Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Des rapports mutuels

Chapitre du 29 décembre 1886

“Afin de conserver la charité et l'union fraternelle, tous les Oblats auront les uns pour les autres un grand respect, et ils se le témoigneront réciproquement d’une manière simple, cordiale et affectueuse. Ils éviteront à la fois toute espèce d’amitié particulière et toute espèce d’aversion. Tous porteront respect et honneur aux supérieurs, ne passeront jamais devant eux sans les saluer, ne les interpelleront jamais pendant qu’ils leur parleront, et ne les contrediront pas. Ils apporteront toujours les uns vis-à-vis des autres, dans leurs paroles et leurs procédés, la déférence et les convenances voulues, surtout envers les prêtres. Les Oblats ne s’aborderont et ne se rencontreront jamais sans se saluer” (Const., Art.  XXI:1; p. 74).

Il faut bien prendre l’habitude de nous traiter les uns les autres d'une manière convenable, respectueuse, sans qu'il y ait rien d’affecté. Ayons cette déférence qui sent non seulement la bonne éducation, mais encore la charité, la vraie affection. Il est facile de trouver des motifs pour nous traiter ainsi les uns les autres. Le religieux est l'homme que Notre-Seigneur aime. Il est probable que Notre-Seigneur aime ce frère plus que nous. Nous ne connaissons pas son âme, et ce qui paraît défectueux en lui est racheté par beaucoup d'autres vertus qui nous font défaut à nous-mêmes. Cette charité est le cachet particulier du christianisme: “Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres” (Jn 15:17). La religion est fondée toute entière sur le respect. La bonne Mère était bien remarquable par le respect qu'elle portait aux Sœurs; elle les traitait toujours avec une grande déférence, mais c'était d’une façon simple qui ne les gênait et ne les blessait en rien. Il faut que nous fassions cela et que nous le fassions avec notre âme, notre intelligence, notre délicatesse. Le respect commandé, légal, est gênant.

“... ils éviteront à la fois toute espèce d’amitiés particulières...” —  Il ne faut nous livrer à aucun de ces deux sentiments, parce que ce serait 1a ruine de la communauté et engendrerait toute sorte d'abus et de fautes. Quand deux religieux deviennent trop amis, cela blesse d'abord la charité générale, puis cela détermine infailliblement quelque chose de mauvais et amène des malheurs. Il faut éviter avec autant de soin les aversions. Encore une fois, considérons nos défauts, l'amour que Dieu porte aux personnes que nous sommes tentés d'avoir en aversion: il les a peut-être comblées de grâces.

“Tous porteront respect et honneur aux supérieurs...” — Si l'on a à passer continuellement devant quelqu'un, il est évident qu'il ne faut pas saluer continuellement. Ayons tout de même dans notre contenance quelque chose qui sente qu'on veut faire la Règle. S'il arrive que l'on se soit blessés l'un l’autre il faut avoir soin de faire ce que dit le Directoire, il faut réparer cela pas un acte contraire, par un mot affectueux, il faut que l'inférieur fasse cela vis-à-vis du supérieur, et que le supérieur réponde par quelque parole de cordialité, et que ce qui s'est passé soit réparé.

“On observera de garder continuellement le silence, excepté pendant le temps de la récréation. Quand il sera nécessaire de dire une parole pour quelque service, on le fera brièvement, à voix basse, surtout à l’Eglise, dans la Sacristie, au dortoir et au réfectoire” (Const., Art.  XXI:3; p. 75-76).

Prenons garde de ne pas parler au réfectoire. Si nous avons quelque chose à nous dire, ne le faisons pas au réfectoire, afin de bien observer les Constitutions et de donner le bon exemple aux élèves. Evitons bien aussi de perdre le temps par de longues et inutiles conversations, soit dans les cellules, soit ailleurs. Ne parlons, en dehors des récréations, que pour les offices dont nous sommes chargés, et faisons-le brièvement.

“On évitera de faire du bruit en marchant dans la maison, dans sa cellule, en fermant et en ouvrant les portes, et on conservera dans ses mouvements la gravité et la tranquillité convenables” (Const., Art. XXI:5;  p. 74-76).

Cela ne veut pas dire qu’il faille marcher à pas comptés. Soyons naturels et pas ridicules. Il faut marcher de telle manière qu'on ne nous remarque ni dans un sens ni dans un autre.

“En quelque lieu que l’on parle pendant les récréations, on montrera un visage ouvert, simple. On ne sera ordinairement pas moins de trois ensemble, et on s’efforcera de contribuer à la récréation par des entretiens et une contenance agréables. On évitera les plaisanteries et les jeux de mots blessants, les discussions sur des sujets qui peuvent compromettre la charité” (Const., Art. XXI:6 ; p. 76-77).

Si l'on veut dire un petit mot spirituel, agréable, qui ne blessera pas celui à qui on l’adresse, c'est bien. Mais il faut bien voir auparavant; il faut bien avoir la discrétion de jugement et connaître son monde. Evitez bien vous-même de vous montrer blessé, quoi que ce soit qu’on ait pu vous dire. Ne manifestez jamais vos répugnances pour la pratique de la Règle; ne confiez jamais aux autres vos difficultés. C'est au supérieur qu'il les faut confier ou au maître des novices. Ce point-là est bien important.

