Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La conduite des écoles

Chapitre du 12 octobre 1887

Nous commençons une nouvelle année, il faut commencer tout à nouveau. Notre communauté est plus nombreuse. Il faut que chacun de nous vive dans l'esprit et dans la Règle de la communauté. La condition absolue de notre vie comme communauté, c'est que le même esprit religieux soit en nous. Et tout ce que nous avons à faire le réclame impérieusement. Le succès de nos œuvres, de nos collèges, même au simple point de vue littéraire, tient entièrement à cela. Il faut que nous soyons unis: seuls nous ne pouvons rien. Au simple point de vue humain, c'est une force énorme quand tous les membres d'une communauté agissent dans le même sens, dans le même esprit, vers le même but. Si, vivant en communauté, nous agissons comme de simples particuliers, nous n'opérerons pas tant que nous aurions fait en particulier. Nous n'arriverons à rien. La volonté où il n'y a pas la concorde, n'aboutit à aucun résultat. Pratiquons l'observance, le Directoire. C'est le Directoire que nous expliquerons cette année. Il faudra bien nous en pénétrer, car c'est grâce à lui que nous trouverons en nous le fonds nécessaire pour résister aux traverses, aux tentations, à la lassitude.

Aujourd'hui il faut poser la base essentielle de la vie religieuse. Que tout le monde d’abord aille en salle de communauté. Excepté ceux qui obtiendront une permission particulière, en raison de leur âge, de leur santé ou de leurs travaux, que tout le monde aille travailler en salle de communauté. Ceux qui auront à faire valoir quelqu'une des raisons que je viens de dire, demanderont la dispense, qui leur sera accordée. Cette règle est un peu sévère; mais tant que nous ne serons pas outillés pour demeurer dans nos cellules, et surtout tant que nous n'aurons pas un nombre assez grand de cellules et que nous ne pourrons pas fournir à chacune à l'installation du chauffage et de 1’éclairage, nous nous en tiendrons au régime de la salle de communauté. On pourra peut-être faire autrement plus tard.

Ce sera un renoncement à faire, mais il sera d’autant plus méritoire qu'il coûtera davantage. Nous n'avons pas de jeûnes, d'austérités, de mortifications. Ce sera là notre mortification, être en salle de communauté. Je suis bien fatigué, je ne serai pas libre de me détendre comme j'en ai besoin. Je fais appel à ceux dont les forces physiques pourront supporter ces fatigues, ils souffriront pour les autres, ils se sacrifieront pour les autres. Nous mangeons en commun, il faut aussi que nous travaillions en commun. Je voudrais bien pouvoir vous faire comprendre cela, savoir ce que nous sommes, de quoi nous sommes pétris. Il nous est absolument nécessaire de vivre dans la gêne, sous le joug, de n'être pas libres. Le jour où nous ne sentons pas de gêne, où nous nous trouvons complètement libres, est un jour malheureux et où nous sommes seuls. Je comprends bien cela, et cela est entièrement et absolument vrai pour moi.

Il est ridicule de parler de soi, mais j'en veux dire un mot tout de même. Je veux dire que je ne sais pas si je me suis senti libre dans ma vie plusieurs heures de suite. Je bénis le bon Dieu de ces liens. Sans ces liens, on ne sait pas ce qu'on serait devenu: “Il est bon pour l’homme de porter le joug dès sa jeunesse”(Lm 3:27). On n'est homme, on n'est chrétien, à plus forte raison on n'est religieux que quand on est sous la dépendance de la souffrance. Je ne puis pas vous prêcher autre chose. Continuellement je bénis le bon Dieu de cette gêne, de cette surcharge, de ces oppositions qu'il m'envoie. Tout ce que j'ai fait, je le dois à cela: c'est l'élément essentiel de toutes nos œuvres. Pénétrez-vous bien de cette doctrine. Que ce soit là votre philosophie. Prenez sur vous de supporter avec courage tout cela: “Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes” (Mt 11:29). Donc si la Règle extérieure vous impose quelque chose de pénible, pourvu que cela ne détruise pas votre santé, vos forces, soumettez-vous-y généreusement. Ce n'est que par 1’assujettissement que nous vaudrons et que nous ferons quelque chose. Sans assujettissement nous serons des êtres nuls; assujettis, nous rendrons service à l'Eglise et nous ferons la gloire de Dieu. C'est la doctrine des saints, c'est celle de l’Évangile.

Cela étant posé et bien compris, entrons résolument dans la voie qui nous est tracée. Parlons des études. Les professeurs devront pour les études suivre strictement le programme. Pourquoi est-ce que je parle de cela en chapitre? Parce qu'au chapitre nous parlons de la Règle et des vœux, et que ce que je réclame ici est l’accomplissement du vœu d'obéissance, est l'application pratique de la Règle. Qu'on suive donc strictement le programme, sans rien ajouter, sans rien diminuer. Il faut qu'il y ait dans tous les collèges de la congrégation l’unité pour les études. Il faut que je puisse, moi supérieur, ou à mon défaut celui que j'en chargerai, me rendre compte de la situation exacte de chacun de nos collèges.

