Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L'esprit des Oblats

Noviciat de l’année 1875, sans date précise

Tous les ordres religieux ont quelque chose de commun et quelque chose aussi qui leur est propre à chacun. Ils ont de commun les trois vœux de pauvreté, d'obéissance et de chaste­­té. Ce qui leur est propre, c'est leur esprit. Les divers religieux de l'Eglise ne formeraient qu'une seule grande famille, s'ils n'avaient point d'esprit propre à chacun, ou plutôt sans un esprit particulier, ils ne seraient pas ordre, congrégation. La pratique des trois vœux fait le religieux; l'esprit fait vivre et constitue la congrégation.

L'esprit qui souffle dans chaque congrégation est divers. Chez les uns, c’est la perfection de la pauvreté; chez les autres, le zèle des âmes; chez ceux-ci, l'austérité de la pénitence; chez ceux-là, la vie contemplative. Les Oblats eux aussi doivent donc avoir leur esprit. Or cet esprit n'est pas le fruit des spéculations de celui qui le fonde; mais c'est un esprit tout fait, c’est l’esprit de saint François de Sales. Il ne faut pas croire que cet esprit se trouve dans les écrits de ce grand saint, et qu’il suffise de s'en pénétrer pour avoir cet esprit. Sans doute, c'est bien l'esprit de saint François de Sales qui anime ses écrits. Mais il n'est pas là seulement; il est surtout dans la tradition qui le perpétue et le pratique: il est dans l'ordre de la Visitation. L'esprit de la Visitation, dit saint François de Sales, est un esprit d'humilité envers Dieu et de douceur envers le prochain. Cet esprit a trouvé son expression tout entière dans la mère Marie de Sales. Nous en avons pour garant, non seulement sa sainte vie, mais aussi le témoignage de l'Institut tout entier, qui a vu et reconnu en elle l'organe du Saint-Esprit, le témoignage d'un grand nombre de personnages éminents qui l'ont connue, de beaucoup d'évêques, et de notre Saint-Père lui-même, témoin l'accueil bienveillant qu'il a fait à notre Père, lui parlant de cette sainte mère. Cet esprit d'humilité envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes, avait chez elle le caractère d'union parfaite avec Dieu, et c'était une union intime et permanente avec Dieu.

Cet esprit réalisa ce que voulait saint François de Sales, qui désirait établir un Ordre religieux qui n’eût d'autre lien que celui de la dilection, ce qui constituait les âmes dans un état de perfection, et rendait tous leurs actes parfaits. Voilà la source où les Oblats doivent puiser leur esprit, qui est 1’union avec Dieu. La mère Marie de Sales avait souvent sur les lèvres le nom du Sauveur: “faire un avec le Sauveur, se laisser au mouvement du Sauveur, laisser libre en nous le Sauveur”, paroles qui montrent que cette union avec Notre-Seigneur comme le Rédempteur était le but, la vie et l'aspiration constante de cette sainte âme. Tel est l'esprit des Oblats, qui est bien celui de saint François de Sales, car à qui a-t-on jamais comparé ce grand saint sinon à Notre-Seigneur? On a dit de lui qu'il était la reproduction la plus parfaite de Notre-Seigneur. Ce divin exemplaire était le centre autour duquel tournaient son âme, ses affections, sa vie tout entière; chose qui nous montre clairement comment l'esprit de notre bonne Mère a été vraiment la vraie, entière et parfaite expression de celui de saint François de Sales. La vie des Oblats est donc de vivre dans une union intime, continuelle avec le Sauveur. Cette union doit aboutir à faire passer en eux le Sauveur, au point de disparaître eux-mêmes, pour laisser libre en eux le Sauveur avec sa charité; chose qui nécessairement entraînera l'imitation des actes de Notre-Seigneur soit envers Dieu, soit envers le prochain, au point que cette Bonne Mère a pu dire et a dit avec vérité, en parlant des Oblats, qu'on verrait de nouveau le Sauveur marcher encore sur la terre. S'unir, imiter le Sauveur, s’identifier avec le Sauveur par une union intime, une fidélité constante et une mort entière à la nature, voilà la vocation, voilà l'esprit de l’Oblat de saint François de Sales.

L'union à Dieu est double: 1'union à l'être divin, à l'intime de Dieu, selon l'expression de la bonne Mère Marie de Sales, et l'union à Dieu par les opérations extérieures de Dieu, les œuvres exté­rieures, la création, la rédemption, le salut des âmes. L'union à l'être divin se fait par l'orai­son, la pratique du Directoire et les exercices de la vie religieuse. Cette union n’est pas la pensée de Dieu, mais une disposition d'âme, un état de volonté habituel qui tient 1'âme constamment unie à son Dieu dans tous ses actes. Par cette union, l'âme est entière­ment détachée d'elle-même, de ses affections et de tout ce qui n'est pas Dieu. Ceci ne se fait pas tant par les propres efforts de l'homme que par un don de Dieu, qui est grâce de vocation pour les Oblats et les enfants de saint François de Sales. Ils rendent l'action de Dieu possible et efficace en eux par une dépendance continuelle, un détachement complet de toutes choses.

L'union à Dieu dans les opérations extérieures se fait par l'application entière de l'âme à la volonté de Dieu qui en est le principe. Dans ces actes, l'âme ne s'attache nullement à l'acte en lui-même, mais à la volonté de Dieu qui le détermine. La créature, les choses extérieures, deviennent pour l'âme un moyen de communiquer avec Dieu. De là, un respect profond de tout ce qui est au service de l'homme et du religieux. L'âme voit Dieu en tout. Il l'environne et tombe en quelque sorte sous ses sens. Cette union à Dieu dans les opérations intimes prend un puissant développement dans l'union à Dieu comme Sauveur, comme Rédempteur; et c’est là que se trouve la vocation des Oblats. Il faut une réimpression de l’Evangile tout entier, selon les paroles de la bonne Mère Marie de Sales, pour réaliser la pensée du divin Rédempteur. Les Oblats, dans cette union au Sauveur, doivent disparaître eux-mêmes, pour laisser place à Notre-Seigneur et dépendre entièrement de son mouvement; agir, quand il agit; parler, quand il parle; se taire, quand il se tait. C'est là le secret des œuvres durables: faire tout par le Sauveur, ou plutôt laisser le Sauveur agir par notre moyen.

De là les conversions de saint François de Sales, étonnantes quant au nombre, plus étonnantes encore quant à leur durée et persévérance non démentie. Toutes les autres œuvres où l'homme a mis du sien ne plaisent pas entièrement à Dieu et finissent par disparaître. Voilà la vie de la mère Marie de Sales, voilà le programme que doit remplir l'Oblat, le mandat qu'il a la vocation de copier et de réaliser.