Retraites 1891

      


DEUXIÈME INSTRUCTION
Comment faire les retraites

Dans l'instruction d'hier, je vous ai dit ce qu'il faut entendre par ce mot “la Voie”. Je vous exposais le danger qu'il y avait à supposer que la Voie était un état constitué de prime abord et de toutes pièces, constitué de grâces et de faveurs singulières et extraordinaires que Dieu faisait à certaines âmes, et qui communiquait à celui qui est l'heureux élu, un cachet spécial, une distinction quelconque. Je vous ai montré en quelques mots le danger d'une pareille doctrine qui, théoriquement, frise l'erreur, et pratiquement peut devenir désastreuse.

La Voie dont parle la bonne Mère, entendue dans son vrai sens, est assurément toute autre et tout autrement désirable: l'union de notre volonté à la Volonté de Dieu, l'union de notre cœur avec le cœur de Dieu. Nous voulons ce que Dieu veut, et précisément là où Dieu le préfère. L'âme qui est entrée dans ce chemin-là, veut cela fortement et efficacement. Elle est assurément dans le chemin de la sainteté. Toutes les fois qu'une âme est résignée à faire entièrement la volonté de Dieu, à dépendre totalement de la volonté de Dieu, elle mène sur la terre la vie des bienheureux au ciel. Quand la bonne Mère dit de si belles choses, pour encourager à entrer dans la Voie, elle ne se trompe pas. Vous remarquerez cela, mes amis: toute âme qui prend généreusement cette résolution et y est fidèle, est une âme qu'on peut dire prédestinée. Elle aura assurément, dans quelque circonstance qu'elle se trouve, quel que soit le ministère qu'elle a à accomplir, des secours tout particuliers de Dieu. Si Dieu veut l'enrichir de dons naturels et singuliers, elle a tout ce qu'il faut pour y correspondre. Elle le comprend et elle le devine.

Ce que j'ai dit hier n'était pas pour vous détourner d'entrer dans la Voie. J'ai voulu vous expliquer quel était l'écueil auquel on aboutissait, si on n'envisageait pas la Voie à son véritable point de vue: l'union de la volonté et du cœur de l'homme à la volonté et au cœur de Dieu. Et ce sont là, je vous le répète, les deux conditions assurées de la sainteté. Je ne saurais trop, mes Amis, vous encourager à entrer dans la Voie. Qu'avez‑vous à accomplir pour cela? Pas autre chose que les commandements de Dieu et de l'Eglise, vos Constitutions et votre Directoire. Soyez disposés, dans l'intérieur de votre âme, à accueillir toujours la volonté de Dieu, quelle qu'elle soit, à communiquer avec Dieu et vous appuyer sur lui en toute espèce de choses et de circonstances. Ce n'est pas une leçon de théologie que je vous fais, mes Amis, c'est une indication que je vous donne, ou plutôt un chemin assuré que j'ouvre à votre âme et que vous devez suivre pour atteindre le but auquel nous tendons. Tous tant que nous sommes, il nous faut entrer dans cette voie, afin que nous y fassions entrer les autres. C'est ce à quoi nous sommes appelés.

Remarquez, en passant, que toutes les fois qu'une âme a pris cette résolution et est entrée généreusement dans cette manière de faire, il s'opère en elle une transformation réelle et sa sainteté s'affermit. Non pas une sainteté à miracles sans doute, mais la vraie et foncière sainteté. C'est là le bon et saint religieux qui exécute ponctuellement l'observance, qui pratique entièrement la charité envers le prochain, l'humilité, la mortification et toutes les vertus qui sont le cortège de l'amour. Nous demanderons à la bonne Mère Marie de Sales de nous donner l'intelligence et la pratique de ces choses.

