Allocutions

      

Soyez forts et courageux!

Allocution du 20 septembre 1897
pour la profession des Pères Kubski et Denis Fages
et l’entrée au noviciat des Pères Mahoney et Bodier

Notre vocation est une vocation de force et de courage. Saint François de Sales répète très souvent dans ses Entretiens et ses Lettres: “Il faut avoir bon courage”. Et le saint Fondateur, répétant si souvent cette parole, montre bien que notre vocation doit demander une force et un courage tout particuliers. Sans doute on peut avoir, en certaines circonstances, une énergie de volonté, une force de caractère, peut-être tout simplement un instant de vertu qui fait surmonter une difficulté, remporter une victoire. Cela ne suffit pas pour nous. Et même dans notre manière de combattre, dans notre stratégie, ces grands efforts ne sont pas d'un usage habituel. Je dirai mieux: ils ne nous sont pas bien recommandables.

Je m'explique. Le bon courage que nous demande saint François de Sales n'est pas un courage accidentel, un effort momentané, une énergie d'un instant. Il veut que nous soyons courageux et forts toujours: courageux dans la foi, courageux dans la vertu, courageux dans le devoir. Il veut que notre courage soit habituel, que nous portions cette énergie constante dans chaque difficulté, grande ou légère. C'est là notre manière de faire, ce sont là les procédés que nous devons suivre toujours en présence du combat.

 Il faut que nous soyons bien courageux. C'est une vie toute d'incessantes luttes, et qui demande qu'à chaque instant nous nous mettions de côté, nous renoncions à nous-mêmes, pour mettre Dieu à notre place. C'est dur, c'est amer de ne se donner jamais rien à soi-même, de se retirer toujours quand il y a quelque chose de bon à recevoir, d'honorable à faire, pour laisser la place... à qui? au Sauveur. Toutes les fois que nous ne voulons pas nous mettre en avant, que nous déclinons la meilleure place, pour la laisser à qui de droit, le Sauveur lui-même prend la place que nous lui laissons. Cet exercice habituel est un vrai combat. C'est dur de ne jamais vivre avec soi-même, de se mettre soi-même toujours de côté. Mes amis, c'est là notre vie. Il faut donc un grand courage.

Il va sans dire que lorsque nous n'agissons pas nous-mêmes, et que nous laissons faire les choses à Dieu, en nous effaçant, en mourant à nous-mêmes, toutes les difficultés, toutes les misères du renoncement apportent de leur côté des grâces bien précieuses. Dans les souffrances, les luttes, les difficultés du renoncement, on recourt à qui de droit et on puise alors dans le Sauveur même la force nécessaire. C'est le bienfait de notre vocation: Dieu avec nous. Mais il faut que nous soyons fidèles à nous renoncer. Il faut nous attendre à d'autant plus de combats que notre vocation est de nous tenir plus unis à Dieu. Il y a dans notre Institut plus de difficultés peut-être que dans aucun autre, parce que le chemin que nous prenons et qui nous conduit directement à Dieu, doit nécessairement rencontrer beaucoup plus d'obstacles et plus d'ennemis. Voyez, nous ne sommes que d'hier et déjà notre petite communauté a subi de terribles assauts. Combien de luttes, de pièges, de mauvais vouloirs autour d'elle! Ces grandes luttes sont nécessaires, dans l'ordre de la Providence, à ceux qui doivent s'approcher plus près de Dieu: “Mon fils, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve” (Si 2:1). Chacun de nous a donc ses luttes ou ses combats. Le grand combat, dit saint Bernard, qui fait que le soldat meurt avant d'être blessé, ce sont les ténèbres, les découragements, les perplexités dans lesquelles on ne voit plus rien, on ne trouve plus de lumière pour s'éclairer, plus rien pour s'encourager. C'est le soldat mort avant d'être blessé. Il a bien des mérites, ce combat-là. Il n'y en a pas peut-être de plus dur, mais aussi il n'y en a pas de plus méritoire. Ça a été celui qui a failli perdre la vocation de la bonne Mère. Lisez cela dans sa Vie. Il faut alors de l'énergie de l'intelligence, de la foi. Il faut s'attacher à Jésus de toute la force de son cœur et de ses bras. Il faut lui dire comme Pierre: “Seigneur, à qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle” (Jn 6:68).

