair et de ses os. Nous qui sommes initiés, nous savons ce que signifient ces paroles. C'est donc semblables à des lions respirant la flamme que nous devons nous retirer de cette table; nous sommes devenus terribles au démon, méditant dans notre esprit la puissance de Celui qui est notre tête, et l'amour qu'il nous montre. Souvent les pères et mères livrent leurs enfants à d'autres pour les élever et les nourrir. Moi, dit-il, je n'agirai pas ainsi; je nourris mes enfants de mes chairs; je m'abandonne moi-même à vous; je veux que vous deveniez tous d'une race illustre; je veux vous assurer l'espérance des biens futurs; car si je me suis livré moi-même ici à vous, je le ferai bien davantage dans l'avenir. J'ai voulu devenir votre frère; à cause de vous je me suis mêlé à votre chair et à votre sang et en retour je vous livre cette chair et ce sang par lesquels je suis devenu l'un de vous”.

Voyez comme il fait parler Notre-Seigneur dans l'Eucharistie, comme il s'adresse à chacun de ses auditeurs, comme son langage est vivant. D'autres fois et souvent, il les interroge, il les fait répondre. Jamais je n'accepterai l'injure que la langue des Pères grecs est inférieure à la langue des auteurs classiques, et que leurs idées sont bien supérieures. Saint Jean Chrysostome a affaire à des auditeurs plus intelligents, plus spirituels, qui parlent un langage plus élevé, plus facile, plus simple que les auditeurs de saint Augustin.
 
Oui, conservons les auteurs païens, mais ne déprécions pas les auteurs chrétiens. Avec saint Augustin, qui a des défauts mais de si belles idées, voyez saint Léon, saint Ambroise. On peut parler comme eux, sans crainte de faire du mauvais langage. Saint Ambroise était préfet de Milan. Il avait l'habitude de parler aux multitudes; sa parole était distinguée, son style châtié. Certainement sa langue vaut bien celle des meilleurs auteurs de la décadence, et à certains moments, il a des passages qui sont bien aussi éloquents que ceux de Cicéron.

“L'éducation ne sera jamais séparée de l'instruction. Les professeurs auront un soin extrême de profiter de toutes les circonstances, pour fortifier dans leurs élèves les points indiqués plus haut. Ils le feront dans la mesure et la manière que leur inspirera la prudence, et ils prendront fréquemment sur cela l’avis du Supérieur” (Const., Art. XV:4; p. 54).

Rome attache une grande importance à l'enseignement. C'est la vie et l'avenir qu'on prépare. On parait oublier peut-être, dans le tracas des affaires, les principes qu'on a reçus dans son éducation, mais les convictions de la jeunesse restent au fond de l'âme et ne s'effacent que bien difficilement. Profitons bien de toutes les circonstances qui se rencontrent et dans lesquelles nous pouvons dire un petit mot. Faites-le au moins une fois par semaine, glissez un petit mot à propos. Invoquez l’Esprit-Saint pour qu'il vous éclaire et vous aide en cela.

“On suivra le plus possible les avis de saint François de Sales dans la direction spirituelle des élèves, les exercices religieux, les moyens d’avancer dans la vertu” (Const., Art. XV:4; p. 54).

Agissons bien, dans la direction des élèves, comme les Constitutions le demandent. Pour bien faire ce qu’elles nous conseillent, il faut absolument nous identifier avec notre saint Fondateur. C'est là ce qui donnera du cachet à notre œuvre et qui la rendra fructueuse. Toute maison qui a ses pratiques particulières, qui marche vers un but particulier, qui a un fonds réel, finit par le communiquer autour d'elle et il en reste quelque chose.

“Chaque Directeur se rangera avec la plus complète obéissance aux prescriptions et aux avis du Supérieur, pour l’ordre et la discipline de la maison, et tous les professeurs se conformeront avec une religieuse exactitude aux programmes et aux indications du Préfet des études” (Const., Art. XV:6; p. 54).

Il faut que chaque religieux se souvienne bien que c'est un devoir de conscience pour lui de faire ce qui est dit, ce qui est marqué.

“Pour la direction des âmes, avec le secours de Dieu, on s’identifiera autant que possible aux pensées, aux méthodes de notre bienheureux Père, estimant que ce qu’il a fait, dit, enseigné, est le plus convenable aux âmes qui nous sont envoyées, que c’est particulièrement par ces moyens que nous avons grâce pour elles” (Const., Art. XV:7; p. 55).

Il faut beaucoup étudier notre saint Fondateur. Il est bon d'avoir chacun ses feuilles, son cahier de lectures, quand même nous ne pourrions pas en faire souvent. Ayez un carton rempli de feuilles volantes, rangées par ordre alphabétique. En peu de temps, vous aurez fait votre provision, vous serez capables de parler avec fruit, d'intéresser; vous ne serez pas à court. Cela aide beaucoup à la mémoire. Vous aurez là votre vaisselle, vos meubles. A tout instant, vous serez prêts. Vous avez écrit quelque chose il y a 10 ans, vous le retrouverez. Cela vous remet tout en mémoire. L'idée que vous avez consignée en amène une foule d'autres; tout vous est ainsi présent à ce moment-là. Si chacun de nous fait cela, nous amasserons une somme de connaissances, de ressources considérables. Nous ne nous exposerons pas aux redites, ou bien plutôt nous ne nous exposerons pas à ne rien dire du tout.