Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La sanctification personnelle

Chapitre du 5 décembre 1888

Je reviens bien souvent sur les mêmes pensées; je crois que je dis toujours les mêmes choses; mais c'est que ces choses sont vraiment nécessaires en ce temps-ci. Il faut bien nous entendre tous. S'entendre, c'est quelque chose. Notre Seigneur a dit que quand deux ou trois personnes s'entendraient ensemble, de quelque chose que ce soit, excepté sans aucun doute de choses mauvaises, il serait au milieu d'elles. Entendons-nous bien tous sur ce point: nous ne ferons le bien que par notre sanctification personnelle. Le résultat de notre zèle et de notre ministère tient essentiellement à la pratique des Constitutions et du Directoire surtout. Je dis surtout, parce que la pratique du Directoire est plus habituelle, plus continuelle, parce que le Directoire est comme la charpente, le corps de notre vie religieuse.

Je vous dis cela parce que je vois le mal se développer dans le monde d'une façon extraordinaire. Une jeune fille des Tauxelles se préparait à recevoir le baptême; puis voilà qu'elle change tout à coup et écrit à son tuteur une lettre qui montre jusqu'où s'étend l'influence des francs-maçons. Ce n'est pas un hors-d'oeuvre, ce que je vous dis là; il est nécessaire que nous voyions bien le mal, afin de bien travailler tous dans le même sens et d'une façon qui soit efficace. Cette jeune fille a seize ans. “J'ai le plaisir de t'apprendre, écrit-elle à son oncle, qui est en même temps son tuteur, que l'on m'a donné ma quinzaine dans la fabrique où je travaille. Un surveillant m'a ennuyée, je l'ai insulté, et j'en suis très contente. Au moins j'ai montré du caractère. Dans trois mois, j'aurai seize ans et demi. Je n'ai donc plus que trois mois à être libre, et j'entends jouir de ma liberté. Je pense que tu n'as pas oublié la promesse que t'a fait faire mon père, et que tu as juré sur son lit de mort d'accomplir. Je te la rappellerais si tu l'avais oubliée. «Albert, t'a-t-il dit, je te confie ma fille; tu sais qu'elle n'a pas longtemps à t'appartenir et qu'à seize ans et demi elle doit entrer dans... Ne la contrarie pas jusque-là et laisse-la faire ce qu'elle voudra». Je ne pense pas que tu sois assez lâche pour oublier le serment que tu as fait à mon père. Du reste tu sais aussi ce que mon père m'a donné en mourant, cette petite fiole de poison que je garde précieusement, et dont il ne me faudrait que deux ou trois gouttes pour me faire mourir. Il m'a recommandé de recourir à ce moyen-là si l'on voulait me rendre malheureuse ou me placer dans une maison religieuse”. Voilà l'éducation maçonnique. Que faire à cela? Chercher à convertir ces gens-là? On perdra son temps le plus souvent.

Dans les écoles de petites filles, on donne maintenant l'éducation maçonnique. Les francs-maçons sont décidément les maîtres. Nos Pères sentent très bien cela à Pella. Le seul moyen de combattre, c'est la sainteté. Essaierons-nous des œuvres? Les œuvres sont toutes excellentes; la bonne prédication est excellente; l'apostolat, le zèle ne sauraient être trop loués. Il faut faire tout cela, mais cela tout seul, à quoi cela mènera-t-il? Donnez de bons journaux à cette jeune fille. Qu'est-ce que cela lui fera? La sainteté, la grâce de Dieu toutes seules rendront efficaces l'ouvrage de nos mains, la parole de nos lèvres, notre prière même, et aidera plus que tout le reste au retour de ces pauvres âmes.

