Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Une doctrine, un cœur, une âme

Chapitre du 13 juillet 1887

Aujourd'hui je reviens sur la même pensée dont je vous entretiens à chaque instant, parce que c'est pour nous un point capital. La congrégation des Oblats de saint François de Sales est comme toutes les autres congrégations. Pauvre sans doute en nombre, en vertu, en influence, mais il faut qu'elle ait sa doctrine, son esprit, sa nuance particulière. Il faut quelle ait en elle-même de quoi vivre, qu'elle ait son fonds à elle, sa spécialité, sans quoi elle est inutile, elle ne fait que gêner. La doctrine de la mère Marie de Sales doit nous prendre, nous transformer, nous unifier de telle façon que nous n'ayons qu'une doctrine, un cœur, une âme, une volonté. 

Notre grande mission à nous qui sommes les premiers n'est pas tant de nous sanctifier nous-mêmes que de faire la maison, de l'établir. Nous sommes la fondation. Il n'est pas besoin, pour mettre dans la fondation, de pierres polies, travaillées; pourvu qu'elles soient solides, qu'elles répondent au plan, qu'elles se tiennent dans les limites de la construction. Elles seront de bonnes pierres de fondation, fussent-elles des pierres brutes et mal taillées. Nous sommes comme cela, nous autres. L’essentiel est que nous soyons bien dans le sens de la construction. Il faut bien nous y mettre. Le bon Dieu permet tout ce qui arrive maintenant pour solidifier et unir les membres de la congrégation. Il n'y a pas de protestations à faire, mais il faut constater qu'il y a un courant extrêmement fort pour renverser nos constructions. Quand saint François de Sales faisait construire le couvent d'Annecy, un frère Capucin détourna un ruisseau dans les fondations. Notre sainte mère en fut fâchée: “Vous viendrez maintenant demander l'aumône!”, dit-elle au frère. “Oui, vous viendrez, ajouta saint François de Sales, et notre mère vous fera double aumône”.

On plaisante beaucoup sur les miracles de la bonne Mère dans certaines réunions ecclésiastiques. Et la bonne Mère a une action très forte actuellement. Je me suis trouvé toujours en opposition avec Monseigneur. Cette opposition n'est pas tant d'argent que de doctrine. Tout ce qui me revient de ses sentiments, de ses agissements, me montre qu'il est à l'extrême opposé de nous. Notre doctrine est extrêmement simple: faire tout avec le bon Dieu. Cela ne veut pas dire que le bon Dieu fera des miracles sans cesse. En disant: “Le bon Dieu a fait ceci ou cela”, nous ne voulons pas dire que Dieu intervient miraculeusement à chaque instant, mais habituons-nous à voir Dieu et son action en toutes choses. Nous sommes les enfants du bon Dieu et de la bonne Mère, de mauvais enfants, tant qu'on voudra, mais nous sommes leurs enfants tout de même et nous voyons leur action en tout. Si nous sommes guéris après avoir prié, c'est Dieu sans doute qui nous aura guéris et nous ne dirons pas que c’est par miracle, mais nous remercierons Dieu et la bonne Mère. Si nous restons malades au contraire, c'est encore par la permission de Dieu: “[Dans la divinité] nous avons la vie, le mouvement et l’être” (Ac 17:28). Voilà la voie. Ni les plaisanteries, ni la lutte ne nous en feront sortir. Ne nous laissons pas ébranler, par quoi que ce soit.

Voyez combien est grande l'obligation que nous avons de mener cette vie, de pratiquer le Directoire. Et quand nous l'avons pratiqué assez longtemps, comme dit notre saint Fondateur et que nous sommes arrivés à l'amour de complaisance, alors il faut vivre avec Dieu dans une union de plus grande simplicité et intimité. Mais nous en arriverons là par le Directoire seulement, et c'est à notre confesseur et à nos supérieurs à nous le dire. Je reçois chaque jour de nombreux témoignages de tout ce que Dieu donne par cette voie. Nous ne sommes pas des fanatiques, croyant à toute espèce de choses étonnantes et merveilleuses, mais nous faisons profession de croire à la Providence de Dieu, à son action sur nous, au saint Evangile. C’est là notre affaire. Que d'autres aient d'autres manières, d'autres moyens d'aller à Dieu, c’est bien: “Chacun reçoit de Dieu son don particulier” dit saint Paul, “celui-ci d’une manière, celui-là de l’autre”. Quant à vous, “aspirez aux dons supérieurs” (1 Co 7:7; 12:31). Ce qu’il y a de mieux, disait notre saint Fondateur, c'est de faire la volonté de Dieu.

Nous portons ce don de Dieu “dans des vases d’argile” (2 Co 4:7). Nous sommes faibles, le moindre choc peut briser le vase. Portons-le avec un souverain respect et une surnaturelle attention. Si les ténèbres ont envahi notre âme, si le péché est survenu, confessons-nous, remettons-nous en grâce. Ne restons jamais en dehors de la voie. Si nous avons fait un pas un instant à côté, rentrons bien vite. Et de la sorte, le bon Dieu sera toujours avec nous, il prendra toujours notre défense. Il faut bien nous recommander à la bonne Mère, à notre bon ange. Il faut leur demander de nous faire entrer entièrement dans la voie et de nous y maintenir. On pourra dire ce qu'on voudra contre nous. Dès lors que nous resterons dans ces limites, nous serons en sûreté. J'ai prié beaucoup pour cela à la sainte Messe depuis quelque jours et j'ai reçu de grandes assurances de la bonne Mère, de la Sœur Marie‑Geneviève, au mémento des morts, des assurances très positives.

Avec quel respect devons-nous traiter les moindres choses de la Règle, du Directoire: toutes ces choses-là sont des choses de Dieu. C'est le cas de répéter la parole que me disait Mgr Lachat: “Si c'est la volonté de Dieu, ce n'est pas à moi à la retarder”. Voilà des catholiques! Ceux-là ne plaisantent pas. Ce qu'on dit de la bonne Mère, ce ne sont pas des choses à traiter vaille que vaille. Je me rappelle que M. Chevalier, mon professeur de théologie, me disait: “Il ne faut jamais prendre ce ton de plaisanterie à l'égard des choses pieuses. C'est preuve qu'on ne prend pas la piété au sérieux”.