Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Notre comportement avec les gens du dehors

Chapitre du 5 janvier 1887

“Nos œuvres nous obligeant à communiquer avec le dehors, nous aurons habituellement la pensée que nous devons porter avec nous la lumière de Jésus-Christ, sachant que notre extérieur doit prêcher aussi bien et même beaucoup mieux que nos paroles” (Const., Art. XXII:1; p. 79-80).

Dans nos rapports avec les laïques, il faut avoir cette pensée, que nous portons la lumière et la bonne odeur de Jésus-Christ, que nous le remplaçons, que nous faisons sa besogne. Il est nécessaire que le monde voie Notre-Seigneur Jésus-Christ, et c’est par nous qu’il le verra. Quand saint Philippe disait: “Seigneur, montre nous le Père et cela nous suffit” (Jn 14:8). Notre-Seigneur répondait: “Qui m’a vu a vu le Père”. Quand le monde nous dit : “Montrez-nous Jésus-Christ”, il faudrait que nous ne fussions qu’un avec Notre-Seigneur. Ce n’est pas une façon de parler. Ce doit être une réalité. Sans doute nous sommes bien indignes d’une pareille faveur; c’est en nous humiliant qu’il faut en demander la grâce, c'est ainsi que nous obtiendrons de le remplacer. C'est l’histoire de saint François d’Assise et du frère Léon. "Allons prêcher, dit saint François”, et ils parcourent les rues de la ville. Au retour: “Mais nous n’avons pas prêché,”  dit frère Léon: “Nous avons prêché d'exemple et d'une manière bien plus efficace que si nous eussions ouvert la bouche”. Aussi nous prêcherons par notre démarche, par notre manière d'être simple et sans prétention, allant comme allait Notre-Seigneur. Il s'est fait à notre ressemblance, dit l'Apôtre, hormis le péché. Auprès des malades, au confessionnal, au saint sacrifice, il faut bien nous pénétrer de ce devoir, il faut demander à la bonne Mère de le comprendre et de le faire.

Cette intention-là, si nous nous en pénétrons bien, ne nous donnera pas un air ridicule, embarrassé. Vivons de la vie de Notre-Seigneur. Que ce soit lui qui nous anime, qui nous soutienne; que nous le remplacions. C'est vrai pour tous les prêtres et les religieux, c'est vrai pour nous surtout. Les paroles du Saint-Père me reviennent bien souvent. Après avoir entendu tout ce que je lui disais de la bonne Mère Marie de Sales:  "Comment se fait-il que vous ayez attendu si longtemps pour faire tout ce qu'elle vous disait?”
— “Saint-Père, c’était une femme". Et le Pape, se levant avec majesté:
— “Tout ce que vous avez fait dans vos œuvres, Dieu le voulait, tous ceux qui travaillent avec vous travaillent personnellement à l’œuvre de Dieu. Que vous manque-t-il encore? L'approbation de la sainte Eglise? Moi, le Pape, je vous la donne. Allez dire aux évêques que je vous envoie. Dites à vos religieux qu’ils soient dévoués jusqu’à l’effusion du sang”.

Voyez la parole du Saint-Père. C'est lui qui nous envoie. Il nous envoie pour faire la Règle, pour prêcher à la façon de saint François d'Assise et du frère Léon, pour avoir une bonne influence dans le milieu où nous nous trouvons et y porter la bonne odeur de Jésus-Christ. Préservons-nous donc soigneusement de toute chose qui peut scandaliser, qui peut devenir coupable, qui peut être en contradiction avec la volonté de Dieu. Les paroles ne sont que des paroles et s’envolent; les actes ont beaucoup plus d’importance.

Hier j’ai administré le derniers sacrements à la sœur Anne-Thérèse qui les réclamait et les a reçus avec ferveur. Il y avait, dans ce qu'elle disait, quelque chose de la bonne Mère, j'en étais saisi. Dieu était en elle, elle portait la bonne odeur de Jésus-Christ. Pénétrez-vous bien de l'esprit de la bonne Mère, lisez et relisez sa Vie et pratiquez-la. Que nos pères anciens s'examinent bien pour voir s'ils ont été fidèles à porter partout Notre-Seigneur, que les jeunes s'examinent aussi “craintifs et tremblants” (1 Cor 2:3). Si nous avons un peu oublié ces recommandations, si nous sommes négligents, il faut revenir et, avec un ferme et bon propos, nous remettre à la besogne. Il ne faut pas nager entre deux eaux. Il ne faut pas être un roseau agité par le vent. Faites-y bien attention, vous devez porter Notre-Seigneur et le porter partout. Je préviens de cela surtout nos jeunes pères. Qu'ils se pénètrent bien de ce que je dis ici, qu'ils écoutent bien le père maître des novices, qu'ils étudient les écrits de saint François de Sales, la Vie de la bonne Mère. Cette Vie reçoit chaque jour l'approbation des évêques. C’est comme un événement dans l’Eglise. Ce ne sont pas des riens. Nous sommes appelés à la table du père de famille: ne laissons pas prendre notre place par d’autres. Père Rollin, vous êtes sévère; soyez-le encore davantage. Que chacun s'examine, je le répète “craintif et tremblant”, non pas avec défiance, mais avec cette crainte respectueuse qui est la consommation de la sagesse, de la vertu, comme dit notre saint Fondateur. C'est un don de Dieu, cette sainte crainte, cette crainte filiale de perdre Dieu. La bonne Mère craignait d’offenser Dieu, de s'éloigner de lui, de manquer en quoi que ce soit à ce que elle lui devait.