La bonne Mère avait une très grande dévotion à ces paroles de la sainte Ecriture: “Fais-moi connaître, Yahvé, tes voies” (Ps 25:4), surtout pendant ce temps de l'Avent. L'Avent est un temps, non seulement de plus grand recueillement, de plus grande union à Dieu, mais c'est aussi le temps des désirs, des vœux, des communions spirituelles. Il faut communier spirituellement souvent à la venue du Messie en nous, à l'avènement de Notre-Seigneur dans nos cœurs. Il ne faut pas communier seulement au saint Sacrifice de la Messe, mais communier de désir à tout instant, demander à Notre-Seigneur de venir dans nos âmes, d'être de nouveau le Sauveur d'Israël. Pour obtenir notre demande, pour que notre prière soit efficace, il faut nous sanctifier nous-mêmes, il faut faire notre Avent par une prière plus habituelle et plus fervente, par un désir plus ardent de l'avènement de Dieu et de son règne dans nos âmes.

Faites bien cette prière du Pater: “Que ton Règne vienne” (Mt 6:10). Que le règne de Dieu vienne en nous, afin que de nous il passe aux autres. C'est là l'ordre de la Providence en général. Comment donnera-t-on aux autres la sainteté, si on ne la possède pas soi-même? Voilà le but auquel il faut viser et non ailleurs. Qu'on dise bien cela et qu'on l'écrive à tous nos Pères. De la sorte, nous ferons contrepoids à l'acte diabolique qui s'étend de plus en plus dans le monde. Qu'est-ce qui pourra le surmonter? Si nous voulons jouer au plus fin avec le diable, il sera le plus fin. C'est lui qui actuellement a tout l'argent, toute la force et la puissance, c'est lui qui est le maître de la terre et qui tient les pouvoirs publics entre ses mains, il n'y a pas à se faire d'illusion.

Tout cela se résume dans Pauline, la jeune fille à la lettre de tout à l'heure. Pauline est aux dernières limites de la société, dans les bas-fonds qui se remuent à certains moments. Puis l'écume monte et couvre tout. Pour réagir, il n'est pas besoin de faire de la politique, de lire des journaux. Il suffit de se sanctifier, d'aller devant soi, faisant ce qu'a fait Notre-Seigneur; de cultiver le champ qu'il nous a confié, en apportant bien notre dévouement, notre charité, en nous mettant à l'œuvre de tout notre cœur et de toute notre générosité. Encore une fois, ce que je viens de dire est loin d'être inutile. C'est le défi que je vous donne pour l'Avent.

“On ne recevra dans la Congrégation que ceux qui ont au moins atteint l'âge de seize ans et qui témoignent un grand désir de la perfection chrétienne” (Const., Art. III:1; p. 4).

Cela ne veut pas dire qu'on puisse faire ses vœux à 16 ans; mais à cet âge on peut être admis au Noviciat.

“Ce que le postulant devra fournir pour son entretien, sera fixé selon les besoins de la maison et l'aide que le postulant peut lui apporter” (Const., Art. III:2; p. 5).

Le Droit Canon n'admet pas qu'on puisse recevoir quelqu'un qui n'apporte rien en dot, soit en talents, soit en ressources. Ceux qui n'apportent pas d'argent doivent apporter en travail, en dévouement, en talents, de quoi suppléer à ce qu'ils ne donnent pas. S'ils sont Frères , en travaillant des mains; s'ils sont Pères, en rendant service et procurant par leur travail des ressources à la maison. Selon les besoins de la maison, disent les Constitutions, car si la maison est riche, elle peut faire la gracieuseté de demander moins pour l'entretien. Les postulants doivent en conscience faire tout ce qu'ils peuvent pour ne pas être à charge pour leur entretien et leur nourriture, et indemniser la maison des frais qu'elle fait à leur endroit.

Quand on travaille dans cet esprit-là, on devient un bon et saint religieux. Chez les hommes du reste cela se voit plus facilement que chez les femmes. Il est plus difficile à la femme de gagner. La femme s'occupe plus ordinairement des soins du ménage, de l'arrangement; son travail est moins apparent; et elle comprend difficilement qu'elle puisse apporter autre chose que sa personne. Pourtant quand elle vient d'une maison bien ordonnée, où il y a de l'aisance et de la richesse, elle le comprend plus volontiers. J'ai connu à la Visitation une jeune fille noble, qui avait apporté une riche dot et qui s'arrangeait de façon à faire toujours la vaisselle de la maison. Celle qui est de bonne maison, qui a été bien élevée et qui a une vraie vocation, s'adonne volontiers aux travaux manuels les plus pénibles, c'est une chose remarquable.

