Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Nos malades et nos devoirs envers l’Eglise

Chapitre du 27 avril 1887

Il faut bien se pénétrer de cette pensée que la maladie unit à Jésus-Christ: c'est une doctrine pour nous. S’il existait des communautés où cette pensée ne fût pas en usage, où cette doctrine n’existât pas pratiquement et rigoureusement, les religieux et les religieuses âgés surtout seraient dans un état extrêmement pénible. En dehors de cette doctrine, ils ne sont plus bons à rien, ils sont une gêne, et celui qui sent le plus cette gêne est celui qui souffre. C'est là un défaut de conformité à la volonté de Dieu, qui n'attire pas les bénédictions d'en haut. Dans la maladie et l'infirmité, il faut faire un acte d'adhésion à la volonté de Dieu, et le meilleur est celui du Pater: “Que se soit ta volonté qui se fasse” (Lc 22:42). L'effet le plus considérable de la Rédemption est dans la conformité de Notre-Seigneur à la volonté de son Père. Sa vie, sa passion sa mort, c'est l’amen, et l'amen dans les siècles des siècles. C'est ainsi que nous devons nous aussi vivre et terminer notre vie. Et à ces derniers moments de notre vie, cette adhésion doit se faire plus particulièrement sentir.

J'ai remarqué à la Visitation que toutes les religieuses qui avaient été fidèles pendant leur vie à la pensée de la mort, avaient de grandes consolations dans leurs derniers moments. Et il est bien à désirer que nos derniers moments soient bénis ainsi de Dieu, pour nous et pour ceux qui nous voient.

Prenez  toujours fidèlement la pensée de l'heure. On n'entend pas toujours sonner l'horloge: l'essentiel est de ne pas passer une heure sans retourner son esprit à Dieu, comme l’enseigne le Directoire, et songer à la mort. “Serai-je ainsi au moment de la mort? Serai-je aussi lâche, aussi peu courageux?” Prenons bien la résolution de ne jamais oublier cette pratique. Tous les maîtres de la vie spirituelle la recommandent. Elle donne un grand sérieux, un grand recueillement à la vie, elle nous fait vivre en communauté avec les défunts.

“La Congrégation tout entière, membres, Communautés et Provinces, se fera une obligation sacrée de professer, partout et toujours, un attachement inviolable à a la Sainte Eglise, et de travailler avec zèle, dans la mesure de ses forces, à la défendre, à l’exalter et à propager sa bienfaisante influence” (Const., Art. XXIV:1; p. 88-89).

Nous professons un attachement inviolable à la sainte Eglise et à notre Saint-Père le Pape. Rome, en approuvant les congrégations, en les exemptant de la juridiction ordinaire, a voulu leur donner un lien unique, les rattacher plus spécialement au Pape, par des liens d'union plus forts, plus généraux. Notre union au Pape est une union non seulement de volonté, mais surtout de cœur, c'est l'union de la famille. La manière dont on nous traite à Rome montre bien qu'on nous regarde comme de la famille. Que chacun se pénètre de cette grande vérité. Attachons-nous étroitement à la sainte Eglise. Quant au dogme, cela va de soi, mais allons plus loin, embrassons toujours même le sentiment de l’Eglise, le sentiment du Saint-Père.

Le Saint-Père ne veut plus admettre de nuance entre les catholiques. Certains esprits semaient et cultivaient des germes de division en prodiguant les qualifications de libéraux, d'ultramontains. Ces nuances ont disparu à la parole du Souverain-Pontife. Les libéraux sont devenus ultramontains, et les ultramontains ont pratiqué généreusement la charité, de sorte qu'il n'y a plus qu'un seul troupeau et un seul pasteur. Quand il se soulève quelque dissension dogmatique, regardons l'étoile comme le nautonier regarde l'étoile polaire autour de laquelle toutes les autres paraissent se mouvoir. Que le sentiment de l'Eglise et du Pape soit toujours notre centre, notre rayon, et tournons là-dedans en toute douceur et charité à la façon de notre bienheureux père, toujours bienveillant pour tous, surtout envers ceux qui avaient besoin d’être aidés et confirmés dans la foi.

