Allocutions

      

Préparez votre âme aux épreuves

Allocution du 15 novembre 1889 à Saint-Bernard
pour la profession des Pères Rabis et Guillaume

Mes enfants, en vous approchant de Dieu pour vous consacrer à son service d'une manière plus spéciale, préparez votre âme aux épreuves, à des épreuves plus grandes que si vous restiez dans le monde: épreuves du dedans, épreuves du dehors. Vous me direz: “Mon Père, ce n'est guère engageant, ce que vous nous dites”. Je vous réponds par cette parole que saint Paul a dite de Notre-Seigneur: “Jésus...au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il méprisa l’infamie” (He 12:2). Il a envisagé sa croix et, en envisageant sa croix, il s'est proposé d'être heureux: il s'est proposé la joie et l'allégresse. C'est qu'en effet, lorsque nous travaillons pour Dieu, nous ressentons quelquefois peut-être une fatigue grande, excessive. Mais celui qui a dit: “Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger” (Mt 11:28-30), celui-là, au fort du travail sera avec vous, mes amis, pour vous soutenir, pour vous donner une force invincible, la force qui fera de vous de vrais victorieux.

Vous aurez aussi sans doute, outre vos travaux, des épreuves, des tentations du dehors. A l'heure qu'il est, mes amis, le démon, comme un “lion rugissant”, rôde autour de ceux qui aiment et prient Notre-Seigneur (Cf. 1 P 5:8). Il fera des efforts inouïs pour entraver votre marche, pour arrêter vos travaux, pour combattre vos œuvres. Pour cela il soulève les multitudes, il déchaîne tous ceux qui pensent mal et il se sert très souvent même de ceux qui pensent bien. Attendez-vous aux contradictions, à la lutte. Le succès sera toujours assuré. De même que le Sauveur est resté victorieux, vous aussi vous serez victorieux au milieu des combats du dehors. Le démon tentateur viendra alors sous une autre forme, il vous enverra le découragement, le malaise. Vous aurez des luttes à soutenir contre vous-mêmes: la défaillance, l'ennui, l'habitude voudront annihiler vos forces. Souvenez-vous alors que vous avez la force du Ciel entre vos mains, que ce combat vous vaudra une couronne et que jamais surtout vous n'êtes seuls dans la lutte. Si vous êtes fidèles à votre Directoire, si vous n'en quittez pas les pratiques, Notre-Seigneur sera avec vous. Par le pacte que vous allez faire aujourd'hui avec lui, vous vous abandonnez entièrement à sa conduite: il ne vous laissera pas. Donc dans la lutte, dans le danger, dans la tentation, ne vous effrayez jamais. Entrez joyeusement dans la carrière de la vie religieuse. Qu'elle est bonne et belle, l'âme sincère qui cherche vraiment Dieu, son salut et son amour. Comme elle est heureuse. Elle n'a pas de regrets, pas de remords ni d'amertumes.

Mes amis, je ne sais ce que vous avez fait pour le bon Dieu, mais ce que je sais bien aujourd'hui, c'est que le bon Dieu vous aime et vous préférant à des milliers et à dés milliers d'autres, il a fait choix de vous pour vous faire entrer dans cette vocation: “Je vous appelle mes amis” (Jn 15:15). Les autres sont instruits, guidés. Vous, c'est autre chose, vous êtes mes amis vous reposerez sur mon cœur. Aux autres je leur dis des paroles, à vous, les amis de mon choix, avec lesquels je veux vivre, je vous ferai comprendre tout ce que mon Père m'a dit, sa parole ineffable, le secret de son amour.
Qu'est-ce que ce secret? C'est ce que nous sommes devant le bon Dieu ce que nous sommes par nous-mêmes. Notre-Seigneur nous le dit. C'est la connaissance de notre âme et la connaissance de l'âme de ceux à qui nous avons affaire. C'est enfin de mettre Dieu à sa place ici-bas, de le voir comme il est, de le voir ainsi à l'oraison, dans nos prières, au confessionnal, dans nos exercices, dans les actes du saint ministère. Mes amis, ce n'est pas une vaine promesse que celle-là. C'est la promesse de recevoir ce que saint François de Sales a reçu, ce que la bonne Mère a reçu. Il vous fait partager cet héritage, vous entrez en participation en ligne directe avec eux. Voilà la part qui vous est faite aujourd'hui: “Vous vous êtes donné à moi, je vous soutiendrai de mes mains, je vous guiderai en toutes vos actions jusqu'à l'éternelle félicité”. Il n'y a pas à douter de ces choses-là, de cette doctrine-là, de cette grâce-là, je le répète. C'est ce que notre saint Fondateur, ce que la bonne Mère Marie de Sales ont reçu, c'est votre part à vous.

N'avez-vous pas lieu de vous écrier vous aussi: “Oh! que ma part est belle, que mon héritage est bien mesuré! Le cordeau me marque un enclos de délices, et l’héritage est pour moi magnifique” (Ps 16:6). “Le champ qui m'est donné est vaste, il est couvert de fleurs et de fruits. Seigneur je vous en remercie. Je n'avais rien fait pour mériter une telle faveur; au contraire peut-être, j'avais fait tout ce qu'il fallait pour vous éloigner de moi. Vous m'avez fait signe, vous m'avez appelé et la parole céleste a retenti à mon oreille, vous m'avez pris la main, et vous m'avez serré sur votre cœur. C'est à toi que je dis: «Mon ami!»”.

Mes amis, cette doctrine est réelle. Il faut y avoir foi; il faut croire à cela comme on croit au paradis, comme on croit à l'enfer, comme vous croyez à Jésus enfant, Jésus né dans la crèche, mort sur la croix, monté aux Cieux. Ayez foi à ces grâces, à ces secrets de l'amour de Notre-Seigneur; ayez foi à votre mission divine, si certaine, si sûrement appuyée. Que cette foi vous soutienne au moment de l'épreuve. “J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé” disait l'Apôtre (2 Co 4:13). Que cette foi, que cette confiance soit au plus intime de votre vie. Gardez-la bien, et au dernier jour rapportez-la bien intacte à Dieu qui en échange vous donnera la perle précieuse réservée au vainqueur. “Au vainqueur...je donnerai un caillou blanc” (Ap 2:17). Alors vos yeux s'ouvriront, vous lirez sur cette perle le nom que vous a donné son amour, et qui fera votre bonheur toute l'éternité.