Aujourd'hui, mes Amis, je veux vous dire un mot de nos retraites. Cette année nous n'avons pas fait, comme les années passées, de retraite générale. Les communautés d'hommes, de prêtres, ne font pas ordinairement de retraites générales. Ils tiennent leur Chapitre Général tous les 6 ou 10 ans, et cela en tient lieu. Voyez: les Jésuites, les anciens Ordres, n'en font pas d'habitude. La Congrégation commence à s'étendre, et il nous deviendrait bientôt impossible de réunir un si grand nombre de religieux. Ce ne serait pas conforme du reste à notre vœu de pauvreté. Il faut nous souvenir que le vœu de pauvreté oblige celui qui l'a prononcé, sans doute. Mais il oblige pareillement la communauté elle-même, la maison où vit le religieux qui a fait vœu de pauvreté. Il faut songer à cela. Le supérieur trop bon, qui accorderait trop facilement des permissions de faire des dépenses concernant la pauvreté, serait coupable, parce qu'il irait absolument contre les intentions de la sainte Eglise qui veut que ses communautés pratiquent la pauvreté. Les Pères Jésuites ne permettent pas de faire des voyages d'agrément, en dehors des voyages obligés pour le service de la Société, ou encore d'une absolue nécessité de sortir. En dehors de là, le supérieur se croit obligé d'observer pour lui-même et de faire observer aux autres strictement le vœu de pauvreté et d'éviter une dépense inutile de voyages. Entrons, nous aussi, dans cette manière de voir et d'agir par rapport à nos retraites, et faisons comme les Religieux qui font leur retraite en particulier.

Le clergé séculier, lui, doit avoir des retraites générales. L'évêque est obligé de s'assurer, chaque année, que chacun de ses prêtres a fait sa retraite. Il observe cette règle. Chaque année, il promulgue une ordonnance concernant la retraite pastorale, et il fournit ainsi à son clergé le moyen de se retremper dans les saints exercices. C'est une jouissance véritable pour le pauvre curé de nos pays sans religion, qui pendant une longue année a prêché tous les dimanches pour les murs et les bancs de son église, de s'entendre adresser, à lui‑même, de bonnes paroles. J'ai toujours été bien ému en assistant aux retraites ecclésiastiques. Et c'est toujours un grand honneur et une grande consolation pour le prédicateur. On ne peut pas trouver d'auditoire plus intelligent, plus bienveillant, plus sympathique qu'un auditoire de prêtres. C'est un des plus beaux souvenirs de la vie. C'est donc une belle et sainte chose qu'une retraite générale pour les clergé des paroisses.

Ici, pour nous, cela devient de moins en moins possible. Un des principaux motifs, je viens de le dire, est la dépense considérable qu'occasionnent les voyages. Et puis, une retraite générale est‑elle vraiment aussi nécessaire au prêtre religieux, à 1'Oblat de saint François de Sales, qu'au prêtre séculier? Le religieux a sa règle à accomplir fidèlement jour par jour, heure par heure. Tout est là pour lui. Il a sa Règle et ses Constitutions, il a son Directoire: qu'il les pratique! Voilà tout le sermon dont il a besoin. Qu'il médite pendant la retraite ces saintes prescriptions et qu'il s'en nourrisse: voilà toutes les méditations, voilà toutes les instructions de la retraite. Il les trouvera bien de lui‑même, s'il a bonne volonté. Est‑il un homme intérieur et de recueillement? Quand il se met en rapport avec le prochain, est‑il charitable, bienfaisant, consumé du zèle du salut des âmes? Voilà ce qu'il doit aux autres, pendant qu'il se doit à lui-même la solitude du cœur.

A l'avenir, nous ferons donc ordinairement nos retraites annuelles dans la solitude, et nous appellerons cela, comme à la Visitation, les solitudes. La retraite annuelle est essentielle à 1'Oblat de saint François de Sales, comme elle est essentielle à tout religieux, à tout chrétien fervent. Nos Constitutions du reste nous prescrivent formellement cinq à dix jours de solitude chaque année: c'est une obligation pour nous. Comment ferons‑nous notre solitude? Avec la méthode de saint François de Sales. En général nous y consacrerons cinq jours: cela semble plus pratique que dix jours, qui seraient peut‑être un peu longs. On pourrait en être fatigué. On peut prendre facilement plus de cinq jours avec une retraite prêchée où il y a plus de variété et où on entend des choses nouvelles qui réveillent l'attention. Mais, en général, cinq jours suffisent pour une solitude.

