Retraites 1900

      


PREMIÈRE INSTRUCTION
La retraite

“J’ai ardemment désiré manger cette pâque avec vous”. (Lc 22:15)

Mes bien chers amis, j'ai beaucoup désiré cette retraite, et vous tous aussi, vous l'avez demandée, vous l'avez appelée de tous vos vœux, parce que tous nous espérons un bien réel. Chacun de nous en voyageant perd toujours un peu de sa ferveur première. Il est nécessaire que nous nous retrempions dans le bon Dieu et que nous prenions de nouvelles forces. Si, pour chacun de nous, le temps apporte certains dommages, certains déchets, le temps apporte encore plus de fatigue, de relâchement dans une communauté. Un jour on se relâche sur un point de la Règle, un autre jour sur un autre, et les courages s'affaiblissent, le regard ne reste plus fixe sur le règlement. On ne voit plus, on ne comprend plus. Et la suite de tout cela, c'est la négligence, l'infidélité, le retrait des grâces. Nous allons donc faire cette retraite avec le désir de devenir de vrais religieux. Nous n'avons pas de moyens extraordinaires à prendre: bien accomplir notre Règle, bien faire nos exercices de chaque jour, voilà le moyen efficace de répondre à notre vocation et de devenir de fervents religieux.

Mes chers amis, les retraites qui se faisaient autour de Notre-Seigneur avaient un mot d'ordre. Notre-Seigneur disait en l'une de ces circonstances à ses apôtres: “Venez vous-mêmes à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu” (Mc 6:31). C'est ce que nous allons commencer à faire aujourd'hui. Mettons‑nous en solitude, faisons silence autour de notre âme. Nous passerons cette journée dans le souvenir des grâces que le bon Dieu nous a accordées depuis le commencement de notre vie. Dans tous ceux qui nous entourent, dans tous ceux que nous connaissons, qui est‑ce qui a été prévenu d'autant de grâces que nous? Regardez autour de vous, voyez les âmes qui vous approchent, et comparez les grâces qu'elles ont reçues avec celles dont vous êtes comblés. Non seulement cela vaut la peine de s'y arrêter; mais c'est le grand moyen d'augmenter en nous la grâce, de l'affermir et de la rendre plus efficace.

Aujourd'hui, commençons par nous rappeler la grâce de notre baptême, celle de l'éducation chrétienne que nous a donnée notre mère. Rappelons-nous les soins apportés à notre enfance dans notre famille, dans les maisons d'éducation où nous avons été élevés. Rappelons‑nous notre première Communion, notre vocation à l'état religieux, les grâces des différentes ordinations, les secours intimes que le bon Dieu a donnés à chacun de nous, pour se conserver dans ses bonnes mœurs. Rappelons‑nous encore les grâces que le bon Dieu a mises en nos mains pour distribuer ses sacrements, en nos cœurs pour annoncer sa parole, pour le faire connaître et aimer. Revoyons les grâces accordées pour conserver notre vocation sacerdotale, pour nous relever si nous avons eu le malheur de succomber. Vous serez avec Dieu, avec Notre-Seigneur: “Venez à l’écart”, nous dit‑il, qu'il n'y ait personne entre vous et moi.

Sera‑ce seulement un souvenir sec, de simple mémoire? Non, que ce soit un souvenir de votre cœur, de votre piété qui saura le rendre onctueux, vivant, afin que votre âme parle vraiment au bon Dieu. Passez ainsi votre journée, et retenez bien ce que je vous dis maintenant, afin que vous le fassiez faire aux autres, dans les solitudes que vous serez appelés à diriger. Vous remettez à demain l'examen de vos fautes. Aujourd'hui soyez tout entier aux grâces reçues de Dieu. N'oubliez pas non plus la grâce qu'il vous a faite de venir à la retraite, de venir prendre en lui ce repos de l'âme, de la conscience, de l'esprit qui fait que nous n'agissez plus d'après vos propres vues, d'après votre propre volonté, mais d'après le Sauveur seul. Pour bien passer la retraite, il y a des précautions à prendre. Gardez le silence pendant la retraite. Ecoutez ce que disait un jour saint Bernard à ses religieux qui faisaient la vendange: “Vous amassez le fruit de la vigne et vous le mettez dans de grands vases, dans des cuves. Mais si ces cuves sont percées, tout le jus de la vigne sera perdu. Ainsi la langue fait des trous à notre âme, et notre âme laisse échapper les grâces que le bon Dieu nous donne”. Il faut de plus, mes chers amis, être d'une grande exactitude aux pratiques de la Règle. Je vous l'ai déjà dit souvent. C'est la retraite qui fait la retraite; ce sont les exercices de la retraite faits soigneusement, qui eux‑mêmes opèrent la retraite. Ces exercices agissent un peu à la façon des sacramentaux: ils apportent à l'âme des grâces surabondantes. Faites‑les donc avec exactitude et avec cœur, non pas comme des machines qui agissent d'une manière inconsciente. Mais faites comme les anges quand ils accomplissent la volonté de Dieu dans le ciel: “.... N'agissez pas comme des machines, je vous le répète, comme des mannequins, mais comme des âmes généreuses, comme de bons religieux. Il y a là pour vous des secours ménagés, des lumières préparées: ne les laissez pas perdre.

