Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Préparation intérieure à la retraite

Chapitre du 18 août 1887

Il était à propos de nous réunir tous et d'avoir quelques Chapitres avant la retraite, afin que chacun se prépare à cette retraite et y apporte les dispositions nécessaires.

Tout secours vient d'en haut et surtout les secours nécessaires à la retraite. Donc prière, fidélité à l'observance, c'est là que nous trouverons le moyen d'obtenir ces secours. Quoique vous soyez en vacances, et que par suite les exercices extérieurs n'aient pas toute la régularité ordinaire, je vous engage bien à vous renouveler en toute ferveur dans la pratique du Directoire, afin d’entrer en retraite avec les dispositions voulues pour qu'elle vous soit profitable. Si la retraite est nécessaire à tout le monde, elle l'est bien davantage à nous, puisque nous avons tant besoin de nous sanctifier. L'Eglise, dans les circonstances où nous sommes, a tant besoin de saintes âmes. C'est en vain qu'on travaille, qu'on édifie, qu'on bâtit. Si l'on ne fait pas tout cela avec Notre-Seigneur on ne fait rien. Notre existence à nous, les derniers et les plus misérables de tous, dépend de cette union à Notre-Seigneur. Nous ne pouvons produire rien par nous-mêmes, il faut donc demander à Dieu une fidélité extrême, afin que notre œuvre ne périsse pas, mais qu'elle se fonde et se répande. Ces choses qui nous ont été données ne nous appartiennent pas. C'est le talent confié, il ne faut pas le cacher dans le mouchoir, l'enterrer dans le jardin, il faut le faire valoir. Il est nécessaire de nous mettre en mesure de ce côté-là. Nous sommes des hommes de prière, nous dépendons de la volonté de Dieu, nous devons vivre dans 1'union à Dieu. Ne l'oublions pas, nous ne valons que par là. Toutes nos œuvres doivent être pesées au poids du sanctuaire. Quand Dieu jugera, il ne mettra pas d'autre poids. Chacun a à rendre comptes, a une certaine dose de responsabilité. Nous ne pouvons satisfaire à la justice divine qu’en mettant en œuvre les moyens qui nous ont été donnés. Nous allons donc ces jours-ci, avec la protection de la sainte Vierge, dont nous célébrons l'octave, nous renouveler. Nous ne sommes saisissables pour Dieu et pour l'Eglise que par ce moyen-là. Que chacun s'en fasse donc une grande loi, une grande loi de pratiquer son Directoire. Que chacun s'applique bien à ces exercices du Directoire, comme dit notre saint Fondateur, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à l'amour de complaisance, à recevoir tout ce qui surviendra d’humiliant, de pénible, avec action de grâces à Dieu, en obéissant toujours de jugement et de cœur, en fermant les yeux et disant sans cesse: “Que ce soit ta volonté qui se fasse” (Lc 22:42), et en faisant toutes ces choses avec complaisance à la volonté de Dieu. Que chacun s'examine s'il en est arrivé là sur ces deux points de la patience et de l'obéissance.

Quand nous en serons arrivés là, nous pourrons ne plus nous préoccuper de suivre un à un les exercices du Directoire. Jusque-là, donnons-lui tous nos soins. Nos dispositions étant telles, nous ferons bien toutes choses, notre âme sera dans la bonne voie, dans la voie de la perfection. Confessez-vous bien d'avoir manqué au Directoire, comme vous vous confessez d'avoir manqué à vos autres obligations, et confessez-vous-en comme de fautes sérieuses.  Vous savez comment, en théologie, on envisage cette question. Il y a péché quand le manquement aux règles, au Directoire, provient de la négligence, de l’amour-propre. Ici les discussions théologiques n'ont rien à faire. Nous sommes les enfants du bon Dieu, de la bonne Mère Marie de Sales et nous devons faire exactement ce qu'ils nous disent de faire. Quand nous aurons manqué à cela, nous nous en confesserons et nous nous imposerons une pénitence. C'est là pour nous tout. Les bénédictions, les grâces suivent nécessairement la pratique du Directoire. Il sera pour nous une force invincible que rien ne surmontera, dans la tentation, dans l'épreuve. Si nous ne pratiquons pas le Directoire, nous sommes des girouettes qui tournons à tout vent de nos opinions et de nos passions. Préparons-nous donc à la retraite, en pratiquant le Directoire très fidèlement, très exactement.