Le premier jour de la retraite, il faut tenir son âme dans le recueillement près du bon Dieu. Il faut faire, ce premier jour, tout son Directoire et les exercices marqués par le règlement de la retraite, le mieux qu'on peut. Il faut que ce soit comme une journée de fidélité, une journée parfaite, en faisant bien exactement ses Directions d'intention, en s'appliquant à prendre fidèlement toutes les intentions données par le Directoire, en s’appliquant à faire aussi parfaitement et aussi amoureusement que possible tous les exercices de la journée, prenant à la lettre toutes les prescriptions et recommandations. Et que le fonds sur lequel nous appuierons tout cela, soit la confiance, l'abandon à la volonté de Dieu. Notre Seigneur disait à ses Apôtres: “Venez vous-mêmes à l’écart, dans un lieu désert, et reposez-vous un peu”  (Mc 6:31). Voilà notre premier jour de solitude.

Le second jour, il faut examiner sa conscience, et le faire sérieusement, et à fond, suivant la méthode de saint François de Sales. Il faut passer en revue les commandements de Dieu et de l'Eglise, nos Constitutions et nos Vœux, notre Directoire, nos devoirs d'état, nos passions personnelles, les diverses circonstances dangereuses ou délicates dans lesquelles nous nous sommes trouvés, les différents ministères que nous avons eus à remplir. Il faut réfléchir, voir, se dire à soi‑même: “Voilà comme j'ai mal tenu les promesses que j'avais faites à Dieu! Je veux être plus fidèle à l'avenir”. Puis il faut préparer une confession claire et succincte, et il faut la faire bien humblement. Voilà l'occupation principale du deuxième et du troisième jour, tout en continuant d'être aussi fidèle que possible à son Directoire. Saint François de Sales dit que l'âme purifiée par le sacrement, et même déjà avant de recevoir le sacrement, par l'acte de contrition, est en même temps sustentée et nourrie, de façon à trouver désormais en elle‑même la force de supporter toutes les épreuves, les difficultés, les tentations qui peuvent survenir alors. Après la confession, on peut penser aux difficultés qu'on a eues avec le prochain. On prend des résolutions à ce sujet. On fortifie son âme dans la prière. On se tient au‑dedans et au-dehors dans la paix et l'union à Notre-Seigneur. On pense avec lui à ses occupations de tous les jours, à ses élèves, à ses pénitents, à la mission que l'obéissance nous a confiée. On prépare avec le bon Dieu tout ce qu'il faut pour l'année qui va s'ouvrir. On amasse ses provisions, comme le père de famille qui enserre ses récoltes dans son grenier, afin qu'il puisse, au jour venu, les dispenser à chacun. Et il faut faire tout cela en esprit de grande union au bon Dieu.

On passe encore le quatrième jour dans cette même occupation de préparer son année avec le bon Dieu. Et le cinquième jour est consacré au repos, dans la reconnaissance des grâces reçues et la confiance filiale en l'aide que Dieu nous prépare. C'est le grand jour des bénédictions de Dieu sur notre âme désormais purifiée et animée de généreuses et saintes résolutions. Prenez cette méthode pour vous, mes Amis, et donnez‑la à ceux à qui vous ferez faire des retraites.

Ajoutons à cela qu'il faut lire chaque jour quelque chose de saint François de Sales et de nos saints écrits: c'est du reste toujours marqué dans le règlement des exercices de la retraite. Il faut lire quelques pages de l'Evangile, des actes des Apôtres. Si vous êtes prédicateur, missionnaire, lisez tout particulièrement les Actes des Apôtres. Vous trouverez là des choses qui iront admirablement à votre âme: des leçons de zèle, de courage, de confiance au bon Dieu. Quels exemples que ceux de saint Paul dans ses prédications et souffrances! Lisez et relisez des pages, jusqu'à ce que vous les sachiez par cœur et les mettiez en pratique. Lisez l'Evangile de saint Jean, ses Epîtres, celles de saint Paul et bien d'autres pages. Alors cette parole de Dieu donnera à votre âme une nourriture substantielle; tout en vous sera imprégné de Dieu et de sa grâce, non pas pour produire des effets extraordinaires sans doute, mais pour produire cependant de grands effets en vous et dans les autres. Vous aurez appris comment il faut faire dans votre ministère; vous aurez été initiés aux manières de réussir dans votre état, dans votre métier, si je puis parler ainsi. Vous aurez la direction de la vraie route à suivre. Vous aurez là un appui pour supporter toutes les épreuves; vous serez préparés pour agir précisément comme il faudra, dans telle ou telle circonstance. Ecrivez alors quelques‑unes des pensées qui vous viendront, sur votre petit carnet, ou bien notez‑le en chiffres dans votre Directoire, afin de l'avoir toujours avec vous: dans la tentation, ce petit mot que vous reliez vous servira de réconfort.