“Comme des anges dans les cieux”: le ciel, mes chers amis, au fond c'est cela. C’est l’ordre, dit saint Thomas, comme l'enfer, c'est le désordre. Dieu nous veut en ce moment à tel endroit: à la chapelle, à la prière, à la messe, à la récitation de l'office, au réfectoire, à la récréation. En obéissant, nous faisons la volonté divine, nous sommes dans l'ordre. C'est le commencement du ciel. Soyez donc exacts. Que ce soit là une résolution bien arrêtée: prenez‑la dès maintenant. Voilà pour l'extérieur. Quant à l'âme, il faut éviter toute espèce de péché, de faute volontaire, toute pensée légère, toute pensée contre la charité, l'obéissance, la vocation; en un mot tout ce qui peut attrister Notre-Seigneur doit être impitoyablement banni. Que nos âmes soient bien pures pendant cette retraite. Et puis apportez toute la bonne volonté, toute la fidélité dont vous êtes capables. Maintenant, mes chers amis, vous voilà tous résolus à commencer votre retraite avec les moyens que je viens d'indiquer. Mais entre toutes vos âmes il y a des nuances. Les nuances des âmes sont plus accentuées peut-être que les divergences extérieures. Les uns peuvent avoir du goût pour la retraite, d'autres peuvent ne ressentir aucun attrait. Ils peuvent éprouver même une répugnance, un éloignement, un je ne sais quoi qui va peut‑être jusqu'à l'impatience. Il faut néanmoins faire tous notre retraite, et avec toute notre bonne volonté.

A ceux d'abord à qui la retraite aurait quelque chose d'insupportable, d'odieux, je dirai: “Vous seriez heureux si vous saviez ce qu'il a de doux sous cette amertume, de précieux et de savoureux sous cette écorce dure, si vous saviez profiter de cela, vous tenir dans une profonde humilité et dire: “Mon Dieu, je ne suis rien, je ne puis rien. Je resterai s'il le faut sous cette oppression, sous ce poids de plomb qui écrase ma volonté, car je l'ai mérité: “Des profondeurs je crie vers toi, Yahvé: Seigneur écoute mon appel” (Ps 130 [129]:1). Faites ainsi, mes amis. Je connais bien des âmes, et de saintes âmes, qui vous accompagnent dans cette voie pénible. Ecoutez, par dessus toutes les autres la voix du Sauveur au jardin des Oliviers et marchez avec lui dans la difficulté, dans l'épreuve, dans la tentation. Il est bien certain que la retraite est une occasion de tentations de toutes sortes: tentations de découragement, tentations contre la pureté peut‑être, contre l'obéissance, contre la vocation: “Mon fils, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à la tentation” (Si 2:1). Ne craignez pas la tentation, et surtout la tentation de la retraite. Notre-Seigneur sera avec vous. Il vous aidera, vous instruira. La retraite va devenir, pour un grand nombre peut‑être, au moins pour plusieurs, un moyen de s'instruire. Vous comprendrez mieux la grandeur de votre vocation, et vous aurez la lumière pour surmonter la tentation.

Et puisqu'en elle‑même la retraite a quelque chose de reposant, venez auprès du Sauveur vous reposer: “Reposez-vous un peu” (Mc 6:31). Venez lui dire comme Pierre et Jean: “Seigneur, il est heureux que nous soyons ici; faisons donc trois tentes”. (Mc 9:5).  Aujourd'hui donc vous ne vous occuperez pas de vos fautes. Demain on préparera les confessions, pour s'adresser aux confesseurs désignés. A ce sujet, il y a eu longtemps chez nous une grave erreur, c'est de se confesser les uns aux autres un peu à l'aventure. Le confesseur a une charge considérable. Il doit soutenir son pénitent, lui donner des conseils parfois délicats et graves, et le premier venu n'est pas apte à le faire. A l'avenir, dans toutes nos maisons, le supérieur, l'assistant, ou même si la communauté est nombreuse, un troisième Père désigné, devront seuls entendre les confessions. Si quelqu'un a besoin d'un autre confesseur, le supérieur verra en conscience à qui départir ce soin. Evitez tant qu'il sera possible d'aller vous confesser au dehors. Plus d'une fois un estropié d'esprit est venu me dire: “Je suis allé trouver un prêtre âgé, et qui a de l'expérience, et qui est savant théologien, et il m'a dit que je ferais bien de quitter la Congrégation”. Ces bons prêtres ont beau être savants théologiens, ils n'ont pas grâce d'état pour vous diriger, et ils peuvent se tromper, et ils se trompent souvent. Je me résume, mes amis. Passez votre journée avec le bon Dieu. Reprenez le chemin par lequel a passé votre existence jusqu'à ce jour. Voyez les moyens employés par Dieu pour vous attirer à lui. Refaites les stations où le bon Dieu vous a parlé, où il vous a dit comme aux Apôtres: “Je vous appelle mes amis” (Jn 15:15).