Les élèves vont rentrer: que chacun rentre bien dans son devoir et s’apprête à porter la lumière et la bonne odeur de Jésus-Christ. Ne soyons pas des chandelles éteintes dans nos œuvres, dans nos collèges, dans toute notre manière d'être. Ne faisons pas de nos élèves des gens de rien, qui n'ont ni cœur, ni volonté, qui n'ont rien de fixe dans l'esprit. Quelle différence y a-t-il entre l'esprit qui n’a rien de fixe et celui qui est dans une ignorance stupide? Mais l'esprit bien doué des dons de la nature, qui par une bonne éducation a appris à bien ordonner et ranger ses idées, celui-là a des opinions arrêtées, il tient à ses idées, parce qu'il les sait vraies et bonnes, c'est chez lui quelque chose de fixe. Demandez cela au bon Dieu, d'être bien fondés dans l'obéissance, afin de faire quelque chose de sérieux.

Je désirerais bien me faire comprendre de nos jeunes pères. Quoiqu’ils ne soient pas encore prêtres, ils ont déjà un ministère à remplir auprès des élèves. Qu'ils les portent à la piété, qu'ils les attirent et les gagnent au bon Dieu. La bonne Mère disait en parlant des Oblats qu'on verrait le Sauveur marcher sur la terre. C'est une expression bien particulière. Elle n’a pas dit qu'on verrait le Sauveur parler, agir, mais qu'on le verrait marcher. C'est ce qu’il y a de plus ordinaire dans la vie. Il faut que nous reproduisions le Sauveur jusque-là. Je le répète encore, soyez bien sérieux: regardez votre vocation comme quelque chose de bien important.

C'est une remarque que j'ai faite au grand séminaire et qui ne m'a jamais trompé. Parmi les séminaristes, ceux qui paraissaient n’avoir pas le sentiment de l'ordination, qui allaient à la légère, ne sont pas devenus de bons prêtres, mais des prêtres médiocres, joueurs, buveurs, de vilaines gens. Ceux au contraire qui avaient un vif sentiment de l'ordination, qui s'y étaient préparés, qui en revenaient émus, sont restés très bons. Ceux qui prenaient les saints ordres avec respect, révérence, crainte, qui y attachaient une grande valeur, une souveraine importance, ont fait du bien dans leur vie. Priez pour être bien fidèles à votre vocation, estimez-en la grandeur, soyez quelque chose, soulevez-vous du milieu qui vous entoure, émergez à la surface, ne vous mêlez pas à tout ce qui passe, à tout ce qui roule autour de vous, autrement le flot vous emportera. Il faut bien remercier le bon Dieu de votre vocation et lui témoigner votre reconnaissance par vos actes de fidélité, et que ce fonds de reconnaissance se trouve dans tous vos travaux, toutes vos paroles, toute votre manière d'être. Notre saint Fondateur jetait des défis. Eh bien! moi, je défie de trouver nulle part une vocation qui unisse tant au bon Dieu, à Notre-Seigneur que la nôtre. Je ne méprise nul ordre religieux. Tous les autres ordres sont plus grands que le nôtre, rendent plus de services à l’Eglise; aucun n’offre de moyen plus sûr d'aller à Dieu et de s'unir à Notre-Seigneur. Le père maître de Notre-Dame des Ermites me disait en parlant de saint François de Sales: “Après lui, il faut tirer l'échelle”.  C'est vrai. Cette doctrine mise en pratique nous donne Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous le donne dans toute son intimité; nous le possédons entièrement et absolument, et les grâces accordées à cette vocation sont incompréhensibles. Ayons donc une extrême reconnaissance et fidélité, et faisons bénir nos résolutions par Notre-Seigneur petit enfant dans sa crèche.