C'est pour nous une obligation de faire ainsi la retraite, et c'est pour nous la seule manière de la bien faire. Pour nous, qui certainement avons la foi, qui croyons au paradis et à l'enfer, au purgatoire, dont la vie n'est point ordinairement chargée de fautes très graves, nous n'avons pas besoin de tant de méditations et considérations. Si nous avons eu le malheur d'offenser gravement le bon Dieu dans le passé, excitons-nous à la contrition et entretenons‑nous dans ce sentiment, mais nous tirerons cela de nous‑mêmes, avec la grâce de Dieu. Et nous n'irons pas, pour en arriver là, faire de grandes et profondes réflexions: car nous sommes de toutes petites personnes simples. Nous tâcherons de bien sentir le malheur que nous avons eu d'offenser le bon Dieu, et la nécessité où nous sommes de ne l'offenser plus. Tout cela, c'est notre affaire, et nous le trouverons en nous‑mêmes, avec la grâce de Dieu. Ce n'est pas l'affaire des livres, des théologiens ou des prédicateurs.

Et puis, rendez‑vous compte de ce que vous avez perdu dans l'année qui vient de s'écouler, et de ce que vous avez gagné. Voilà la retraite. C'est ainsi qu'il nous faut faire, et c'est ainsi que chacun de nous est obligé de faire. Ceux de nos Pères qui ne sont pas ici, devront faire leur retraite ainsi, cette année même. De même qu'il est du devoir du supérieur de chaque maison de conserver à chaque religieux le pouvoir d'observer ses voeux, de même aussi il est du devoir strict de chaque supérieur de faire faire ainsi la retraite chaque année à chaque religieux. Chaque supérieur devra, en conséquence, faire faire la solitude à chacun de ses confrères, selon la méthode que je viens d'indiquer. Il ne laissera pas les esprits inquiets ou peu judicieux se fourvoyer en d'autres considérations et d'autres voies. Il faut donc que chaque supérieur — c'est une obligation rigoureuse des Constitutions — prenne la sollicitude des retraites de chacun, qu'il enseigne les moyens. Au besoin, qu'il indique les lectures à faire et qu'il rappelle la méthode que je vous ai recommandée.

Le supérieur a le devoir de se rendre compte si le religieux remplit bien les obligations de la retraite, s'il se confesse et à qui? Le supérieur de chaque maison doit trouver pour chacun de ses religieux le temps propice et convenable. Il peut en mettre en solitude deux ou trois ensemble, s'il le trouve meilleur. S'il n'a qu'une toute petite communauté, il peut faire faire la retraite à tous ensemble, s'il le juge bon. Mais que ce soit toujours vraiment une solitude. S'il a quelques observations et recommandations utiles, il peut faire une ou deux petites instructions. Mais il ne doit pas donner ou faire donner une retraite prêchée. Chaque prédicateur en effet a ses idées particulières: il fera faire la retraite aux Religieux qui sont là, comme il 1'entendra. Qui sera le maître chez nous, alors? C'est la Règle qui est la maîtresse. Et elle dit que le supérieur n'est là que pour veiller à ce que les Constitutions soient bien observées. Le supérieur ne peut pas donner de décisions qui tournent quelque peu le sens de la Règle. Il faut qu'il s'en tienne à la lettre: qu'il l'observe lui‑même et qu'il la fasse observer aux autres. Il ne peut pas l'interpréter à sa façon. Il peut en dispenser en certains cas prévus, de courte durée, mais il ne peut l'interpréter, je le répète: autrement il ferait le maître, et Notre- Seigneur veut être appelé seul le Maître:” “Vous n’avez qu’un Directeur, le Christ” (Mt 23:10).