Il faut ce courage pour nous à l'heure à laquelle nous sommes, heure néfaste s'il en fut. On aura beau dire, que, quand on se garde bien, on n'a rien à craindre. C'est à peu près, comme si l'on disait que dans un pays ravagé par une épidémie qui empoisonne l'atmosphère et où l'on vit au milieu des malades, en prenant quelques précautions, on n'a rien à craindre. Toutes les précautions ne peuvent pas empêcher qu'un jour ou l'autre l'air vicié ne pénètre dans vos poumons, que le poison ne circule dans vos veines, et s'il trouve un organisme qui s'y prête, n'amène promptement la mort. L'atmosphère d'un monde corrompu nous environne, ses doctrines nous submergent. Nous respirons cet air empoisonné et nous en absorbons toujours plus ou moins. Cette respiration, cette absorption nous rend malades; elle affaiblit, elle éteint l'acuité, l'énergie de notre vie. Nous souffrons, nous ne voyons plus bien clair, nous ne pouvons plus marcher, plus remuer. N'est-ce pas là un peu ce que produisent sur nous les choses et les hommes qui nous entourent? Ne sentons-nous pas l'influence des doctrines, des études, des travaux? Autour de nous tout n'est-il pas conduit par Satan? On met en avant la science, les affaires, les besoins de la nature et ses exigences et, sous leur couvert, entre en nous ce je ne sais quoi dont nous ne sentons peut-être pas directement l'influence, mais qui inocule le poison dans nos veines et l'y fait circuler.

Pour résister à cela, il faut être fort et généreux. Il ne faut jamais admettre dans ses pensées, ses opinions, ses études, rien qui soit tant soit peu contraire à ce qu'enseigne la sainte Eglise, rien qui soit tant soit peu à l'encontre des doctrines de notre bienheureux père saint François de Sales, rien qui affaiblisse les doctrines de la bonne Mère Marie de Sales. Il ne faut rien accepter en dehors de ce qui est écrit, ou du moins rien qui ne lui soit conforme. Croyez-vous que pour cela il ne faille pas de la force pour se tenir bien debout, ne pas se laisser renverser, ou du moins ébranler, diminuer, pour que ces vérités ne soient pas diminuées en aucun des fils de saint François de Sales? Il faut donc avoir une grande et énergique fidélité, une grande prévoyance aussi. Il ne faut pas être “un roseau agité par le vent” (Mt 11:7), une âme indécise, atrophiée, qui ne sent plus, ne comprend plus, se penche à droite et à gauche, sans savoir où se diriger. Pour conserver intègre et sans diminution la doctrine que nous avons en dépôt, le don que Dieu nous a fait, il ne faut pas être un homme à volonté mobile et à caractère indécis. Il ne faut pas une volonté qui se laisse distraire par les choses nouvelles et qui laisse les anciennes comme des choses usées. Les doctrines, les influences qui nous entourent sont mauvaises; et ce que nous avons à faire est difficile.

Voyez ce qui se passe dans les lycées officiels. On y est trop souvent athée, en théorie et en pratique. Que va faire là la doctrine évangélique? Comment sera reçu l'aumônier, le prédicateur qui annonce Dieu? Le maître qui voudra diriger vers le bien ces jeunes intelligences, ces volontés déjà devenues méchantes? Que faire en face de cet obstacle? Croyez-vous qu'il n'y ait pas lieu de craindre le découragement? Croyez-vous qu'il soit possible de passer sa vie dans un pareil milieu sans se sentir affaibli, diminué? Vous voyez que notre saint Fondateur a bien raison de nous dire: “Ayez bon courage!”

Il faudrait prendre maintenant et bien sérieusement la résolution d'être fort et généreux, quoi qu'il arrive plus tard. Et on est fort quand on reste ce que Dieu vous a faits, ce que les enseignements du noviciat vous ont faits. Demandez donc bien à Dieu, à la bonne Mère, cette force d'âme qui, chez elle, était un des dons les plus remarquables. Elle était d'une douceur incomparable, mais toutes les fois qu'il était question de Dieu, de la volonté de Dieu, de la doctrine de l'Evangile, de la sainte Eglise, de l'observance, de la Règle, elle était comme une colonne de bronze: pas de fausse interprétation, d'explication, d'adoucissement, de diminution de vérité ou de devoir. Elle était d'une énergie incomparable sur ce point. Et elle faisait ainsi pour tout ce que Dieu lui avait donné. Le jour où il fut décidé que les Oblats seraient fondés, quelques personnes d'une grande autorité et considération, alarmées de cette fondation et du commencement des constructions de Saint-Bernard, vinrent lui faire, au parloir, toutes les objections possibles, objections d'hommes du monde raisonnables et capables. La bonne Mère les écouta, puis les salua en disant: “Vous ne ferez pas changer au bon Dieu ses volontés”.

Demandez à la bonne Mère ce courage, cette force. Dans la sainte Ecriture, il n'est peut-être pas de mot répété plus souvent que le mot “force”. Il faut aux Oblats le courage et la force, en même temps que la douceur et la charité, et au même degré: “Force et dignité forment son vêtement” (Pr 31:25). Il faut tous les signes de la volonté et de l'énergie, et en même temps dans les rapports avec le prochain, avec tous ceux qui nous entourent, et nous approchent, le charme de la charité, de la douceur, de la simplicité, ce que saint François de Sales appelle “tout le Sauveur”, le Sauveur dans sa force et sa puissance, le Sauveur aussi dans son immense amour. C'est ce que je vous souhaite!