“Tous observeront le plus grand secret sur tout ce qui sera dit et fait au Chapitre,  sur les ordres des Supérieurs, sur les choses de la direction” (Const., Art. XXI:9; p. 77-78).

Ceux qui manquent à ce secret sont exclus de droit du chapitre pendant un an. Le secret dû aux ordres du supérieur et aux choses de la direction doit être aussi rigoureux.

“Personne ne portera la plus légère atteinte à la réputation des Oblats, et principalement des Supérieurs. On s’interdira tout murmure contre ses frères, et surtout contre les Supérieurs. On évitera toute censure et tout blâme contre ce qui se fait dans la Congrégation, et on observera cette loi pour les autres congrégations religieuses” (Const., Art.. XXI: 10; p. 78).

Rien n’est plus mal édifiant que de voir des religieux se plaindre de leur supérieur. C’est extrêmement scandaleux et c'est aussi dangereux, parce que toute maison divisée contre elle-même périra. Une occasion certaine qui se rencontrera pour vous de manquer à cet article des Constitutions, c'est quand vous vous rencontrerez avec des femmes, avec des religieuses. C'est leur défaut, elles sont très insinuantes. À moins d'être de grandes saintes, elles n'échappent pas à ce travers. Après la bonne Mère, je n'en ai guère vu d'autres étrangères à cette faiblesse. Elles essaieront, pour s'insinuer auprès de vous, de trouver aux pères qui vous auront précédé, quelque travers, quelque défaut, que vous n'avez pas. Pour flatter le Père qui vient prêcher, on lui fait l'éloge du Père qui l'a précédé: “C'était très bien, mais vous, vous faites beaucoup mieux”. Au besoin, on glisse une petite histoire qui ne laisse aucun doute sur la prééminence du dernier venu. Ce n'est pas l’amour qui perdit Troie, c'est l’amour-propre. Toutes sont les mêmes. Je n'en connais pas une seule qui ne m'ait fait cela. Elles veulent faire la conquête de votre estime et de votre affection. Cette bonne sœur aura toujours soin, si elle voit que j'aime le P.G***, d'essayer de le supplanter et d'arriver à ce que je la préfère elle-même au P.G*** Pas une femme au monde n'est exempte de cette faiblesse. J'y ai été pris pendant longtemps. C'est une expérience que j’ai faite à mes dépens. C'est chez elles affaire d'intérêt, de cuisine, de caractère. Elles n'y mettent pas de mauvaise intention, mais elles le font tout de même.

Je ne veux pas dire de mal des femmes, mais je veux que dans vos rapports avec elles vous gardiez la charité à l'égard de vos frères. Jamais on ne dira vrai quand on vous parlera des autres et de vous-mêmes. Le seul parti à prendre est de ne jamais rien croire de tout cela. Il est impossible qu’une femme, à moins d'être une grande sainte comme l'était la bonne Mère, ne cherche pas à se bien mettre dans votre esprit, à prendre la place de vos meilleurs amis, à vous prouver au besoin, pour mieux y arriver, qu'ils vous ont un peu trahi en telle circonstance. Il n'en arrivera jamais autrement. Si vous estimez un Père, elles vous diront du bien de lui, et au milieu des éloges, tâcheront de glisser discrètement leur petit venin. Cette remarque est bien importante, croyez-moi, pour conserver la charité mutuelle et nos bons rapports les uns avec les autres. Que notre modèle soit la bonne Mère. Voyez comme elle était respectueuse envers toutes les Sœurs, comme elle savait aimer en elles ce qu'il y avait de bon en chacune.

“Personne ne s'enquerra curieusement de l'administration de la maison; on n’en parlera pas ensemble. On ne parlera ni de la nourriture, ni du vêtement, ni du coucher. Ces sortes de questions ne se traiteront jamais que par ceux qui en ont la charge” (Const., Art., XXI:10; p. 78-79).

Si on a des observations à faire à ce sujet, il faut les faire à qui de droit.

“On évitera les questions irritantes, sur la politique, sur les différentes nations, provinces. On s’habituera à se confier uniquement à la sagesse et à la toute-puissance de Dieu, dans les choses de ce monde” (Const., Art. XXI:12; p. 79).

Que toutes ces différences s’effacent devant la charité. Ne lisons pas de journaux, ne faisons pas de politique. Nous avons tant de choses à faire en dehors de là: sauver notre âme et celle des autres. M. Chevalier me parlait d'un évêque mort en lisant son journal: “Si c'était un curé,  disait-il, passe encore,  mais un évêque! Un évêque ne devrait pas lire de journal, mais se le faire lire par son secrétaire”. Faisons les évêques de ce côté-là. Les religieux sont sur le même rang que les évêques d’après saint Thomas et la sainte Eglise.