Quand la Règle, quand les Constitutions ont parlé, il faut faire à la lettre ce qu'elles disent; personne n'a le droit de l'interpréter de telle ou telle façon. Définir le sens du texte des Constitutions est l'affaire du chapitre général seul; et pour qu'une modification faite par lui soit authentique, il faut la confirmation du Saint Siège. Jusque là il faut s'en tenir au texte: “Les innovations sont interdites. Qu’on se tienne à ce qui a été transmis” - [“Nil innovetur nisi quod traditum est”].

Voilà le rôle du supérieur de chaque maison. Il est bien déterminé, et le supérieur est absolument tenu de l'accomplir: il en répond devant Dieu. Il en répond si les retraites se font autrement qu'il ne faut, comme il en répondrait si elles ne se faisaient pas du tout. Il faut que les supérieurs prient beaucoup pendant les retraites, il faut qu'ils s'en occupent sérieusement à la sainte messe et devant le bon Dieu.

Je ne serai pas trop long, mes chers Amis; je veux ajouter un mot, à propos des retraites, sur la direction des âmes. Nous devons confesser et nous devons aussi diriger les âmes que la Providence nous envoie et que l'obéissance nous confie. Il faut, pour ces âmes qui viennent nous demander confession ou direction, que nous ayons des règles, pour les amener pratiquement à l'union à la Volonté de Dieu afin qu'elles puissent recevoir la plénitude des grâces que Dieu leur a réservées. Il faut leur apprendre et il faut les aider à suivre et à aimer la volonté de Dieu et les déterminations de la Providence sur eux.

La principale recommandation que je ferai aux supérieurs et à ceux qui font faire des retraites, c'est de prier pour les retraitants. C'est aussi un devoir essentiel pour nous que de prier pour les âmes que nous avons à diriger et à confesser. Il faut prier, en général, pour toutes les âmes qui viennent à vous. Faut‑il prier pour chacune en particulier? Oui, si c'est possible; mais si vous avez un ministère laborieux, il vous sera bien difficile d'avoir telle ou telle âme spécialement présente à votre esprit. Ce qu'il faut faire, c'est de ne jamais vous mettre au confessionnal sans avoir prié pour les âmes qui vont s'adresser à vous.

C'est un exercice bien fructueux que celui de la confession: il nous oblige de nous tenir continuellement en oraison. C'est comme cela qu'il faut faire, mes Amis, pour être un bon confesseur. Un ouvrier quelconque qui, en dehors du moment précis de son travail, n'y songe jamais, ne s'y affectionne pas, ne devient jamais un bon ouvrier. Un professeur qui monte en chaire sans préparation, fait sa classe vaille que vaille, ses élèves l'écoutent ou non, peu lui importe: son cours est fait. Croyez‑vous que ses élèves réussiront aux examens? Non certainement. Vous vous mettez à confesser comme cela, négligemment, sans préparation, sans prière pour les âmes qui viennent à vous: croyez‑vous que vous réussirez? Non, certainement. Pour gagner les âmes à Dieu au confessionnal, il y a une préparation à apporter, il y a quelque chose à faire et qui est indispensable. Quand vous en aurez fait l'expérience, vous verrez. Ce qu'il y a à faire avant tout et surtout, c'est de prier pour ces âmes. Priez avant d'entrer au confessionnal; priez surtout tout le temps que vous êtes au confessionnal, pendant que vous recevez les aveux ou les confidences de vos pénitents ou de vos dirigés. Plaidez bien et soignez leur cause devant Dieu. Alors vous aurez des lumières; Dieu mettra sur vos lèvres ce qu'il faudra dire à ces âmes.