Encore une fois, voyez les avantages que nous avons à faire bien tout cela. C'est un principe chez les Bénédictins que: “Pas de moine là où il n’y a plus de monastère”. Pour nous, le “moine” ne verra jamais à manquer. Nous portons notre monastère avec nous. L'Oblat porte tout avec lui, ses obligations, ses règles, son couvent, son église, son autel, son tabernacle. Voilà pourquoi il est fort, pourquoi il peut faire quelque chose.

Qu'on ne s'avise pas de regarder les pratiques du Directoire comme des pratiques de piété. Pas du tout. L’oraison, la direction d'intention, la messe, le bréviaire, ce ne sont pas des exercices de piété, tout est voulu par la Règle. C'est ce qui nous constitue. Ce n'est pas quelque chose de général, de vague. C'est extrêmement grave au point de vue religieux, c’est l'acquiescement à la volonté de Dieu, c'est l'obéissance. C'est un acte qui mérite le paradis ou l'enfer, c'est un acte bon si nous nous soumettons, mauvais si nous ne le voulons pas. Nous ne comprenons pas bien cela. Notre éducation a été faite vaille que vaille. L'esprit d'indépendance, de fausse liberté, nous a circonvenus de bonne heure. Prenons-y garde, le salut d'un chacun de la congrégation, du monde entier est attaché à cela.

Quand Notre-Seigneur expirait, quelle était la grande vérité? Sa vie, son action sur le monde, et pourtant il mourait. Qui sait si saint Jean n'était pas tenté dans sa foi? Comment ce grand  fait était-il accepté par le monde? La sainte Vierge et sainte Madeleine seules peut-être y croyaient. La congrégation est acceptée par le Saint-Siège. Elle va l'être officiellement dans un temps prochain, j'en ai l'assurance. Cela va donc devenir pour nous comme un dogme de foi. Votre devoir sera parallèle. Croyez à notre congrégation comme vous croyez aux grandes vérités. Mettez-les sur le même pied. Voilà la vérité toute entière, prenez-la comme elle est. Elle est ou elle n'est pas. Voilà à quoi vous devez vous préparer: voilà les dispositions dans lesquelles vous devez faire votre retraite. Ne marchez pas humainement, ni dans vos idées, ni dans vos jugements. Ce ne serait pas la peine d'être religieux! N'affadissez rien, pas d’atermoiement. Suivez, marchez dans le chemin qui vous est montré.

Nous allons bien nous mettre à ces deux choses : l'acquiescement à la volonté de Dieu dans le moment présent et l'acquiescement à l’obéissance. C'est là notre affaire à nous. Ce n'est pas si facile que cela d'être Oblat. La Règle demande à l'Oblat ce qu'elle ne demande à aucun autre religieux. La base qu'on pose est tout, le reste est peu, et vous êtes la base.

Il ne faut pas abuser des comparaisons. Prenez pourtant la machine à vapeur, la chaudière. S'il n'y a pas de feu, il n'y a rien. Or le feu ne paraît pas, le feu semble n’être rien dans la machine. Le feu et l'eau passent inaperçus: l'attirail est bien autre chose. Et pourtant retranchez la vapeur, vous arrêtez tout. Vous êtes la vapeur. Qu'on accroche à la machine des wagons en plus ou moins grand nombre. Qu’on vous envoie à Pella ou à Springbock ou à Rio-Bamba, peu importe. Nous avons bien à bénir le bon Dieu de nous avoir adjoint le père Simon qui est un vrai religieux, qui est d'une obéissance absolue et qui fait des merveilles là-bas. J'ai envoyé le père Fromentin à Springbock. Il n'avait presque pas fait de noviciat: c'était difficile, il fallait faire la classe. Arrivé là, il ne trouve rien à faire. Le père Simon survient, lui fait faire son petit noviciat, le remet en bon chemin, fait avec lui une bonne retraite. Il ouvre une école, il pensait n'avoir personne, au bout de trois semaines, il avait 38 élèves. Les sœurs me disent la même chose. Quand nous faisons bien notre noviciat, que nous expliquons bien le Directoire, nous faisons bien, tout va comme par enchantement.