L'abbé C***, le directeur de l'orphelinat de D***, qui était ici ces jours derniers, me disait qu'il lui semblait que saint François de Sales et les Oblats ne sont plus le clou, mais l'écrou. Le clou s'enfonce dans le bois à coups de marteau, à grand bruit. Il fait parfois éclater la planche. L'écrou s’enfonce insensiblement, mais il est plus solide que le clou, il ne se défait pas ni ne sort pas. Ce qu'il tient, il le tient bien. Serrons-nous bien, attachons-nous solidement à l'Eglise, sans bruit comme l’écrou, mais avec une force invincible.

Les Constitutions recommandent ensuite aux Oblats de prêcher et d’enseigner avec un soin tout spécial “l’observation des lois et préceptes de la Sainte Eglise notre Mère en particulier sur le jeûne du saint temps de Carême” (Const., Art. XXIV:1). Il faut bien prendre cet esprit- là. Ce n'est pas sans un ordre du bon Dieu que cela a été ajouté à nos Constitutions. Le père Capucin qui a été chargé d'en faire la révision a ajouté cet article. Il s'est dit que si notre Règle était si douce, si nous ne pouvions pas pratiquer comme les autres ordres de grandes mortifications, du moins fallait-il que nous fissions pratiquer aux autres les mortifications commandées par l'Eglise et si délaissées actuellement. Le carême passe maintenant presque inaperçu. Notre Saint-Père le Pape, dans ses lettres, rappelle la nécessité où nous sommes de faire pénitence, de pratiquer la mortification. Prenons donc bien sur ce point l'esprit de l'Eglise.

Commençons par être des hommes de pénitence nous-mêmes. L'effet s’en fera bien vite sentir, les grâces abonderont, nous sanctifieront et féconderont nos œuvres. La pénitence conserve l'âme et la préserve du mal, elle fait des miracles pour elle et pour les autres, miracles de conversion et de retour au bon Dieu. Dans nos rapports avec le monde, donnons toujours l'exemple de la mortification. Ne le faisons pas avec éclat, avec ostentation, mais faisons-le néanmoins toujours. Dans notre tenue à l'église, pendant l'action de grâces de la sainte messe en particulier, tenons-nous d’une façon mortifiée, sans nous appuyer, évitant de croiser les pieds, dans une attitude modeste et recueillie. Le monde affecte en général de se mettre à l'aise. Prenons bien garde de faire jamais ainsi: gardons les prescriptions de la politesse ancienne et gardons-les par mortification.

S’il y a quelque part une petite gêne à endurer, ne la laissons pas endurer aux autres et prenons-la  pour nous. Acceptons cette gêne, cette pauvreté, cette simplicité dans les meubles, les vêtements, en tout. Que les choses dont nous nous servons soient celles dont se servent les gens de condition médiocre, les ouvriers. En nous servant de tout cela, reproduisons en nous la mortification de Notre-Seigneur, sa manière d'être.

Dans la direction des âmes, encourageons bien celles qui nous sont confiées à marcher dans cette voie-là. Ce qui perd le monde, c’est la sensualité. Il faut avoir cet esprit de mortification fermement implanté en nous. Soyons un écrou nous aussi pour cela. Allons doucement, sans frapper, mais resserrant toujours la vis. On n'enseigne bien que ce qu'on fait bien. Mortifions-nous donc bien toujours dans nos regards, nos vêtements, notre manière d'être; évitons bien les saillies trop mondaines: portons partout la mortification de Notre-Seigneur qui était toujours simple, agréable à tous. Nous prendrons bien, ces temps-ci, la pensée de la mort et nous y joindrons la pensée de la mortification de Notre-Seigneur.