Comment le saint curé d'Ars confessait‑il? C'était un saint, sans doute. Mais aussi, voyez comme il priait pour ses pénitents, et par suite quelles lumières il recevait de Dieu pour leur direction. Un bon curé me racontait qu'il était allé le trouver. Il se confessa. “J'entendais à peine ce qu'il me disait, je n'entendis pas un mot de sa morale, mais je suffoquais d'émotion, me sentant aux pieds d'un saint. Tout d'un coup il s'arrête et me dit — et ceci je l'entendis très nettement! — «Vous avez fait tel péché, à tel âge, dans telle et telle circonstance, et vous ne l'avez pas dit clairement en confession». C'était vrai: j'avais oublié ce péché depuis longtemps”. Où le curé d'Ars puisait‑il sa science et sa lumière en confession? Dans sa sainteté, sans doute, mais aussi dans les prières incessantes qu'il faisait pour ses pénitents. Confessons bien suivant cette méthode de prier beaucoup pour ceux qui viennent à nous; c'était la méthode de saint François de Sales, c'était celle de saint Bernard, c'était celle de tous les saints. La méthode des saints est la bonne, elle aboutit à des résultats.

Que les Oblats ne confessent donc jamais sans prier beaucoup pour leurs pénitents, avant et pendant, et aussi après la confession. La confession ainsi pratiquée opérera tous les effets que les théologiens énumèrent. Tout ce qu'ils indiquent aura son entier accomplissement dans l'âme, qui dès lors aura la force de résister à la tentation, de s'éloigner de l'occasion, de faire tout ce qu'il lui sera possible pour rester fidèle à Dieu. Remarquez bien, mes amis, que je viens de vous donner là le moyen de devenir vous‑mêmes des saints. La méthode que je vous recommande donne de grands fruits pour les âmes, mais en même temps elle vous oblige à vous sanctifier vous‑mêmes. L'un est en corrélation très étroite avec l'autre.

Je voyais ces jours‑ci — hier — d'excellentes et pieuses personnes de Villeneuve-au-Chemin. J'avais dit au P. Lambey de m'amener deux ou trois de ces bonnes filles de l'ancienne paroisse de M. l'abbé Cardot. Je les questionnais, et elles me racontaient comme M. le curé faisait, comme il parlait à la prière du soir, comme il priait surtout pour ses paroissiens et comme il faisait prier. Je constatais que M. Cardot avait opéré dans sa paroisse quelque chose de très bon, de très solide, de très sérieux, en travaillant, à part lui, avec le bon Dieu, en pensant continuellement devant Dieu aux âmes de ses paroissiens, en s'occupant ainsi de chacune de ces âmes en particulier, et tâchant d'obtenir de Dieu que chacune voie bien ce qu'Il lui demande, que chacune reçoive une partie au moins des grâces qu'Il a mises en réserve pour elles, et des secours dont elles ont un besoin urgent. Je me disais: le bien s'est fait et il se fait encore dans cette paroisse. Voilà le fruit de tant de sueurs, de tant de travaux, de tant de prières. J'étais ému en pensant à ce saint homme. Je comprenais ce que la sainteté du prêtre produit dans les âmes des fidèles qu'il dirige. Et je comprenais aussi quel agent puissant la prière pour les âmes est dans l'oeuvre de la sanctification du prêtre.

Mettez donc, mes Amis, un bien grand sérieux à cette œuvre capitale du ministère sacerdotal et religieux: la direction des âmes. Vous conduisez ainsi les âmes à Dieu, vous les conduisez par un chemin difficile, en les menant par la main. Le chemin est rude et glissant sans doute, mais au bout, c'est le ciel. Il est bien des faux pas dans la route de cette pauvre âme; si vous l'abandonnez à elle‑même, elle tombera dans l'abîme et sera perdue sans ressource. Si vous la soutenez, c'est son salut éternel. La confession, la direction, il ne faut pas regarder cela comme une besogne vulgaire, comme un métier, comme une surcharge ennuyeuse et fatigante et qui, somme toute, n'aboutit pas à grand chose.   