Les concours seront faits régulièrement. Tous les élèves devront y prendre part. Que nos pères fassent adopter l'idée de ces concours, qu'ils s'y mettent de tout cœur et y fassent mettre leurs élèves, par esprit religieux. Qu'on soit fidèle aussi aux examens de chaque mois. Mettons-nous bien à la pratique de toutes ces mesures. Nous réussirons, nous aurons grâce pour cela. Chaque collège aussi fera imprimer son annuaire. On me tiendra au courant de la façon dont s'observe la discipline, dont marchent les études. Chaque professeur veillera au maintien de la discipline dans sa classe, il tiendra un compte exact des notes des élèves.

Autant que possible les professeurs religieux devront se charger des répétitions à donner dans chaque classe. Nous avons de lourdes charges. Les lycées avec toutes leurs subventions ne font pas leurs frais. Ils viennent d'augmenter leurs prix. Nous tâchons d'avoir tous à cœur les intérêts de la maison. Gagnons de l'argent pour subvenir aux frais si considérables qui nous grèvent. Nous sommes tous frères. Appliquons-nous à bien conserver et à augmenter le bien commun. Dévouons-nous à donner des répétitions, pour accroître les ressources. C’est un grand travail sans doute, et fatigant. Votre vie religieuse sera d'autant plus profitable que vous vous dévouerez davantage. C'est une bonne chose du reste que le travail continu; le diable n'a point prise sur le religieux qui travaille sans cesse.

Il est recommandé aux professeurs de s'entr'aider, quand il en est besoin, avec la permission, bien entendu, en toute charité et simplicité. Ne le faites pas parce que tel religieux est votre ami, mais faites-le parce qu’il est votre frère, et faites-le pour tous vos frères. Voilà une promenade que quelqu'un ne peut pas faire. Il vous prie de le remplacer. Faites-le avec la permission du directeur, bien que ce soit une surcharge, en toute cordialité et charité. Comprenez bien ma pensée. Il ne faut rien exagérer, mais faire tout “en obéissant à la charité” (Cf. 1 P 1:22). Pour les cas imprévus, que les professeurs se tiennent à la disposition du directeur et du préfet de discipline. Il ne faut jamais dire nenni, mais il faut vous prêter à tout ce qu'on demande. Que chaque jour les surveillants remettent les cahiers de correspondance. C'est par ce cahier que le préfet de discipline fait connaître les changements qui peuvent survenir. Que les surveillants d'études marquent leurs notes sur un cahier spécial. De même les surveillants de dortoirs, les surveillants de récréations, de promenades. Je défends qu'on mette des élèves à la porte de l'étude ou de la classe. Cela peut être une cause non seulement de graves indisciplines, mais même d'immoralité. Rappelons-nous qu’on est bien perverti en général maintenant. Autrefois, un surveillant à distance pouvait suffire. Il n’en est plus de même aujourd'hui. A l'heure qu'il est un procès commence au palais de l'Elysée, qui va finir dans les plus bas-fonds, dans les maisons publiques, dans la démoralisation la plus profonde. Voilà les gens qui sont à notre tête, ceux qui donnent l’exemple au monde! Tout cela a une influence terrible sur le monde, sur la jeunesse surtout. Les journaux racontent cela en détail, les enfants, les jeunes gens lisent, commentent, imitent, et les mœurs s'en vont, et la foi.

Venons maintenant aux rapports avec les élèves. Inspirons aux élèves le respect de leurs maîtres. Qu'ils n'aient pas l'esprit collégien, qu'ils estiment tous leurs maîtres, que ce soit comme dans une famille bien élevée. Qu'il y ait de la bonne entente entre les maîtres, que la direction des études soit la même, que tout le monde se soutienne, et le résultat nécessaire sera le respect de l'autorité. Quand vous aurez une permission extraordinaire à demander, comme celle de vous absenter, adressez-vous toujours au directeur de la maison avant de recourir au supérieur. Cela préviendra beaucoup de malentendus et d'embarras. Vous éviterez ainsi souvent au Directeur une surprise, quelquefois même une impossibilité, ou un dérangement considérable.

La bibliothèque de collège, c’est quelque chose de très précieux. Si elle n'est pas surveillée, une bibliothèque de 100.000 francs peut, au bout de l'année, ne pas valoir 5.000 francs, si honnêtes gens que soient ceux qui en font usage. Les trois-quarts des livres ne seront pas rentrés, ils seront égarés, les ouvrages seront dépareillés, incomplets. Qu’est-ce que cela vaudra? Plus rien. C'est une chose extrêmement importante qu'une bibliothèque. Le père Lambey est chargé de la bibliothèque de Saint-Bernard. Il aura pour assesseur le père Latour. Le règlement spécial sera affiché à la bibliothèque, et on voudra bien s’y conformer.

Il est dangereux à un autre point de vue de laisser tout le monde pénétrer dans une bibliothèque où sont nécessairement des ouvrages qu’on ne peut laisser en toutes mains. On a beau avoir un enfer. C'est l'histoire de Lamennais enfant dans la bibliothèque de son oncle. Le paradis était séparé de l'enfer par une cloison. On mettait l’enfant dans le paradis, mais il passait par dessus la cloison et passait ses journées en enfer. C'est la lecture des mauvais livres qui a perdu Lamennais, qui l'a gâté tout enfant et a infiltré dans son âme le venin qui l'a fait périr plus tard, l'immoralité.