Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le maître des novices, les frères

Chapitre du 12 juin 1889

“Le Maître des novices est choisi par le Chapitre général. Il doit avoir au moins trente-cinq ans d’âge et cinq années de voeux perpétuels” (Const., Art. XIII:1; p. 48).

Le soin du maître des novices doit être de bien inculquer l'esprit de saint François de Sales. Deux pensées dominent dans l'esprit de saint François de Sales: l'obéissance envers les supérieurs et la charité pour ses frères. Les Constitutions qu'il a données à la Visitation, les règles qu'il a tracées, les principes de vie intérieure qu'il trace, tendent tous à cela. Sans doute, dans les ordres, l'obéissance aussi est sacrée. L'obéissance est cependant la chose propre des Oblats de saint François de Sales tant elle doit être entière, cordiale, simple. Ce n'est pas pour nous une montagne à surmonter, il n'y aura pas de grandes difficultés à vaincre. Nous n'aurons pas à nous raidir pour obéir. Nous obéirons parce que c'est notre affaire d'obéir, avec une grande simplicité et cordialité, et tout filialement, sans faire grand bruit autour de l'obéissance, sachant souffrir courageusement et simplement le martyre de l'obéissance, comme faisait Notre-Seigneur, d'après ce texte de saint Paul, que je vous cite souvent: "Tout Fils qu’il était, [Jésus] apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance” (Ep 5:8). Nous n'admettrons pas que l'on dise de grands mots autour de l'obéissance, mais nous obéirons de tout notre cœur et de toute notre âme. Qu'on ne marchande pas, mais aussi qu'on ne fasse pas éclat de son obéissance.

Le maître des novices devra former les religieux tout particulièrement à l'obéissance. Il ne faut pas que le maître des novices ait dans sa direction les idées des autres ordres religieux. Si bons que soient d'autres moyens de conduire les novices, ils ne seraient pas bons pour nous, comme dit notre saint Fondateur dans le Directoire. Il faut bien se tenir dans les limites de la pensée de saint François de Sales, de celle de la bonne Mère et de la mienne. Cet esprit est assez vaste, assez général; tous ceux qui y sont appelés, y trouveront abondamment leur affaire. L'esprit intérieur de saint François de Sales est du reste très large et va à un très grand nombre d'âmes.

“Il aura pour tous les mêmes soins et une même affection, quelle qu’ait été au monde leur condition, et quelles que soient leurs qualités personnelles et l’ordre qu’ils doivent occuper dans les deux rangs de l’Institut” (Const., Art. XIII:5; p. 49-50).

Il ne faut jamais faire acception de personne. Ce qui est dit ici du maître des novices doit s'appliquer à tous ceux qui ont quelque charge et qui s'occupent de 1a conduite des âmes. Dans les charges qui concernent surtout l’éducation et la formation des jeunes gens, c'est un devoir extrêmement important à remplir. Dans l'éducation de la jeunesse, il faut apporter toujours un grand sentiment de Dieu, une grande fidélité à notre esprit, aux pensées du Directoire, afin de pouvoir former les âmes, non pas absolument de telle ou telle façon qui agrée le plus, mais il faut s'attacher à les comprendre, à les saisir, comme dit notre saint Fondateur, à faire valoir le moindre petit bien qu'on y découvre. Voyez l'abbé Garnier de Caen qui était ici la semaine dernière. Comment fait-il? Il s'attache à saisir le moindre petit bien partout où il se trouve. Dans nos élèves, dans les personnes que nous avons à diriger, il faut chercher le don de Dieu, il faut le faire fructifier. La correction est difficile, bien difficile: on a beau couper le chiendent, il repousse plus indomptable. Le tout est de saisir le point par où on peut amener l'âme au bon Dieu, et cela est une grande étude, cela nécessite une grande sagacité, beaucoup de lumières. Je recommande cela. Il y a une parole de saint Liguori bien forte, c'est qu’une direction intelligente sauve ceux qui se seraient infailliblement perdus, et qu'une direction inintelligente perd ce qui est déjà gagné.