“Le postulant suivra quelque temps comme étranger les différents exercices de la maison, et quand le supérieur jugera qu’il en est temps, c’est-à-dire, après deux ou trois mois de probation, il lui fera faire la demande de son entrée au supérieur général” (Const:, Art. III:3; p. 5).

Voilà donc la première condition du noviciat: l'âge. La seconde, c'est qu'en entrant le postulant fournisse, ou en argent, ou par son travail, de quoi payer sa pension. “Le postulant suivra quelque temps...” Ce “quelque temps”, c'est quelquefois, huit jours, quelquefois plus; après quoi le postulant est admis aux exercices du noviciat, c'est la probation. A la Visitation on n'est admis à suivre les exercices du noviciat qu'après deux mois de probation en général, et cela ne va pas au-delà de trois mois.

“Le Noviciat durera une année entière, selon la Règle du Saint-Concile de Trente et des Constitutions ... Apostoliques; il ne pourra jamais être abrégé pour quelque raison que ce soit, et il ne pourra se prolonger que pour de graves raisons, dont le Supérieur et le Conseil seront juges; toutefois cette prolongation ne pourra pas excéder six mois” (Const., Art. III:6; p. 6-7).

La raison de cette limite donnée à la durée du noviciat est précisément d'empêcher la Congrégation d'être trop grevée de la charge de membres non actifs et ne lui rendant pas service. On pourrait faire durer plus longtemps cette préparation comme celle des séminaires. Mais le Droit Canon veut que les novices, voyant qu'ils n'ont devant eux qu'un temps limité, se hâtent d'arriver au degré de perfection exigé des profès et puissent ainsi rendre immédiatement service à la Congrégation et la seconder, soit en professant, soit dans l'exercice du saint ministère, soit, s'ils sont Frères, par leurs travaux manuels.

Il faut que tous nous ayons bien cela à cœur. Je n'ai jamais vu une seule âme qui fût sainte religieuse et qui n'eût cet attrait à un grand degré, l'attrait d'aider la communauté, d'être utile, de travailler à son profit. Si cette pensée ne nous est pas encore venue ou si nous nous en sommes laissés distraire, si nous n'y avons pas assez réfléchi, mettons-nous-y tout de suite et de grand cœur.

“Avant l'admission à l'habit et avant l'admission à la profession, les postulants devront suivre des exercices spirituels pendant dix jours” (Const., Art. III:7; p. 7).

On peut partager ces dix jours en deux, suivant l'avis du maître des novices et du supérieur général, quand on juge que ces dix jours consécutifs seraient trop pénibles. Les uns se reposent pendant la retraite et d'autres agonisent. Cette dernière catégorie aurait trop à souffrir de dix jours de retraite consécutifs. On peut alors partager la retraite en deux, pourvu que les deux parties ne soient pas à des intervalles trop grands. Cette explication que je donne à la Constitution est tout à fait suivant la pensée de saint François de Sales, c'est ainsi qu'il arrangeait les choses.

Mais il faut qu'il y ait une connexion morale entre les deux fragments de la retraite. Redites bien pendant ce temps de l'Avent la prière qu'aimait à faire la bonne Mère. “Fais-moi connaître, Yahvé, tes voies, enseigne-moi tes sentiers” (Ps 25:4). Ce sera bien que ceux qui disent l'office relisent le trait qui suit la première leçon du premier dimanche de l'Avent. Ce répons est bien pieux, bien bon et vraiment magnifique. Je crois qu'on peut bien faire son oraison pendant l'Avent sur ce répons-là.