C'est là notre affaire. Tout ce que nous ferons bien dans ce sens: prédications, collèges, missions, œuvres, tout ira bien. Je déclare devant le bon Dieu que je n'ai aucune confiance en aucun moyen, ni en quoi que ce soit, en dehors de là. Et surtout je n'ai aucune confiance en moi en particulier. Mettons-nous en retraite en ces dispositions et nous ferons une très bonne retraite. Ne sortons pas de là. Je désire que tout le monde partage ce sentiment, parce que c'est la vérité. Nous ne pouvons pas agir en dehors de ce qu'on appelle maintenant le surnaturel. C’est ridicule de le dire, mais c’est à nous notre naturel, notre vie: nous sommes les enfants du bon Dieu. Nous sommes des religieux vivant du surnaturel (pour parler le langage du monde), et exclusivement du surnaturel. Si nos forces naturelles ne suffisent pas, le bon Dieu mettra ce qu'il faudra. C’est dur à dire cela. C'est l’œuvre qui démontre l'ouvrier. Faisons bien notre examen et rappelons-nous bien que tous les jugements portés en dehors de ce principe tombent à faux. Je tiens à vous le dire: bien certainement ceux qui n'ont pas encore compris cela sont excusables et très excusables. Ce que je vous dis là, qui est-ce qui vous le dit? Qui est-ce qui vous met là-dedans en dehors de moi? Personne. Le maître des novices avec moi, et c'est tout. Une parole est une parole. Quand elle est reçue dans l'âme, il faut qu'elle germe, et pour qu'elle mûrisse, il faut bien des conditions. Vous entendez perpétuellement le contraire de ce que je vous dis: vos passions, votre nature, même par ce qu'il y a de bon en elles, par ce qui peut faire la force et la consolation des autres.

Vous êtes donc excusables de ne pas avoir fait plus, au milieu de vos besognes, de vos surcharges, de vos accablements. Je suis loin de vous faire des reproches. Si j’avais à en faire à quelqu'un, ce serait à moi, puisque c'est moi qui suis chargé de dire et de redire ces choses.Il faut bien vous réunir tous autour de ces pensées- là, de cette doctrine- là, et commencer la retraite en agréant toute chose venant de la main de Dieu et en agréant l'obéissance. Ce sera pour nous une source de grâces et de lumières abondantes. Tout est là, absolument tout. La vie est le mouvement du cœur: que le cœur cesse de battre une seconde, et la vie sera terminée pour toujours. La vie pour nous, pour nos œuvres, pour les âmes dont nous sommes chargés, elle est dans la doctrine que nous avons dite. Nous la connaissons. Tenons- la bien et ne la laissons pas échapper. Encore une fois, ce ne sont pas là des exercices de piété. Le prêtre qui n'a pas d'exercices de piété tombe, c'est vrai, mais pour nous tout cela c'est bien autre chose que des exercices de piété. Les exercices de piété sont un secours et non pas un but. Le Directoire chez nous, c’est tout, c'est notre existence, c’est ce qui soutient nos pas. Faisons-le bien, et qu’on nous donne des vaches à curer ou des âmes à conduire, c'est tout un. L'un n'est pas plus que l'autre dans l'ordre de notre sanctification personnelle et l’aide que nous devons donner à l’Eglise. Rendez-vous-en bien compte, pénétrez-vous-en bien.