Il faut être bien sérieux, bien réfléchi dans nos communications avec les personnes avec lesquelles nous sommes en rapport, dans les relations de maître d'études à élèves, de professeur surtout. Ayez bien le respect du don de Dieu, ne foulez pas aux pieds les perles précieuses. Non, au contraire, il faut vendre tout ce qu'on a pour les acheter, se débarrasser de tout soi-même, de sa volonté. Il y a là une force immense. Lorsqu'un enfant a vu que vous estimiez quelque chose en lui, vous avez sa confiance. Tâchez de saisir cette petite perle que Dieu a mise en lui.  C'est un mauvais sujet, peu importe. Je ne dis pas que vous aurez toujours la réussite complète et que vous ferez des miracles, mais j'affirme que vous aurez une grande action. Remarquez bien ce qui vient de Dieu, que ce soit un don naturel ou surnaturel; que l'enfant sente que vous l'aimez à cause de cela.

Ecoutons saint François de Sales. Le P. Clément me disait que c'était le plus grand stratégiste de la vie spirituelle. Or saint François de Sales n'a jamais attaqué une âme que là où il pouvait la prendre. Il faut bien prier afin que nous tirions parti du don de Dieu, afin que nous ne le laissions pas enfouir comme le talent que le serviteur avait caché dans son mouchoir et enterré dans un coin du jardin. Chaque ordre religieux enseignant a ses moyens pour gagner le cœur des élèves, le cœur des personnes avec lesquelles il est en rapport. Ces moyens sont bons, puisqu'ils ont pour but la Volonté de Dieu; ces moyens font plaisir à Dieu. Le moyen de saint François de Sales est plus sûr, plus certain encore de plaire à Dieu. Vous prenez ce que le bon Dieu a mis dans l'âme de vos élèves, vous le mettez en évidence, en action. Par votre talent, votre influence vous mettez en jeu tout ce qui peut obtenir un succès, un résultat.

Nous ne négligerons pas la parcelle la plus mince du don de Dieu, nous la recueillerons patiemment, nous l'entourerons de nos soins, de notre respect, de nos adorations, tout aussi bien que si le don était plus entier et plus complet. Voilà le secret de notre saint Fondateur dans la direction des âmes, voilà son moyen qu'il ne faut jamais oublier. Il faut prier, il faut demander l'intelligence, il ne faut pas regarder si l'on a affaire à tel ou tel. Dès que l'on aperçoit quelque chose de bon, tellement enterré ou enfoui que cela soit, quand même cela ne s'apercevrait qu'à grand peine, il faut le mettre en lumière, il faut le cultiver. Par ce moyen là, nous nous attacherons nos élèves, nous gouvernerons leurs âmes, par ce moyen-là seulement nous pourrons les saisir.

“Les Frères seront employés au service de la maison dans les travaux manuels” (Const., Art. XIV:1; p. 50).

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai déjà dit maintes fois du travail manuel. Nous autres Oblats, nous professons pour le travail manuel un culte tout particulier. Nous le regardons comme une chose sainte, sainte comme la prière et comme l'eau bénite, quand il est fait en union avec Notre-Seigneur: notre main travaille avec sa main, nos yeux s'appliquent avec ses yeux, nos sueurs se mêlent à ses sueurs. Il faut bien comprendre la sainteté du travail. Dans les vieux ordres religieux, le travail manuel unissait singulièrement à Notre-Seigneur.

J'ai connu un vieux Père Jésuite bien original, le Père Cotel; il est mort depuis longtemps. Avant de vous dire son sentiment sur la question dont nous parlons, je vais vous dire une de ses originalités.

Je le rencontre sur le bord du Canal:  “Il paraît que le P. Louis Chappuis est ici”, me dit-il. “Oh! le drôle d'homme. Je l'ai eu comme maître des novices. Il nous rudoyait, il nous frappait”.
— “Vous devez, lui dis-je, lui en être bien reconnaissant ”.
— ”Oui, oui, oui!”
— “Vous allez l'aller voir?”
— “Oh! pour cela, non!”
Puis il m'interpelle à son tour:  “Il parait que vous fondez un Institut religieux?”
— “Oui”.
— “Vous y aurez des Frères Coadjuteurs?”
— “Oui”.
— “Ah! vous aurez des Coadjuteurs. Je voudrais bien voir ce que vous en ferez de vos Coadjuteurs”.
— “Mais avec la grâce de Dieu?”
— “Oui, oui, avec la grâce de Dieu, vous en ferez ou des saints ou des gredins”.

Voilà le mot final. Il faut que nos Frères soient des gens de cœur ou des propres à rien, des saints ou des gredins. Les Pères peuvent encore garder un certain milieu; il faut que les Frères aillent à l'extrême, d'un côté ou de l'autre.