Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Notre unique lien 

Chapitre du 26 octobre 1887

“Nous n'avons aucun lien que le lien de la dilection, qui est le lien de la perfection: car la dilection est forte comme la mort, et le zèle d’amour ferme comme l’enfer. Comme donc pourrait-on avoir des liens plus forts que les liens de la dilection, qui est le lien de la perfection? La charité de Jésus-Christ nous presse (2 Co 5:14” (Dir., Souhaits, p. 10-11). 

Le lien de la charité, avec Dieu d'abord. Il faut que tout soit fait d’abord par Dieu et avec Dieu. Faisons profession de ne rien faire par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Ne faisons rien par nous, mais recourons en toute chose à Dieu, nous confiant en son aide pour tout. Ce doit être là la base de chaque religieux en particulier, et la base de toute la congrégation: suivre le Sauveur pas à pas, ne pas nous mettre en avant, et cela dans les moindres détails, le professeur dans sa classe, le frère qui s'applique à des travaux manuels. Il ne faut jamais nous fier en nous-mêmes. Ce n’est pas à dire qu'il faille rejeter absolument ce qui vient de l'homme, non, mais le Directoire veut que l'homme ne vienne qu'après Dieu, n'agisse que par le moyen de Dieu; nous faisons alors ces choses humaines d'autant mieux, nos forces sont centuplées. Notre-Seigneur promet le centuple à qui abandonne les biens de la terre pour lui; mais ne donnera-t-il pas aussi le centuple à qui abandonne ces biens propres et intimes de la liberté, de la volonté? Ayons cette certitude que toutes les fois que nous agirons par Dieu, tout sera meilleur, plus parfait, plus complet, et réussira mieux. Il faut qu'il nous soit impossible d'agir autrement que par Dieu; tout ce que nous ferons en dehors de là croulera, que ce soit des châteaux de cartes, ou que ce soit quelque superbe palais; il est impossible que ce qui est humain subsiste, cela ne s'est pas encore fait, et ne se fera pas. Que chacun dans son emploi réclame donc le secours de Dieu, et il ne sera pas seul pour travailler. Que tout ensuite soit fait pour Dieu. Ne cherchons pas notre intérêt propre, notre satisfaction ou même celle d'autrui, cela ne suffirait pas, agissons pour Dieu. Qu'il soit le but de tous nos efforts, de toutes nos vertus. Faisons tout pour Dieu et en vue de Dieu. En toute action, purifions bien notre intention. S'il se trouve quelque satisfaction en ce que nous faisons, prenons garde, le bon Dieu est extrêmement délicat. Alors c'est une raison de mieux purifier encore notre intention, ou de nous imposer une pénitence, si nous avons agi pour nous sans songer à Dieu. Accordez-vous quelque chose si vous le voulez, vous paierez cent fois plus cher. Si de la sorte vous  vous procurez une jouissance de deux sous, vous aurez par après de la peine pour l'équivalent de cent francs. Il vaut mieux, le cas échéant, se hâter de payer d'avance la valeur des deux sous.

Le lien de la charité, en second lieu, avec le prochain. “Je vous donne un commandement nouveau”, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, “vous aimer les uns les autres” (Jn 13:34). Aimons notre prochain, non pas comme on l'aimait avant Notre-Seigneur, d'une manière vague, mais comme on doit l'aimer dans la loi nouvelle. Notre-Seigneur a élevé notre charité envers le prochain au même niveau que la charité envers Dieu. C'est un commandement pareil. Notre-Seigneur l'affirme. Voilà la cause de la grande révolution qu'a amenée le christianisme dans le monde, voilà une base sociale nouvelle pour le temps et l'éternité. Il y a plus: le “commandement nouveau”, c'est son commandement. Il y tient plus qu'à un autre, plus, semble-t-il, qu'à l'amour de Dieu. Son commandement comme Dieu, c'est l'amour de Dieu. Oui, mais comme homme, c'est l'amour du prochain, “mon commandement”. Le moindre petit acte de charité pour le prochain est meilleur à ses yeux que ce qui est fait directement pour Dieu, il est plus excellent, il est plus méritoire. Allez au fond de cette doctrine, voyez ce qu'enseignent les Saints-Pères, ce que disent les commentateurs. C'est une chose sans doute plus sainte de communier que de donner un sou aux pauvres. Est-ce plus méritoire? Non, si vous avez fait l'aumône, pour Notre-Seigneur Jésus-Christ. En quelque façon, même votre aumône sera plus agréable à Dieu que votre communion. Bien entendu, je fais toutes les réserves possibles. Il n'y a pas d’acte en soi plus grand que la communion. Mais je parle du mérite personnel. Par la charité envers le prochain, nous entrerons plus dans l'intention du Sauveur, nous ferons plus ce qui est son affaire à lui. Il est Rédempteur et Seigneur, nous travaillons à son œuvre, il nous en est reconnaissant et nous doit quelque chose en retour.

Que dit le souverain juge au dernier jour? “Venez, les bénis de mon Père” (Mt 25:34). Est-ce parce que vous avez communié, prié? Non. Ce n'est pas ce qui vient en première ligne. Parce que vous avez pratiqué la charité envers vos frères. Voilà la pensée même de saint François de Sales. Il voulait fonder un ordre nouveau, basé sur la charité envers le prochain. C'eût été le fondement. Prenons son idée, faisons ce qui est la spécialité de Notre-Seigneur, ce qui lui touche le plus le cœur, ce qui est la vraie doctrine de l'Evangile. Que ce soit notre grande doctrine à nous. Voyez la bonne Mère Marie de Sales. Dans toute sa vie, il n'y a jamais eu une parole, ni quoi que ce soit, contraire à la charité. Elle semblait encore plus parfaite dans sa charité envers le prochain que dans sa charité envers Dieu. Voilà pourquoi le Sauveur l'a tant aimée. Je le répète et l'affirme, la charité envers le prochain tient plus au cœur du Sauveur que la charité envers Dieu lui-même. Nous y penserons dans nos oraisons, dans nos examens de conscience. Qui est notre prochain? Tous les hommes. Les petits enfants sont notre prochain. Le professeur dans sa classe, ceux qui ont la charge de diriger les jeunes gens, les petits frères, s’appliqueront à exercer cette vertu dans leurs emplois. Ce ne sera pas une charité emmiellée, mais vraie. Faisons nos communions pour demander au Sauveur la grâce, la lumière. Et puis agissons en conséquence de ce que nous recevrons. Je tiens essentiellement à ce que j’ai dit ce matin. Il faut rédiger cela, l’envoyer à nos pères, et qu'on le relise souvent, peut-être tous les mois.