Retraites 1881 |
La
prière Revenons
à ce que nous disions hier, et reprenons la première partie de notre
division: On chasse le démon par la prière. Il est nécessaire que nous
priions pour nos élèves. Cette nécessité est absolue. Nous ne sommes pas
chargés seulement des intelligences de nos enfants, nous sommes chargés de
leurs âmes, et nous ne remplirons ce devoir que par la prière. Qui priera
pour nos élèves? Ce ne sont plus leurs parents. Ce n’est pas le curé de
la paroisse qu'ils ont quittée. C'est donc nous. Et si nous ne le faisons pas,
nous manquons à une obligation de conscience. Si un professeur se présente
devant Dieu sans avoir prié pour ses élèves, espérons qu’il n'ira pas en
enfer, s'il n'a pas d'autres fautes graves. Mais jusqu'où se prolongera son
purgatoire? C'est ce que la justice de Dieu déterminera. Faisons-y bien
attention. Dieu veut que ceux qui ont charge d'âmes prient pour les âmes
confiées à leurs soins. Bien plus, il y a des grâces que Dieu a attachées
uniquement à la prière de ceux qui ont le devoir de prier; si bien qu'il
n'accorde pas les grâces si ceux qui sont chargés de les demander ne les
demandent pas en effet. Donc, si nous ne prions pas pour nos élèves, nous
les privons de grâces que Dieu a fait dépendre de notre prière, et par là
nous sommes peut-être responsables de leur perte en une certaine mesure. La
définition de la prière qui est dans le catéchisme n'est pas à mon idée.
On s'imagine que pour prier il faut sortir de soi-même, que c'est une
occupation à part, en dehors de notre nature. C’est faux. Saint Thomas définit
bien la prière: “L’acte
d’expliquer à Dieu ce que l’on veut afin qu’il l’accomplisse”- [“Quaedam
explicatio nostrae voluntatis ad Deum ut ipse faciat”] (STh III, 21, 1, c.).
On se fait une fausse idée de la prière quand on s’imagine que, pour prier,
il faut tout quitter et faire un acte qui tranche entièrement avec tout ce
que nous faisons ailleurs. Rien n'est moins vrai. La prière est une
exposition, une explication: “Mon Dieu, voyez, voilà telle difficulté”.
Voilà pourquoi, sans quitter notre besogne, on peut faire durer la prière
tout le jour. La prière perpétuelle consiste, ainsi que l’explique saint
Vincent de Paul, à ne pas laisser passer le plus petit incident de notre vie
sans en tenir Dieu au courant. Si c'est une petite difficulté, demandons-lui
son aide, si c'est une petite contrariété, offrons-la-lui. En un mot, mêlons
Dieu à tout ce que nous faisons ou qui nous arrive, exposons-lui tout, ne lui
cachons rien, ne faisons rien en dehors de lui. Posée
cette définition de la prière, l'oraison, qui est une des formes de la prière,
doit être aussi une explication. N’en faisons donc pas une étude. C'est
une mauvaise chose, oui, sans doute, une mauvaise chose. Faisons notre oraison
avec notre classe. Exposons à Dieu ce que nous avons à faire dans la journée,
nommons-lui tel ou tel élève, disons-lui quel est le besoin de cet élève:
intelligence, bonne volonté. Que notre journée, préparée par l'oraison,
contenue en germe dans l'oraison, se déroule comme le développement naturel,
la mise en acte de l’oraison. Le Docteur Angélique ajoute dans sa définition:
“de ce que l’on veut”. Voilà qui est bien important. Quand nous
demandons à sortir de tel ou tel défaut, est-ce bien notre ferme volonté
d'en sortir? Quand nous demandons des grâces pour nos élèves, est-ce bien
l'exposition de notre volonté? Il faut donc que la prière parte du fond
d'une volonté qui veut obtenir,
qui veut se corriger, qui veut l'amour de Dieuet le bien des élèves. Si
cette volonté ne donne pas la vie à la prière, n'est-ce pas un acte qui
manque de principe, un acte tout extérieur? Je
reviens à l’expression: “l’acte d’expliquer”. La prière est donc
quelque chose de souple; ce n'est pas un système, elle se plie aux
circonstances; elle demande, adore, gémit. C'est la voix de l'âme qui sait
élever ou abaisser le ton suivant qu’il convient, c'est l’entretien libre
et intime de l'ami, c’est la vie des personnes consacrées à Dieu, à
quelque titre que ce soit. Ne laissons pas Dieu dans les cieux, ne le laissons
pas dans son tabernacle, emmenons-le partout avec nous, portons-le dans tous
les détails de notre existence. Reste
à traiter une question bien importante: l'état où nous devons être pour
prier, l'état de grâce, la fidélité. Considérons la prière de
Notre-Seigneur. Saint Thomas enseigne que de sa volonté raisonnée, absolue,
le Christ ne voulait pas autre chose que ce qu'il savait être de la volonté
de Dieu; de sorte que toute volonté absolue, même humaine, du Christ fut
accomplie, parce qu'elle était conforme à Dieu; et par conséquent toute prière
du Christ, expression de cette volonté absolue, fut exaucée (STh III, 21, 4,
c.). En d'autres termes: Notre-Seigneur, priant, disait à son Père:
“Voyez, mon Père, vous êtes tout entier en moi, regardez-vous en moi”.
Et le Père céleste exauçait cette prière. (Cf. Saint
Augustin, In Ps 32, conc. 1; ou STh III, 21, 2,
c.). C'est ainsi que doit être notre prière pour les autres. Il faut
que notre âme soit assez pure pour que Dieu s'y contemple; il faut que nous
puissions dire à Dieu: "Mon Dieu, je ne sens sur ma conscience aucune
faute mortelle, je ne me rappelle pas non plus de faute assez grave pour
offenser grandement votre regard. Mon Dieu, voyez-vous en moi, vous y habitez“. Et
notre coeur étant bien pur, bien uni à Dieu, pas d'efforts à faire alors
pour trouver Dieu. Car c'est en Dieu que nous vivons (Ac 17:28). Il est autour
de nous, à droite, à gauche, il est en nous. Retenez donc bien que pour
prier il n'est pas besoin de sortir de soi. La prière est une expansion de
notre vie qui prend toutes les formes, qui va à toutes nos actions, à toutes
nos occupations. Donc, exposons à Dieu doucement, suavement à la manière de
saint François de Sales, ce que nous faisons, voulons, désirons dans toutes
nos actions; et aussi que notre prière soit continuelle, que notre vie soit
unie à Dieu; et ainsi la prière sera facile, sans contention.
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