Voyez la bonne Mère, voyez ce que lui coûtait une âme à retirer du péché, à ramener à la vie chrétienne. Voyez ce qu'elle faisait pour le salut de ces âmes auprès du bon Dieu. Elle s'identifiait en quelque sorte avec les âmes qui s'étaient confiées à elle; elle leur prodiguait ses soins, ses prières, ses mortifications, son affectueux dévouement, et elle réussissait toujours. Agissons ainsi dans les missions et prédications de retraites, dans les œuvres, dans la confession des élèves, des personnes du dehors, aux veilles de grandes fêtes. Mais on est si pressé ces jours‑là; on a quatre fois plus de besogne qu'on ne peut en faire, comment s'en tirer? On formule bien ses intentions générales; on tient son cœur bien uni au bon Dieu; on le prie pour le petit ou pour le grand pénitent qui est là; et tout le temps de la confession, tant que dure la séance, on renouvelle l'union de sa volonté et de son cœur à la volonté divine. On revient là‑dessus le lendemain dans son oraison, à la sainte messe. On y revient les jours suivants, et toutes les fois que le souvenir nous ramène, on renouvelle sa prière.

Mes amis, je ne devrais pas dire cela: on ne doit pas parler de soi. Mais, c'est vrai, absolument vrai, et c'est pour cela que je vais vous le dire. Je n'ai jamais prié pour l'un de mes pénitents, l'une de mes pénitentes, sans que le bon Dieu leur ait donné des marques singulières de protection, sans qu'il leur ait départi des lumières toutes particulières. Faites comme cela. Priez mieux que moi, et le bon Dieu vous écoutera encore mieux que moi. Est‑ce à dire que les personnes que vous confesserez deviendront toutes des saints? Hélas, non! Mais toutes celles pour lesquelles vous aurez ainsi prié, en exerçant le saint ministère de la confession, ressentiront un effet de grâce particulier et spécial. Et tous les prêtres qui agiront ainsi obtiendront du bon Dieu de plus grandes consolations encore que celles que j'ai obtenues. Le bon Dieu vous écoutera mieux que moi, parce que vous prierez mieux que moi.

La veille des grandes fêtes, vous êtes accablé de besogne: vous êtes meurtri et brisé de fatigue. Offrez cela pour les âmes qui viennent à vous. Jetez de temps à autre un regard vers le bon Dieu. L'âme de votre pénitent ressentira l'effet de cette offrande, de ce regard. Elle ne s'en ira pas sans avoir senti que le bon Dieu a donné des lumières et des grâces pour elle au confesseur. Et ces grâces elles‑mêmes se communiqueront infailliblement à l'âme qui a été l'objet de votre sollicitude et de votre prière.

Souvenez‑vous de ces âmes, je vous le répète, au saint sacrifice, dans le bréviaire, à l'oraison. Vous ne savez que dire, que faire à l'oraison? Vous allez peut-être prendre votre Imitation pour vous aider à trouver une idée, un sentiment. C'est un bien bon livre, l'Imitation. Non! ne prenez pas un livre. Prenez du moins un volume parlant et vivant: Mon Dieu, voilà telle âme bien tentée et bien faible, sauvez‑la! Aidez‑la à se relever! Voilà tel petit enfant, préservez-le, mon Dieu; bénissez‑le de vos bénédictions de choix! Appelez-le, si c’est dans vos sacrés desseins, à vous connaître mieux, et à vous faire connaître aux autres”. Quand vous aurez fait cela pendant votre oraison, croyez‑vous que vous aurez perdu votre temps? Je pense, moi, que le bon Dieu pourrait bien venir vous dire un jour ce qu'il disait à saint Thomas: “Thomas, tu as bien écrit de moi. Que veux-tu que je fasse pour toi”? - [“Bene scripsisti de me, Thoma, quid vis ut faciam tibi”?]
Vous avez bien fait la besogne du bon Dieu, et la besogne des âmes, et en même temps vous avez bien fait la vôtre. Vous faites votre fortune avec les misères d'autrui, comme les Israélites qui s'enrichissaient des dépouilles et des misères de l'Egypte. Priez pour telle ou telle âme en danger, ou menacée de perdre la foi. Sa misère enrichira votre misère, pendant que le bon Dieu l'enrichira, elle aussi, du fruit de votre travail.